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réclamations que M. de Choiseul lui adressa en août 1800, et que celui-ci a eu la bonté, de rapporter, pourrait suffire aux yeux des personnes éclairées et impartiales; car cette arme, qu'il a peut-être cru émousser en la présentant, n'en a pas moins conservé toute sa, force. Cette réponse même semblait m'imposer l'obligation de ne point entrer dans de nouvelles explications, si M. de Choiseul n'eût lui – même dirigé de nouvelles attaques que mon père ignorait et qu'il eût repoussées; si l'avant-propos, plus hostile encore que le Mémoire, ne contenait un défi qu'il ne refusait jamais, des démentis qu'il n'était pas plus accoutumé à mériter qu'à recevoir.

Pressé par le double devoir que m'imposent la piété filiale et l'attachement fraternel, mais encore plus par celui que me commande la vérité, je présenterai celle-ci avec la modération qui lui est propre et qui convient à ma situation actuelle autant qu'à celle où j'ai été vis-à-vis de M. de Choiseul, à l'époque sur laquelle il me force si péniblement de revenir. Je tâcherai d'opposer le raisonnement à la critique, et la froide exactitude des faits à des dénégations ou à des prétentions calculées. A

que

l'appui des souvenirs qu'une si importante circonstance a dù graver dans mon esprit, il me sera permis, à l'exemple de M. de Choiseul, de tirer de mon porte-feuille un Mémoire que j'y ai déposé, dès 1793, afin de conserver la fidèle impression des faits que, malgré leur intérêt, le temps altère toujours plus ou moins. Ce Mémoire n'a jamais été destiné à l'honneur dangereux de la publicité, et n'avait pour but de me rendre compte des circonstances de cette entreprise, depuis la première ouverture qui en fut faite, d'en tracer la marche secrète jusqu'au dénoùment, et de transmettre ces renseignemens à ma famille pour laquelle ils doivent être toujours précieux; et certes je ne pouvais avoir l'intention d'en imposer ni à elle ni à moi-même. M. de Choiseul ne me contestera pas d'avoir été assez avant dans cette affaire et assez intimement associé au travail de mon père, dans tout ce qui l'a concernée, pour avoir été à même de la connaître à fond.

Peut-être même ma narration aura-t-elle le mérite d'offrir quelques détails que mon père a cru devoir omettre, et qui auront encore l'intérêt de la nouveauté après tous les écrits publiés sur ce sujet.

Une considération puissante paraissait devoir m'arrêter : c'est le caractère sacré dont M. de Choiseul a voulu revêtir son récit ; c'est cette sanction royale qu'il a voulu lui donner, en assurant que le feu roi et la feue reine lurent et rectifièrent cette relation (page 1oo). Cette raison même, loin de me fermer la bouche, doit au contraire me donner le droit comme le désir de ne rien négliger pour balancer, autant qu'il est permis à un sujet respectueux, des témoignages qui seraient si imposans s'ils avaient pu être éclairés par la discussion et par un examen contradictoire. Mais, quoique je ne puisse penser que M. de Choiseul ait voulu se prévaloir du double avantage de faire parler et d'attaquer à la fois ceux qui ne sont plus, j'avoue que je suis embarrassé de concilier son assertion avec mon respect pour les vertus de Louis XVI, dont une des premières était la justice. En effet, il me serait aussi pénible que difficile d'admettre que le roi eût porté un jugement sur cette affaire, sans avoir entendu M. de Bouillé qui en avait eu toute la conduite. Comment croire que, sachant très-bien que les dispositions n'avaient pas été suivies par M. de Choiseul, puisqu'il ne l'avait

pas trouvé à son poste, ce prince eût pu lui fournir, non pas seulement une excuse, ce qui eût été digne de sa bonté naturelle, mais même une arme contre le général qui avait donné, indépendamment de cette occasion, tant de preuves de son dévouement comme de sa capacité? Ce doute est fortifié par l'extrait d'une lettre de M. de Choiseul à M. de Bouillé, et encore plus par celle du roi à celui-ci, rapportée, avec une note malignement généreuse, par son ancien subordonné devenu son adversaire (1). Cette lettre, qui est un titre moins profitable, mais aussi précieux que certain diplôme obtenu pour des services réels ou prétendus, reconnaît que M. de Bouillé a fait son devoir, et exprime

le

regret du roi de ne pouvoir lui témoigner toute sa reconnaissance. Si ce prince avait eu quelques reproches à faire à M. de Bouillé, lui eût-il donné un gage de sa satisfaction plus authentique que ceux invoqués par d'autres, mais uniquement fondés jusqu'ici sur leur propre allégation? Au reste, ce témoignage honorable n'est pas le seul que M. de Bouillé

(1) Pièces numéros 4 et 9.

ait reçu au sujet de cet événement dont M. de Choiseul veut si libéralement lui attribuer le blâme. Dans une lettre que (1) Louis XVIII daigna m'écrire à la mort de mon père (le 19 décembre 1800), sa main auguste a tracé ces mots qui répondent à tout: Un événement bien funeste, qui ne serait pas arrivé si les avis du marquis de Bouillé eussent prévalu, et que tous ses efforts ne purent réparer, causa sa prompte sortie de France. Si après une telle autorité, il était permis d'en citer une autre, ce serait celle du modèle et du guide des braves, du prince de Condé écrivant à M. de Bouillé sur le même sujet (le 25 juin 1791): Ah! Monsieur, quel affreux événement! à peine laisse-t-il la force d'écrire. Ce n'est assurément pas votre faute s'il n'a pas mieux tourné, et vous vous êtes conduit avec votre courage et votre talent ordinaires.

On pourrait encore y ajouter les suffrages et les marques d'estime de la plupart des souverains de l'Europe, dont je crois inutile de rapporter ici les preuves écrites.

En admettant toutefois que M. de Choiseul

(1) Pièce no 14.

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