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et qu'il n'en résultat autant d'inconvénient pour sa cause que pour ceux qui la servaient, j'avais pris la liberté de demander un écrit de sa main, qui fut un gage assuré de la fermeté de sa détermination pour l'entreprise. Cette demande, qui causa quelque étonnement aux intermédiaires qui la transmirent, fut accueillie avec une extrême bonté par Sa Majesté, qui voulut bien même y satisfaire avec empressement. M. de Fersen me communiqua en conséquence un billet que lui adressait la reine avec la lettre du roi pour moi, dont l'original devait lui être remis quand j'en aurais pris copie. La reine disait dans ce billet que le désir de se tirer de l'affreuse position cù le roi et elle se trouvaient, était retenu par la nécessité de s'assurer davantage les secours des puissances étrangères, et que l'on allait y travailler avec chaleur. Elle voulait bien ajouter que l'on avait une entière confiance dans M. de Bouillé, et que, pour la reconnaissance qu'on lui aurait, c'était à lui d'en juger par l'étendue du service.

La lettre du roi était de sa main et détaillée. Il y répétait les assurances de sa confiance dans M. de Bouillé, qu'il avait toujours regardé comme le principal instrument de sa délivrance. Il disait qu'il fallait s'assurer des secours étrangers et patienter jusque-là; qu'une fois sa résolution de quitter Paris prise et annoncée, elle serait invariable, et que l'on pouvait y compter; qu'il pensait que le secret le plus grand était nécessaire pour le succès de cette

entreprise, et qu'en conséquence moins on emploierait de personnes, plus on serait sûr de l'obtenir. Sa Majesté désignait différentes routes pour s'éloigner de Paris, et disait qu'elle avait toujours songé à se rendre à Valenciennes, mais assurait qu'elle irait volontiers à Montmédy si M. de Bouillé persistait à croire ce lieu le plus sûr et le plus convenable; que toutefois, dans les routes qu'il prendrait pour y arriver, le roi ne pouvait adopter celle qui l'eût fait sortir et rentrer par les Ardennes, parce qu'il ne voulait point mettre le pied hors de son royaume, et qu'il tenait absolument à n'en point sortir; qu'une telle démarche pourrait irriter son peuple, et qu'il voulait au contraire la paix et la tranquillité. Ces derniers mots, qui sont l'expression libre et désintéressée des sentimens et des principes de Louis XVI, doivent faire rougir les perfides et imposer silence aux ignorans qui ont calomnié ou dénaturé ses intentions.

Telle était la substance de ces deux écrits dont je regrette infiniment de n'avoir osé conserver la copie que je pris alors en encre sympathique, ainsi que j'en étais convenu, pour la porter à Metz. Je remis les originaux à M. de Fersen, et je trouvai que c'était beaucoup, d'après le caractère à la fois méfiant et loyal du roi, de l'avoir décidé à se prononcer et à s'expliquer ainsi.

Dès que j'eus reçu ces réponses et posé ces premières bases, je m'empressai de retourner près de M. de Bouillé. Je partis de Paris le 8 janvier, et

j'arrivai à Metz le lendemain soir. Je remis au général les lettres du roi et de la reine, et l'on peut juger de l'intérêt avec lequel il entendit le rapport que je lui fis de mon voyage. Il entrevoyait bien des difficultés pour le succès avant mon départ; mon retour ne lui en présentait pas moins; mais son vif attachement à la personne du roi, l'intérêt du salut de ce prince et l'avantage qui devait en résulter pour l'État, lui donnèrent le courage et la patience nécessaires dans une pareille entreprise.

J'avais concerté avec M. de Fersen des moyens sûrs pour notre correspondance. Nous avions un chiffre que je regarde comme impossible à deviner, et quoique toutes nos lettres passassent par la poste, il est remarquable que, pendant une correspondance de six mois sur un aussi grand intérêt, pas une de ces lettres ne fut interceptée, et qu'il n'arriva qu'un seul malentendu qui fut heureusement sans conséquence. M. de Fersen avait oublié d'indiquer la page du livre convenu entre nous pour trouver le mot qui servait à la combinaison du chiffre; mais je parvins, à force de travail, à remédier à cette omission qui eût été d'autant plus importante que la lettre indiquait le jour fixé par le roi pour son départ. Je fus chargé de toute cette correspondance. Les lettres m'étaient adressées par M. de Fersen pour le baron de Hamilton, Suédois et colonel du régiment de Nassau en garnison à Metz: j'adressais les miennes pour M. de Fersen à la baronne de Korff, femme de cinquante ans, in

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time amie de celui-ci, et entièrement dévouée au roi et à la reine; d'autres fois à M. de Silverspare, secrétaire de l'ambassade de Suède. Tels étaient les canaux par où cette grande affaire se conduisait, et quoique ces détails puissent paraître minutieux, je crois cependant ne devoir pas les omettre par l'importance de l'objet auquel ils se rapportent.

Le premier usage que je fis de tous ces moyens de correspondance, fut pour témoigner au roi toute la reconnaissante satisfaction que M. de Bouillé éprouvait de sa confiance en lui et de sa détermination, et pour insister: 1° sur la nécessité d'obtenir de l'empereur qu'il fit des démonstrations hostiles sur la frontière une quinzaine de jours avant celui où le roi sortirait de Paris; 2° sur l'avantage de la retraite à Montmédy; et 3° sur l'impossibilité que M. de Bouillé fit, ailleurs que sur ce point, tous les préparatifs que demandaient la réception et la sûreté du roi.

Je dois ajouter que le roi ayant porté la confiance jusqu'à me faire témoigner, pendant mon séjour à Paris, le désir que M. de Bouillé lui désignât les personnes à employer avec les armées que la Suisse et l'Espagne fourniraient au moment de son évasion, et que je lui indiquasse moi-même les choix que je pensais qui lui conviendraient, j'avais répondu que je n'avais aucune instruction ni aucune donnée sur ce sujet, et que je satisferais à cette demande lorsque je serais de retour à Metz. Pressé

cependant de fournir quelques renseignemens à cet égard, j'avais insinué que le baron de Falkenhayn, lieutenant-général, né en Alsace et employé dans cette province, pouvait convenir au commandement des Suisses, et pour les Espagnols, j'avais indiqué le comte de La Tour-du-Pin qui, depuis son ministère de la guerre, commandait les divisions militaires de la partie méridionale de la France, et qui, secondé par M. de Gouvernet, son fils, ne pouvait que faire honneur au choix du roi, pour lequel ils étaient l'un et l'autre pénétrés de sentimens de dévouement dont ils avaient donné les preuves les moins équivoques. Sa Majesté, tout en approuvant ces choix, désira, avant de s'y arrêter, connaître l'avis de M. de Bouillé qui me chargea de répondre dans ma première lettre que, quoiqu'il pensât que M. de Falkenhayn était presque le seul officier-général à employer avec l'armée que l'on espérait des Suisses, il était d'avis qu'il fallait mettre à leur tête un homme d'une plus grande consistance et dont la dignité pût faire taire toutes les prétentions particulières; qu'ainsi M. le maréchal de Castries, qui se trouvait alors en Suisse, lui paraissait convenir parfaitement, tant à cause des considérations ci-dessus, que par son caractère, ses talens et ses principes, et que M. de Falkenhayn, ainsi que M. de Gelb, lieutenantgénéral et Alsacien comme le premier, pourraient être employés sous lui.

Quant à l'Espagne, il lui paraissait que les rap

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