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me renouvela les plus aimables assurances de sa tendresse pour moi. Effectivement il m'en avait toujours témoigné beaucoup, et j'avoue que l'aménité de son caractère, jointe au prestige de sa renommée, m'avait rendu, jusqu'à l'époque de nos troubles, fort sensible à la distinction qu'il me marquait. Je lui en voulais même peut-être plus, en raison de l'effort qu'il m'avait fallu faire pour me détacher de lui, et je voyais avec regret que nous fussions placés dans des rangs si opposés; car quelles que soient les dissidences politiques, elles ne doivent pas rendre injuste pour les qualités privées. M. de La Fayette me fit aussi les plus belles protestations de considération et d'amitié pour M. de Bouillé, ainsi que d'attachement pour la monarchie, particulièrement pour la personne du roi, enfin de modération et de désintéressement; mais ces démonstrations ne purent vaincre ma ré

serve.

Pendant le peu de jours que je passai à Paris, j'eus avec lui plusieurs conférences semblables, dans lesquelles il donna un libre cours aux faux principes qui faisaient la base de ses discours, et, malheureusement pour lui comme pour les autres, la règle de sa conduite. Ce fut dans une de ces conversations que lui ayant demandé comment il était avec le château, il me repondit : « Le roi » sert la constitution, c'est vous dire assez si j'en >> suis content. D'ailleurs vous le connaissez, c'est >> un bon homme qui n'a nul caractère, et dont je

» ferais ce que je voudrais, sans la reine qui me gêne beaucoup. Elle me témoigne souvent de la >> confiance, mais elle ne se livre point assez à mes >> avis qui assureraient sa popularité. Elle a ce » qu'il faut pour s'attacher le cœur des Parisiens >> mais une ancienne morgue et une humeur qu'elle

ne sait point encore cacher les lui aliènent plus >> souvent. Je voudrais qu'elle y mît plus de bonne >> foi. >> J'ignore si M. de La Fayette en mettait beaucoup lui-même dans cette confidence; mais comme elle était aussi remarquable de sa part qu'elle pouvait être profitable au roi et à la reine, je crus de mon devoir de ne pas la leur tenir secrète.

J'eus occasion de lui parler des moyens que lui donnait sa position pour contribuer au bien public, et pour arrêter le mal dont le cours incalculable de la révolution menaçait notre patrie. Je tàchai de lui présenter, sous un point de vue séduisant pour son ambition comme pour son amour-propre, la gloire de sauver le monarque et la monarchie, ainsi qu'il en avait le pouvoir, et je lui montrai sur quelles bases solides il était à même d'élever à la fois son nom et sa fortune. J'en reçus les mêmes réponses qu'à mon précédent voyage, et je me confirmai dans la triste certitude qu'il pouvait encore nuire long-temps à la chose publique, mais qu'il ne la servirait jamais. Il n'est peut-être indifférent de rapporter ici les propres paroles personnage qui a acquis tant de célébrité, par l'influence qu'il a exercée sur nos destinées.

pas

d'un

Comme je lui offrais, ainsi que j'en avais été chargé, toutes les récompenses et tous les 1^nneurs qui lui seraient assurés, s'il terminait la rivolution, ou la dirigeait vers un but également avantageux au roi et à l'Etat, il me dit « qu'il n'avait aucune am>>bition que celle du bien public et de l'achève>>ment d'une heureuse et libre constitution; qu'il » ne demandait d'autre récompense de ses servi» ces que le suffrage et l'estime de ses concitoyens; » qu'une fois sa tâche remplie, il reprendrait son >> rang militaire, et se retirerait à la campagne où, jouissant de l'approbation et de l'affection publiil attendrait que la nation en danger l'appelât pour combattre le despotisme, s'il >> voulait reparaitre. Alors, ajoutait-il, je jouirai >> de tous mes travaux; alors j'aurai acquis un exis»tence que je ne devrai qu'à la pureté de mes principes, à la simplicité de mon caractère, » et la confiance générale me mettra au-dessus » du roi lui-même. » A quoi je répondis: Je ne suis pas autorisé, mon cousin, à vous offrir d'être plus que le roi.

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C'est ainsi que M. de La Fayette croyait cacher son ambition par son exagération même, et il par-. lait d'abdiquer avant d'avoir su usurper.

Pour revenir à l'objet de ma mission, au bout de quelques jours mon entrevue avec le comte de Fersen fut arrangée par M. l'évêque de Pamiers, ainsi que nous en étions convenus. Je pris les plus grandes précautions pour qu'on ne pût me voir

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entrer chez une personne qui, par son assiduité au château, devait être suspecte au parti opposé; mais, soit négligence, ou excès de confiance, il est certain qu'on observait peu ses démarches. J'arrivai donc de nuit dans une maison très-retirée, au coin de la rue de Matignon, faubourg Saint-Honoré, et après nous être assurés que nous ne pouvions être entendus, nous entrâmes en matière.

D'après les ordres qu'il en avait reçus du roi, M. de Fersen me mit d'abord au fait de l'état des négociations que Sa Majesté avait déjà entamées, pour sa délivrance, avec les puissances étrangères, et qui n'étaient encore guère avancées. On avait des raisons de compter sur les bonnes et utiles dispositions des cantons suisses, quoique la forme du gouvernement helvétique, presque incompatible avec le secret, eût empêché de s'en procurer la certitude complète. On avait aussi reçu des marques d'intérêt des cours de Vienne, de Madrid et de Stockholm, mais qui se bornaient à des promesses bien éloignées et assez vagues de services. Indépendamment de l'insouciance que rencontre presque toujours le malheur auprès des hommes et surtout auprès des cours, celles-ci paraissaient encore, si ce n'est refroidies, au moins ralenties par l'influence de la Prusse et de l'Angleterre. Il ne semblait pas douteux alors que cette dernière n'eût suscité et n'entretînt les troubles de la France, et que, pour distraire entièrement l'empereur de

la part qu'il pourrait y vouloir prendre, ces deux puissances réunies ne fomentassent la guerre qu'il avait alors à soutenir tant contre les Turcs que contre ses propres sujets du Brabant. Les secours d'hommes qu'il pouvait donner n'étaient donc que très-incertains, et le devenaient encore davantage par la condition que ce prince paraissait y mettre, que le roi de France se fût assuré d'un parti dans l'intérieur, et eût fait une démarche décisive avant que l'on pût ou que l'on voulût l'aider. Il était aisé de découvrir que ce souverain désirait engager le roi et plonger la France, dans une guerre civile pour y prendre une part toujours avantageuse aux auxiliaires, plutôt que de faciliter les moyens de faire rentrer les factieux dans le devoir par un appareil auquel ils n'avaient ni la force ni la volonté de résister. C'était cependant sur cet allié que l'on me parut comper le plus; et les intrigues de M. de Mercy, alors ministre dans le Brabant, qui avait conservé de l'influence sur la reine, ainsi que l'illusion que cette princesse cherchait naturellement à se faire sür l'appui qu'elle devait attendre de sa famille, ne permettait pas au roi ni à ses agens d'avoir de la méfiance envers le cabinet de Vienne, et me permettait encore moins d'en témoigner. Ainsi il fallut se contenter des espérances vagues, des promesses conditionnelles et spécieuses que l'on recevait; mais il était difficile d'y compter entièrement, et, si les mauvaises intentions des cours de

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