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qu'à Varennes où les précautions furent négligées, et que la famille royale en fut la victime. Vous terminez l'exposé rédigé par vous-même, en disant qu'ayant demandé de mes nouvelles et de celles de M. Goguelat, à peine put-on vous en donner, et que vous n'en entendîtes plus parler. Vous avez sans doute oublié, Monsieur, l'inquiétude que vous daignâtes avoir lorsque successivement on vous dit que j'étais arrêté, blessé ou tué. Vous sûtes ensuite que n'ayant pas voulu quitter le roi, qu'ayant préféré notre devoir à notre sûreté, M. de Damas, M. de Goguelat et moi fûmes long-temps entre la vie et la mort; que nous fûmes mis au cachot à Varennes, conduits ensuite dans les prisons de Verdun ; M. de Goguelat, qui était blessé, dans celles de Mezières ; que je fus mis en accusation par l'Assemblée nationale et conduit dans les prisons de la haute-cour d'Orléans; que le roi a dit hautement que, parmi les motifs d'acceptation de la constitution, il avait eu celui de nous sauver la vie, et que rendu près de sa personne, et n'ayant été séparé de lui qu'à l'instant où il fut mis au Temple, je n'ai cessé d'être comblé des marques de sa bonté, de sa confiance, de sa protection, ainsi que de celles de la reine. Je n'avais pas démérité à leurs yeux dans cette occasion importante, et leur suffrage est ma plus éclatante réponse.

Mais, Monsieur, puis-je oublier que j'eus le bonheur de voir ma conduite mieux appréciée par vous? Puis-je oublier cette lettre honorable, en réponse à celle que j'eus l'honneur de vous écrire de la part du roi, relativement à des objets pécuniaires, ans aquelle vous me dites : Je sais qu'on m'a desservi près l'u roi; je sais n'est que ce pas vous; mais des personnes qui ont des reproches à se faire cherchent à me donner des torts. Si tout le monde eût fait son devoir comme vous, Monsieur, nous ne serions pas dans la position où nous

sommes.

Croyez, Monsieur, que votre suffrage a été et sera toujours pour moi une gloire et un bonheur, et qu'il m'est bien pénible d'entrer avec vous dans une discussion aussi affligeante.

Acceptez, je vous supplie, l'hommage que j'aime à rendre au général sous lequel j'ai été heureux de servir, et l'assurance des sentimens avec lesquels

J'ai l'honneur d'être, etc., etc.

Signé DUC DE CHOISEUL.

N° 12.

Réponse de M. le marquis de Bouillé à M. le duc de Choiseul.

Londres, le 14 août 1800.

J'ai reçu, Monsieur, les deux pièces que vous m'avez adressées, relativement aux articles de mes Mémoires qui concernent feu M. le duc de Choiseul et vous, et je commencerai par répondre à ce qui regarde le premier.

Je regretterais infiniment que ce que j'en ai dit eût pu affliger madame la duchesse de Choiseul, dont personne, plus que moi, ne respecte et n'honore les vertus, si je n'avais toujours pensé que le jugement sur la conduite des hommes en place est un droit du public, et si je ne pensais qu'elle-même a dû en faire souvent l'épreuve, pendant et depuis le ministère de son mari. Le caractère politique des hommes publics appartient à ce même public, et point à leur famille ; celle d'un ministre, qui a gouverné il y a plus de trente ans, ne saurait pas plus s'offenser du jugement que je porte sur son ministère, que la mienne ne pourrait le faire du blâme qu'on jetterait sur la petite carrière politique que j'ai parcourue. Ce n'est que sous ce rapport que j'ai parlé de M. de Choiseul; je n'ai point attaqué son personnel qui lui avait acquis, à juste titre, des partisans et des amis; c'est à ceux qui liront l'article de mes Mémoires qui concerne sa conduite, à juger de l'opinion que j'en ai donnée. Je ne rétracterai donc rien de ce que j'ai dit dans mon ouvrage que j'ai livré avec réflexion au public, et dans lequel j'ai cherché à dire des vérités utiles, faisant abstraction de toute personnalité. D'après cette résolu

tion, je n'entrerai point dans les détails de la réfutation que vous m'avez adressée de la part de madame de Choiseul, quoiqu'il me fût aisé de la réfuter à mon tour, et pour le prouver, Monsieur, je n'en citerai que l'article concernant les troubles de l'Amérique. Il est allégué que M. de Choiseul n'a pu y avoir part, son ministère ayant fini en 1770. Tout le monde sait qu'ils ont commencé en 1765, et la part que le ministère français y avait, et j'ai été plus à portée qu'un autre de le savoir étant gouverneur de la Guadeloupe en 1768, et ayant eu, par ma place, des rapports avec l'Amérique.

Quant au compte que j'ai cru devoir rendre au public de ma conduite dans le malheureux événement du départ du roi, j'entrerai dans le plus grand détail pour cette fois seulement, ne voulant me livrer désormais à aucune discussion polémique incompatible avec l'état actuel de ma santé, et qui ne convient ni à mon caractère, ni à la situation que j'occupais lors des grands événemens que j'ai rappelés et que je dirigeais.

Tant que j'ai espéré que le roi et la monarchie survivraient à nos malheurs, j'ai gardé le silence, mon intention étant de demander un conseil de guerre pour juger les causes et les personnes qui avaient nui au succès de cette importante affaire; en conséquence, j'écrivis en 1792 à M. le baron de Breteuil alors à Verdun, auprès du roi de Prusse, et muni des pouvoirs de premier ministre de Louis XVI. Je lui adressai un Mémoire pour le roi (qui doit être inséré dans l'ouvrage de M. Bertrand), par lequel je sollicitais un jugement, assurant S. M. que jusque-là je ne prendrais aucun emploi dans le gouvernement. Les événemens postérieurs m'ayant ôté la possibilité d'obtenir cette satisfaction, et m'étant vu attaqué par ceux même qui avaient dû coopérer sous mes ordres, j'ai pris la plume, le seul moyen qui me restait pour ma défense que j'ai publiée dès que d'autres occupations et le temps nécessaire pour la rédiger mûrement me l'ont permis. J'ai parlé avec la justice et la vérité qu'un général doit à ses subordonnés,

et je l'ai observée aussi exactement à votre égard qu'à celui des autres.

J'ai donc dû dire que vous aviez quitté votre poste à Pontde-Sommevelle, malgré les ordres précis que je vous avais donnés d'y attendre le roi, et quoique, dans l'écrit que vous venez de m'adresser, vous ayez passé cette faute sous silence, j'ai dû la représenter comme d'autant plus gravé, que vous savicz que ce poste que vous occupiez était la cheville ouvrière de l'exécution du projet, et votre détachement le principal chaînon de l'escorte du roi, qui n'eût pas été arrêté vraisemblablement à Varennes, si cette première disposition, d'où dépendait le succès de toutes les autres, avait été exécutée. Votre présence à Pont-de-Sommevelle donnait de la tranquillité au roi qui a été étonné et déconcerté de ne pas vous y trouver. Vous deviez le secourir à Châlons, s'il y était reconnu et arrêté, ainsi que nous le craignions; j'en étais convenu avec vous et avec M. de Damas dans notre dernière entrevue. Vous deviez protéger sa route en le suivant jusqu'aux détachemens què l'exemple du vôtre aurait probablement entraînés. Vous deviez en laisser un sur la croisière du chemin de Sainte-Menehould à Varennes pour arrêter, d'après mes ordres, tous les voyageurs et courriers, ce que vous n'avez pas fait, et ce qui est cause que l'aide-de-camp de M. de La Fayette est arrivé à Varennes. Vous deviez enfin faire avertir tous les postes du passage du roi, ce qui donnait le temps au relais de Varennes d'être placé à l'entrée de la ville: c'était pour cet objet que M. de Goguelat et vous, aviez des relais de chevaux de selle dans cette ville et sur la route.

Toutes ces mesures, qui dépendaient de l'exécution des ordres que je vous avais donnés, ont été, je le répète, déconcertées par votre retraite de Pont-de-Sommevelle; et si, dans tous les cas, la désobéissance aux ordres d'un général est coupable, elle l'est encore plus dans celui-ci.

Cependant, Monsieur, j'ai allégué en votre faveur des raisons que vous aviez données de votre retraite, toutes mau

vaises que je les trouve, et je n'ai pas ajouté à votre charge que vous avez été d'autant moins excusable de quitter le poste que je vous avais confié, que n'ayant précédé le roi que de douze heures, vous étiez plus sûr qu'un autre de sa résolution.

Vous avez mal lu mes Mémoires, Monsieur, si vous y avez trouvé que je vous reproche d'avoir dit aux détachemens de Sainte-Menehould et de Clermont de ne plus attendre le roi. J'ai dit que vous les aviez informés, et on informe verbalement comme par écrit. Je sais très-bien que vous n'avez passé ni à Sainte-Menehould ni à Clermont, et plût à Dieu que vous eussiez pris cette route! Mais je sais aussi, par une persone très-digne de foi, et à qui j'en ajoute comme à moi-mêrue, qu'elle a eu communication de l'avis donné de votre part au poste de Clermont de ne plus attendre le roi. La parole que j'ai donnée à cette personne de ne point la nommer, et qui m'a empêché de la faire connaître dans mes Mémoires, m'impose la même loi aujourd'hui; mais, dans un conseil de guerre, je n'eusse pas gardé le même ménagement, et je l'eusse appelée en témoignage.

J'ai dit que vous aviez l'ordre de délivrer le roi les armes à la main s'il était arrêté, et vous ne pouvez contester cet ordre (il a été donné à M. de Damas qui en convient). Cependant, au lieu d'attaquer à Varennes le peuple qui l'y retenait, vous avez mis bas les armes avec votre détachement. Le roi a pu, dans cette occasion, comme dans celles que j'ai rappelées, vous excuser et vous pardonner; mais moi, votre général, moi, chargé de la responsabilité d'un événement qui roulait sur moi, j'ai dû dire vos fautes.

Dans ce que j'ai dit sur la disposition de votre relais, vous n'êtes ni le seul ni le plus inculpé; la circonstance que je vous ai attribuée est de peu d'importance, et serait un tort léger; je ne l'ai rappelée que pour rassembler toutes les causes plus ou moins éloignées qui ont pu nuire au succès de cet événement, et celle-ci est une des moindres; mais j'ai dû regretter,

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