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premier abord. En retraçant la vie du plus populaire et du plus original de nos poëtes, j'ai voulu aussi mieux faire connoître son siècle, et présenter, sous un nouveau point de vue, l'époque la plus brillante de nos fastes littéraires et de notre grandeur politique. La Muse de l'histoire ne trahit point ses devoirs et ne méconnoît pas ses attributions quand elle abandonne les champs de bataille, les assemblées du peuple et du sénat, et les palais des rois, pour s'introduire dans la modeste demeure de l'homme de génie; quand elle assiste à ses travaux; qu'avec lui elle prend part aux luttes académiques et se complaît aux jeux du théâtre ; quand elle se mêle aux cercles brillants dont il fit les délices, et quand enfin elle nous instruit et nous amuse par la peinture fidèle des mœurs et des habitudes de nos ancêtres. Si elle se trouve forcée de quitter alors son attitude imposante et de se dépouiller de ses majestueux ornements, plus humble dans son maintien, et plus simple dans ses atours, elle n'en a pas moins la vérité pour guide et l'utilité de l'homme pour objet. Les révolutions, les guerres, les famines, les usurpations et les vengeances que les annales de tous les peuples nous présentent, attristent notre imagination par des couleurs uniformes et sombres. Les tableaux dont se compose l'histoire des destinées individuelles nous offrent des teintes plus douces, plus attachantes, et plus variées. Les préjugés des siècles passés, les changements des coutumes et des usages, l'inégalité des rangs, des professions et des fortunes, y multiplient à l'infini les nuances et les contrastes, et donnent aux mêmes penchants, aux mêmes actions, des aspects toujours divers et un intérêt toujours nouveau. Cependant, il faut l'avouer, l'historien nous offre de plus hautes et de plus importantes leçons que le

biographe; mais sont-elles également profitables? C'est ce dont il est permis de douter. En effet l'histoire politique ne peut être mise à profit que par ceux qui exercent de l'influence sur les destinées des états, et ceux-là, outre qu'ils sont en petit nombre, sont presque toujours trop enivrés par le pouvoir, trop entourés de flatteurs, et trop fortement entraînés par le torrent des affaires, pour avoir le temps, ou la volonté, de se prévaloir de la comparaison du présent avec le passé. La masse des lecteurs est composée d'hommes qui, dans leurs conditions privées, jouissent de plus de loisirs et ne sont point environnés de tant d'écueils et de tant de prestiges. Ceux-ci trouvent dans le récit des aventures privées, des instructions pour tous les âges et toutes les professions, des sujets de consolation pour toutes les douleurs, des motifs d'espérance pour toutes les infortunes: enfin ils y découvrent sans cesse, avec ce qui les concerne, des points de similitude qui les portent à réfléchir sur eux-Liêmes, suppléent à l'expérience, mûrissent le jugement, développent la sensibilité, source des vertus douces, et font éclore les nobles sentiments, mobiles des action:s généreuses.

DE LA VIE ET DES OUVRAGES

DE

J. DE LA FONTAINE

LIVRE PREMIER.

1621-1661.

Je me propose d'écrire la vie de La Fontaine, ou plutôt je vais entretenir mes lecteurs de La Fontaine et de ses ouvrages; car aucun événcment digne d'être raconté n'a signalé le cours de sa longue et heureuse carrière. Ses premières poésies, dès qu'elles parurent, lui acquirent une grande réputation. Il fut chéri et loué par les écrivains les plus illustres de son temps; les hommes les plus remarquables par leurs hauts faits, leurs talents, leur puissance ou leurs richesses, les femmes les plus célèbres par le rang, les graces ou l'esprit, recherchèrent sa société,

HIST.

I

protégèrent ou charmèrent ses loisirs': l'amitié lui épargna même jusqu'aux soins et aux soucis de sa propre existence. Il laissa doucement couler ses jours, et s'abandonna sans contrainte à ses goûts et à son génie. Après sa mort, par reconnoissance pour lui, sa famille fut dispensée d'acquitter les charges publiques; et lorsque la gloire, la science, la vertu, l'innocence et la beauté ne pouvoient fléchir le cœur des bourreaux de la France, le nom seul de La Fontaine sauva d'une mort inévitable ses derniers descendants. Enfin, de nos jours où l'on s'est plu à déprécier le grand siècle qui le vit naître, non seulement il échappa à l'ingratitude de cette envieuse postérité, mais presque tous ceux qui voulurent le peindre lui prêtèrent, dans leurs Notices ou leurs Éloges, des vertus qu'il n'avoit pas. L'enthousiasme qu'ont fait naître ses délicieux ouvrages n'est pas la seule cause de cette disposition de tous à la bienveillance pour ce qui le concerne. La bonté, qui faisoit le fonds de son caractère, et qui se manifeste dans ses écrits, exerce sur les ames un empire plus puissant que

1 Walck., 1" édition de l'Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, 1820, in-80 , p. 339, note 1.

Madame la comtesse de Marson, arrière-petite-fille de La Fontaine, et ses enfants. Voyez Creuzé de Lesser, Fables de La Fontaine, édit. 1813, in-8°, Didot aîné, tome I, p. xx1x, et Walck., 1" édit., p. 340, note 2.

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