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Nous avons changé de méthode,
Jodelet n'est plus à la mode,

Et maintenant il ne faut pas

Quitter la nature d'un pas1.

Jodelet, dont il est ici question, étoit un personnage de comédie, emprunté au théâtre espagnol, que Scarron introduisit le premier sur la scène françoise, et qui depuis occupa successivement la plume de différents auteurs, jusqu'à Brécourt qui donna en 1665 La feinte mort de Jodelet. Cette mort ne fut pas feinte, car cette pièce ennuya et ne reparut plus. Comme le dit ici La Fontaine, Molière parvint à changer la mode. Ce grand comique avoit d'abord étudié avec succès la théologie, et ses parents le destinoient à l'état ecclésiastique, mais il devint amoureux de la Béjart, alors actrice dans une troupe de campagne. Il la suivit et quitta les bancs de la Sorbonne pour le théâtre. L'Amour le fit comédien, mais la Nature l'avoit créé poète. Il devint bientôt le chef de la troupe dans laquelle il s'étoit enrôlé, et l'enrichit par ses compositions. Lorsque La Fontaine écrivoit cette lettre, Molière avoit déja commencé la réforme de la scène comique, et notre poëte non seulement se montre ici bon

La Fontaine, Lettres, 2, t. VI, p. 509.

2 Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits.

juge de son mérite, mais semble prévoir encore les chefs-d'œuvre qu'il devoit produire.

La Fontaine peint ensuite le feu d'artifice qui termina cette superbe fête :

Figure-toi qu'en même temps
On vit partir mille fusées,
Qui par des routes embrasées
Se firent toutes dans les airs
Un chemin tout rempli d'éclairs,
Chassant la nuit, brisant ses voiles'.

Après le feu d'artifice, il y eut un bal, et l'on dansa jusqu'à trois heures du matin; ensuite on servit une collation magnifique: lorsqu'on se retira, des milliers de fusées volantes répandirent la plus brillante clarté au milieu de la nuit la plus obscure.

Non seulement le roi, mais la reine-mère, MONSIEUR, MADAME, tous les princes et les seigneurs de la cour de Louis XIV se trouvoient présents. Dans le commencement de cette soirée, Fouquet croyoit avoir atteint le terme de ses desirs, et étoit comme enivré de son bonheur, lorsqu'il reçut tout-à-coup un billet de madame du Plessis-Bellière, sa confidente et son amie2, qui lui

La Fontaine, Lettres, 2, t. VI, p. 510.

a Choisy, Mémoires, p. 68.

annonçoit que le roi avoit eu le projet de le faire arrêter à Vaux, et que la reine-mère seule l'avoit fait changer de résolution. Ainsi, tandis que la foule jouissoit avec délices de tous les plaisirs réunis dans cette superbe fête, la colère, la haine, la jalousie, fermentoient dans le cœur du monarque auquel on la donnoit; et le maître de ces lieux enchanteurs, qui avoit tout préparé, tout ordonné, qui présidoit à tous ces jeux brillants, étoit frappé de crainte, et forcé de déguiser sous un front serein, et par de continuels sourires, le noir chagrin dont il étoit obsédé.

Tout ce qui concerne Fouquet se trouve tellement lié avec la vie de notre poëte, dont ce mi nistre fut si long-temps le protecteur et l'ami, que nous ne pouvons nous dispenser d'exposer avec quelques détails les causes de la disgrace de ce dernier surintendant des finances.

Après la mort du marquis de Vieuville, Nicolas Fouquet, déja maître des requêtes et procureur général au parlement de Paris, fut en février 1653 nommé surintendant, principalement par l'influence de l'abbé Fouquet, son frère, qui avoit du crédit auprès de la reinemère et du premier ministre Mazarin'. Quoique

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Fouquet, Défenses, 1665, in-18, t. II, p. 58, 67; Bussy-Rabutin, Histoire abrégée du siècle de Louis-le-Grand, 1699, in-12, p. 70; Monglat, Mémoires, t. IV, p. 206;

Nicolas Fouquet ne fût pas le seul surintendant, et qu'il eût un collègue dans Servien, cependant sa grande habileté le fit bientôt considérer comme le principal administrateur des finances du royaume. Quand il fut nommé, le trésor, ou l'épargne, comme on s'exprimoit alors, étoit dé nué d'argent. Fouquet fit face à tout par son seul crédit: il engagea ses biens, ceux de son épouse, emprunta sur sa signature des sommes considérables à Mazarin lui-même; et, trouvant des ressources pour subvenirà toutes les dépenses, il déguisa toujours la pénurie des finances'. Comme il les gouvernoit seul, et qu'il en eut seul le secret, il amassa des sommes immenses, et osa exploiter à son profit certaines branches de revenu public, tandis que le premier ministre se faisoit un patrimoine des places et des dignités, dont il trafiquoit ouvertement. Mais Mazarin étoit avare, et Fouquet étoit généreux, et même prodigue. Le premier ministre n'amassoit tant de millions que pour les renfermer dans ses coffres; le surintendant ne sembloit en quelque sorte desirer les richesses que pour les dépenser et les répandre. Mazarin vendoit toutes les graces de la

Mémoires pour servir à l'histoire du dix-septième siècle, 1760, in-8°, t. I, p. 86; Voltaire, Siècle de Louis XIV, édit. de Kehl, t. XXIV, in-12, ̃p. 18 et 22; Anquetil, la cour et le régent, t. I. p. 71, 89.

1 La Fare, Mémoires, 1750, p. 21.

couronne; l'argent de Fouquet alloit trouver ceux qui en avoient besoin. Il avoit en quelque sorte à sa solde les poëtes, les artistes, et tous les hommes de mérite de ce temps, et il donnoit ainsi un noble exemple au jeune monarque, dont les vues sordides de Mazarin auroient pu rétrécir les idées. Il faisoit des pensions à tous les hommes puissants de la cour qui vouloient s'attacher à ses intérêts; et un grand personnage de ce temps dit, dans ses mémoires, que, pour être porté sur sa liste, il n'y avoit en quelque sorte qu'à le vouloir1. Fouquet, par une telle conduite, fit bientôt ombrage au premier ministre; il s'étoit aussi brouillé avec son frère qui, l'ayant porté par son crédit à la place qu'il occupoit, avoit cru pouvoir le gouverner. L'abbé Fouquet, homme débauché, imprévoyant, dans sa colère excita contre le surintendant plusieurs femmes qui avoient du crédit auprès de la reine-mère, entre autres la duchesse de Chevreuse habile en intrigue. Il se forma donc à la cour deux partis, l'un pour renverser Fouquet, l'autre pour le maintenir. D'un côté étoient les vieux courtisans qui, refusant les graces du surintendant, ne s'attachoient qu'au premier ministre; de l'autre les jeunes seigneurs qui ne songeoient qu'à se diver

Bussy-Rabutin, Mémoires, 1769, in-12, p. 315, ou t. II. p. 107, édit. de 1721.

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