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" et dont il impose les conditions avec toute la « modération que peuvent souhaiter nos en« nemis1. >>

Le maréchal de Luxembourg, après le glorieux combat de Steinkerck, avoit en effet remporté une victoire plus importante encore, à Nervinde, le 29 juillet 1693. Cependant toutes ces batailles produisoient plus de gloire que d'avantages réels; et il paroît que Louis XIV offrit alors de faire la paix; mais les conditions qu'il voulut dicter parurent trop dures, et bien éloignées de cette modération, pour laquelle La Fontaine le loue: aussi elles ne furent point acceptées; notre poëte n'eut pas le bonheur de voir conclure cette paix qu'il desiroit tant2.

Nous avons déja eu occasion de citer3 les vers de la première fable du recueil dont nous nous occupons, par lesquels La Fontaine réitère au duc de Bourgogne l'aveu qu'il avoit déja fait en prose que son talent s'affoiblissoit; on ne s'en aperçoit pas dans la plupart des fables nouvelles que contient le recueil, et qui ont dû être au nombre des dernières que l'auteur a composées. Celle qui termine le volume, intitulée : le Juge arbitre,

La Fontaine, Fables, XII, Épître dédicatoire, t. II, p. 244.

2 Elle ne fut signée que le 29 octobre 1697 à Riswick. Torcy, Mémoires, 1" édit., t. I, p. 50; Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. 27, t. XXIII, p. 226, édit de Kehl, in-12; Hénault, Abrégé chronologique, t. II, p. 706.

3 Voyez ci-dessus, p. 535.

l'Hospitalier et le Solitaire, que le père Bouhours avoit déja, quelques mois auparavant, placée à la fin de son Recueil de vers choisis, est une des meilleures que La Fontaine ait écrites. Elle se recommande à l'attention des lecteurs, non seulement par le talent du poëte, mais aussi par l'importance de la morale qu'elle sert à incul

quer.

Apprendre à se connoître est le premier des soins
Qu'impose à tout mortel la majesté suprême.

Magistrats, princes, et ministres,

Vous que doivent troubler mille accidents sinistres, Que le malheur abat, que le bonheur corrompt, Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne. Si quelque bon moment à ces pensers vous donne, Quelque flatteur vous interrompt.

Cette leçon sera la fin de ces ouvrages:

Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir!
Je la présente aux rois, je la propose aux sages:
Par où saurois-je mieux finir1?

Dans ce volume, comme dans les quatre autres qui l'avoient précédé, on retrouve toujours cette morale indulgente qui pénétre le cœur sans le blesser, amuse l'enfant pour en faire un homme, et l'homme pour en faire un sage. C'est toujours ce poëte, que nul n'a égalé dans l'art

La Fontaine, Fables, XII, 27, t. II, p. 324 et 325.

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de donner des graces à la raison, et de la gaieté au bon sens; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence'.

Quoique La Fontaine ait en quelque sorte fait ses adieux au public comme fabuliste, par les vers que nous venons de citer, cependant il paroît avoir encore produit plus tard quelques fables. Du moins, il est certain qu'il en composa une qu'on n'a pu retrouver depuis. Elle étoit traduite ou imitée de la fable latine du père Commire, intitulée l'Ane juge2. Et ce fut à cette occasion que ce savant jésuite fit les vers latins dont nous avons parlé précédemment3. C'est par ces vers4 que nous apprenons la perte que nous avons faite. Cependant, c'est probablement la seule de ce genre que nous ayons à regretter; car, à cette époque, La Fontaine semble avoir été uniquement occupé du projet qu'il avoit conçu de mettre en vers les hymnes de l'Église on voit par un fragment d'une lettre à son ami de Maucroix, en date du 26 octobre

:

Chamfort et La Harpe, Éloges de La Fontaine dans le Recueil de l'Académie des belles lettres, sciences et arts de Marseille, pour l'année 1774, p. 2 du 1" et du 2' éloge.

2 Joannis Commirii, Carmina, 3o édit., 1689, in-12, p. 315, fab. 11. L'elegante traduction de cette fable, qui a paru dans le Journal des Débats, le 6 décembre 1822, sous le nom de La Fontaine, est de M. Le Bailly.

3 Voyez ci-dessus, p. 410.

4 Joannis Commirii, Opera posthuma, 1704, p. 211; Œuvres de La Fontaine, préfaces de l'éditeur, t. I. p. cxxxII et t. VI, p. XI.

1664, qu'il ne pouvoit se passer du commerce des Muses, dont il s'étoit fait une longue habitude. « J'espère, dit-il, que nous attrape<< rons tous deux les quatre-vingts ans, et que <«<j'aurai le temps d'achever mes hymnes. Je << mourrois d'ennui, si je ne composois plus. << Donne-moi tes avis sur le Dies ira, dies illa, que je t'ai envoyé. J'ai encore un grand dessein, « où tu pourras m'aider. Je ne te dirai pas ce que «< c'est, que je ne l'aie avancé un peu davan<< tage'. »

«

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Nous ignorons quel étoit ce grand dessein de La Fontaine. Il ne nous reste rien non plus des hymnes ou psaumes, qu'il avoit traduits ou imités dans les derniers temps de sa vie; et, s'il faut dire toute notre pensée, cette perte nous semble peu regrettable. La Fontaine, qui a monté sur des tons si divers, et fait résonner avec tant d'habileté la lyre d'Apollon, n'avoit pas cependant le genre de talent nécessaire pour toucher avec succès la harpe sacrée, et ce n'est pas lorsqu'il étoit courbé sous le poids des années, qu'on pouvoit concevoir quelque espérance de le lui voir acquérir. D'ailleurs, les souhaits qu'il exprimoit dans la lettre que nous ve

'La Fontaine, Lettres à divers, 33, t. VI, p. 627; Œuvres posthumes de F. de Maucroix, 1710, in-12, p. 348.

HIST.

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de Maucroix,

nons de citer se réalisèrent pour qui vécut jusqu'à quatre-vingt-dix ans, mais non pas pour lui, dont les forces diminuèrent de jour en jour. Il paroît qu'on croyoit qu'il avoit l'esprit frappé, et que ses amis considéroient les craintes qui l'agitoient comme chimériques, puisqu'il écrivit à de Maucroix, le 10 février 1695, le billet suivant :

« Tu te trompes assurément, mon cher ami, « s'il est bien vrai, comme M. de Soissons me <«<l'a dit, que tu me croyes plus malade d'esprit «que de corps. Il me l'a dit pour tâcher de m'inspirer du courage; mais ce n'est pas de

«

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quoi je manque. Je t'assure que le meilleur de << tes amis n'a plus à compter sur quinze jours « de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, << si ce n'est pour aller un peu à l'Académie, afin " que cela m'amuse. Hier, comme j'en revenois, <«< il me prit, au milieu de la rue du Chantre, une « si grande foiblesse, que je crus véritablement « mourir. O mon cher! mourir n'est rien: mais songes-tu que je vais paroître devant Dieu? << Tu sais comme j'ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l'éternité seront « peut-être ouvertes pour moi'. »

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Le lecteur aura pu remarquer cette naïveté,

1 La Fontaine, Lettres à divers, 34, t. VI,

P. 628.

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