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nommé D. Jérôme, pour savoir s'il pouvoit recevoir cette aumône'.

Pouget, cependant, parvint facilement à convaincre La Fontaine qu'il se trompoit sur l'opinion qu'il avoit de ses Contes, et il le fit consentir à faire sur ce point une réparation publique; mais notre poëte montra beaucoup de résistance sur l'autre point exigé par son directeur, et qui nous reste à expliquer.

Pouget avoit appris que La Fontaine avoit composé, depuis peu, une pièce de théâtre qui avoit paru excellente à tous ceux qui l'avoient lue, et qu'il devoit bientôt la remettre aux comédiens pour la faire jouer. Pouget exigeoit que La Fontaine fit le sacrifice de cette pièce, se fondant sur ce que la profession de comédien étant interdite par les lois de l'Église, il n'étoit pas permis de contribuer au maintien de cette profession en travaillant à des pièces, pour les faire représenter. Le poëte, qui avoit encore présente à l'esprit la controverse, qui avoit eu lieu à ce sujet entre Nicole et son ami Racine, trouva cette opinion de Pouget trop sévère, et en appela au sentiment d'hommes plus âgés et plus instruits. Pouget y consentit volontiers, et pro

1 Louis Racine, Réflexions sur la Poésie, chap. v, art. 2, t. II, p. 303 des Œuvres complètes, édit. 1808, in-8°, en note.

mit d'avance d'acquiescer à la décision qui seroit rendue par des théologiens compétents. La Fontaine consulta la Sorbonne, et entre autres M. Pirot, savant professeur, et depuis chancelier de l'Église et de l'Université de Paris. Pirot et les autres docteurs de Sorbonne assurèrent à La Fontaine que son jeune directeur lui avoit dit la vérité, et n'avoit rien exagéré; alors il jeta sa pièce au feu, et comme il n'en avoit pas de copie, elle n'a jamais été publiée. Ces deux articles réglés, notre poëte se prépara à une confession générale; il y employa beaucoup de temps; sa tête étoit entièrement libre: il se confessa ensuite, ajoute Pouget, avec des sentiments de piété très édifiants.

Cependant la maladie de La Fontaine s'étant aggravée, les médecins jugèrent qu'il étoit temps de lui faire recevoir le Saint-Viatique. Il fixa luimême le jour, et convint la veille avec le jeune vicaire du curé de Saint-Roch, qu'il feroit prier Messieurs de l'Académie françoise de s'y trouver par députés. Le 12 février 1693, jour fixé, qui étoit le premier jeudi de carême, les députés de l'Académie se rendirent à dix heures du matin à l'église, et accompagnèrent le SaintSacrement, qu'on porta chez La Fontaine. Lorsque Pouget fut entré dans la chambre, elle se

trouva remplie de personnes de la plus haute distinction, et d'hommes de lettres qui, pour être témoins de cet acte pieux, s'étoient joints aux académiciens. Le Saint-Sacrement fut posé sur la table devant le malade, qui se trouvoit assis dans un fauteuil. Pouget fit les prières prescrites par le rituel, et dès qu'il les eut terminées, La Fontaine, en présence de cette nombreuse assemblée, exprima dans les termes les plus formels, son repentir d'avoir écrit ses Contes: il manifesta les intentions où il étoit de passer le reste de ses jours dans les exercices de la pénitence, et de ne plus s'occuper qu'à la composition d'ouvrages de piété. Pouget lui fit ensuite une exhortation pieuse, et le recommanda aux prières de tous les assistants. Tous se mirent à genoux et prièrent, tandis que le malade recevoit le Saint-Viatique.

Ainsi se termina cette pieuse cérémonie. La conversion de La Fontaine fit du bruit, et donna de la célébrité au jeune vicaire de Saint-Roch. L'abbé de Tallemant, de l'Académie françoise, et madame Deshoulières, qui se mouroient à la même époque, voulurent avoir aussi Pouget pour les assister dans leurs derniers moments'.

Pouget, dans les OEuvres diverses de M. de La Fontaine, édit. de 1729, in-8", P. XXVI.

Le bruit courut alors que La Fontaine avoit succombé à sa maladie, et en même temps Pellisson, qui étoit dans les ordres, et possédoit même un prieuré et une abbaye, mourut presque subitement le 7 février 1693, sans recevoir le Saint-Viatique'. Linière qui plaisantoit sur tout, fit sur-le-champ, lorsqu'il apprit cette double nouvelle, l'impromptu suivant:

Je ne jugerai de ma vie

D'un homme avant qu'il soit éteint:
Pellisson est mort en impie,

Et La Fontaine comme un saint.

Ce quatrain étoit injuste par rapport à Pellisson; et pour ce qui concernoit La Fontaine, il n'étoit vrai que par anticipation; car notre poëte se rétablit. Mais en retrouvant la vie, il ne retrouva plus l'amie qui en avoit fait le charme et la consolation. Madame de La Sablière étoit morte aux Incurables, le 8 janvier 16932. Sa maison que notre poëte habitoit depuis vingt ans, cessa d'être aussi la sienne 3. Il en étoit sorti

1 Notice sur Pellisson, t. I, p. cvi et cvII des OEuvres diverses, 1735, in-12; Dangeau, Mémoires, t. I, p. 412.

re

2 Dangeau, Mémoires, t. I, p. 409, sous la date du 9 janvier 1693; Walck., 1′′ édit., p. 484, note 61.

3 Sa maison de campagne fut possédée par M. le Duc ; et madame de Coulanges, en parlant de la société qui s'y réunissoit, disoit que «c'étoit les lieux saints aux infideles. » Lettre de madame de Coulanges, en date du 13 mai 1695, t. XI, p. 195 de l'édit. stéréotype de Grouvelle des Lettres de madame de Sévigné.

pour n'y plus rentrer', lorsqu'il rencontra dans la rue M. d'Hervart, qui lui dit avec empressement: << Mon cher La Fontaine, je vous cherchois pour vous prier de venir loger chez moi. » J'y allois, », répondit La Fontaine. D'où vient cet attendrissement involontaire que nous fait éprouver un dialogue si court et si simple? C'est qu'il semble nous retracer les vertus des premiers siècles; c'est qu'on y voit un ami incapable de douter un instant du cœur de son ami. Sans doute beaucoup de personnes alors auroient dit à La Fontaine comme M. d'Hervart, Venez loger chez moi; mais il n'y a que le seul d'Hervart auquel il ait pu répondre, J'y allois.

La Fontaine alla donc demeurer rue Plâtrière dans cet hôtel d'Hervart, célébre par les fresques de Mignard, et dont nous avons déja parlé 2. Pour connoître les touchantes attentions dont il fut l'objet chez son nouvel hôte, il suffit de rapporter un seul fait. Notre poëte avoit toujours été fort simple dans ses habillements;

Pouget, OEuvres diverses de La Fontaine, t. I, p. XXVII, édit. 1729, in-8°; d'Olivet, Histoire de l'académie françoise, t. II, p. 312; Perrault, Hommes illustres, 1696, in-folio, p. 84; Walck., 1" édit., p. 485, note 63.

2 Voyez ci-dessus p. 408. Conférez aussi Montenault, Vie de La Fontaine, t. I, p. XXVIII de l'édit. des Fables in-folio; Segrais, OEuvres, 1755, in-12, t. II, p. 135; Germain Brice, Description de Paris, 1685, t. I, p. 101; Gourville, Mémoires, t. I, p. 252 à 255; Fouquet, Recueil de défenses, t. IV. p. 215 et 243; Motteville, Mémoires, t. V, p. 406; Chaudon, Dictionnaire historique, art. Hervart, t. VI, p. 229; Walck.. 1" édit., p. 485, note 64.

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