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de Saint-Roch insista, et Pouget se prépara à obéir à son supérieur.

Le père de Pouget étoit lié avec La Fontaine : ce fut une occasion toute naturelle pour le jeune vicaire de s'introduire chez notre poëte, non comme pasteur, mais comme le fils d'un de ses amis. Il y alla donc, ne paroissant avoir d'autre but que celui de s'informer des nouvelles de sa santé de la part de son père; et, pour mieux déguiser son dessein, il se fit accompagner d'un homme de beaucoup d'esprit, intimement lié avec La Fontaine.

Il fut facile, dès cette première visite, de faire tomber la conversation sur la religion, puisque notre poëte alors en étoit assez fortement occupé. «M. de La Fontaine (dit Pouget dans la relation qu'il a donnée de cette conversion') étoit un homme fort ingénu, fort simple avec beaucoup d'esprit; il me dit avec une naïveté assez plaisante: «Je me suis mis depuis

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quelque temps à lire le Nouveau Testament: « je vous assure que c'est un fort bon livre; oui, «par ma foi, c'est un fort bon livre; mais « il y a un article sur lequel je ne me suis pas

Desmolets, Mémoires de littérature et d'histoire, t. 1; Bibliothèque françoise, 1737, in-12, t. IV, , p. 13 et 29; OEuvres diverses de La Fontaine, 1729, in-8°, t. I, p. 11 et 27. Sur Pouget, voyez encore Adry dans les Fables de La Fontaine, édit. de Barbou, p. 28.

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rendu, c'est celui de l'éternité des peines ; je ne

« comprends pas comment cette éternité peut << s'accorder avec la bonté de Dieu '.» « J'avois, continue Pouget, ces matières fort présentes, parceque je sortois de dessus les bancs de Sorbonne, où ces questions sont fort agitées; je lui expliquai sur cela, avec étendue et vivacité, les principes de saint Augustin et des autres pères ou théologiens. »

Pouget se retira; mais l'ami qu'il avoit amené resta. La Fontaine lui dit qu'il étoit très satisfait du jeune vicaire; que s'il prenoit le parti de se confesser, il ne vouloit pas d'autre confesseur que lui. Mais il ajouta qu'il avoit des difficultés sur lesquelles il desiroit des éclaircissements; et il pria son ami d'engager Pouget à revenir.

Pouget revint dans l'après-midi, et engagea seul avec La Fontaine de nouvelles discussions. Elles furent continuées deux fois par jour, pendant dix à douze jours consécutifs. La garde de La Fontaine qui se trouvoit en tiers à ces longues conférences, craignoit qu'elles ne fatiguassent son malade, et elle dit à Pouget, qui exhor

Diderot dans son Dialogue de Crudeli et de la maréchale D***, est, je crois, le premier qui ait prétendu que La Fontaine avoit dit à ce sujet «qu'il s'imaginoit que les damnés finissoient dans l'enfer comme le poisson dans l'eau. » Ce petit conte du philosophe a été répété par Chamfort et par M. Creuzé Delessert dans la Fie de La Fontaine, qui est en tête de l'édition des Fables, par Didot, 1813, in-8",

p. xxx.

toit le poëte à la pénitence: « Hé! ne le tourmentez pas tant, il est plus bête il est plus bête que méchant. » Cette femme étoit sur-tout singulièrement touchée de sa bonté et de sa douceur. Aussi, un jour que Pouget avoit été plus véhément qu'à l'ordinaire, sur les peines réservées aux pécheurs incrédules et endurcis, elle le tira dans un coin de la chambre, et lui dit, avec un air de compassion: « Monsieur, Dieu n'aura jamais le courage de le damner 1. »

Pouget, dans sa relation, nous apprend que La Fontaine mit, dans ses discussions avec lui, beaucoup d'abandon et de franchise. « C'étoit un homme, dit-il, qui, sur mille choses, pensoit autrement que le reste des hommes: aussi simple dans le mal comme dans le bien. Sa maladie le mit en état de faire des réflexions sérieuses; il saisissoit le vrai, et il s'y rendoit : il ne cherchoit point à chicaner. »

La Fontaine, après ces longues conférences, déclara à Pouget qu'il étoit convaincu, et voulut se confesser à lui; Pouget s'excusa sur sa jeunesse et sur son peu d'expérience; il offrit à notre poëte de continuer à le voir, et à l'aider de ses conseils, mais il tâcha de le déterminer à

1 D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-4". t. I, p. 311. Ces particularités ont été racontées à l'abbé d'Olivet par Pouget lui-même.

prendre un confesseur plus âgé. La Fontaine ne voulut point y consentir, et insista pour n'en avoir pas d'autre que le jeune vicaire du curé de Saint-Roch.

Alors celui-ci lui dit qu'avant de se rendre à ses desirs, il falloit qu'il se soumît à quelques conditions indispensables, sur deux points importants: le premier étoit relatif à ses Contes. Pouget exigeoit que La Fontaine prit l'engagement de ne faire usage du talent qu'il avoit pour la poésie, que pour travailler à des ouvrages de piété, et d'employer le reste de ses jours aux exercices d'une vie pénitente et édifiante; que non seulement il promît de ne contribuer jamais à l'impression ni au débit de ses Contes, mais encore qu'il fit une satisfaction publique, soit devant le Saint-Sacrement, s'il étoit obligé de le recevoir dans sa maladie, soit dans l'assemblée de l'Académie françoise, la première fois qu'il s'y trouveroit; et enfin qu'il demandât pardon à Dieu et à l'Église d'avoir composé ce

livre.

« M. de La Fontaine, dit Pouget, eut assez de peine à se rendre à la proposition de cette satisfaction publique. Il ne pouvoit s'imaginer que le livre de ses Contes fût un ouvrage si pernicieux, quoiqu'il ne le regardât pas comme irré

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préhensible, et qu'il ne le justifiât pas. Il testoit que ce livre n'avoit jamais fait de mauvaises impressions sur lui en l'écrivant, et il ne pouvoit pas comprendre qu'il pût être si fort nuisible aux personnes qui le liroient. Ceux qui ont connu plus particulièrement M. de La Fontaine, ajoute Pouget, n'auront pas de peine à concevoir qu'il ne faisoit pas de mensonge, en parlant ainsi, quelque difficile qu'il paroisse de croire cela d'un homme d'esprit, et qui connoissoit le monde. »

Cette assertion de Pouget se trouve confirmée par une naïveté plaisante de notre poëte, qui nous est racontée par Louis Racine. Avant que Pouget eût consenti à l'assister, Boileau et le grand Racine, instruits des bonnes dispositions de leur ami, lors des premières atteintes de sa maladie, lui avoient amené un bon religieux pour le confesser. Celui-ci exhortoit son pénitent à des prières et à des aumônes. « Pour

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des aumônes, dit La Fontaine, je n'en puis “ faire, je n'ai rien; mais on fait une nouvelle édition de mes Contes, et le libraire m'en doit donner cent exemplaires. Je vous les donne, << vous les ferez vendre pour les pauvres. » Le confesseur, presque aussi simple que notre fabuliste, alla consulter un célèbre prédicateur,

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