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temps, et dont il fait un éloge particulier; c'étoit l'Epitaphe d'un paresseux, que La Fontaine, dans un accès de gaieté, avoit faite contre lui-même, qui a été tant de fois réimprimée à la suite des contes et des fables, sous le titre d'Épitaphe de La Fontaine, mais qu'il faut toujours transcrire, parcequ'elle peint avec vérité sa molle indolence, et son aversion pour tous les tracas de la vie:

Jean s'en alla comme il étoit venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser:
Deux parts en fit, dont il souloit passer
L'une à dormir, et l'autre à ne rien faire'.

Cette pièce indique que La Fontaine avoit déjà vendu une portion de son patrimoine pour subvenir à sa dépense. Nous devons dire pour sa justification qu'il avoit trouvé la succession de son père embarrassée, et il est à propos de donner ici, d'après les papiers de famille que nous avons eu sous les yeux, les détails qui concernent la fortune de notre poëte, afin qu'à l'avenir ces reproches d'insouciance, et d'incurie, sur ses intérêts, qu'il a en partie mérités, soient cependant réduits à leur juste valeur. Les lecteurs in

La Fontaine, Épitaphes, 1, t. VI, p. 295; Walck., 1" édition, p. 352, note 43.

struits des changements monétaires ne doivent pas oublier, en lisant cet exposé, que les sommes étant énoncées par nous telles qu'elles se trouvent relatées dans les actes expriment, en monnoie actuelle, une valeur réelle à-peu-près double de leur valeur nominale.

Charles de La Fontaine mourut au mois de mars ou d'avril 1658': il devoit alors à son fils Jean, tant en principal qu'en intérêt, une somme de 11,977 liv.; à de Maucroix 17,600 liv.; aux héritiers Pidoux 4,067 liv.: ses legs pieux, les frais de ses funérailles, ses donations à ses domestiques, se montèrent à 3,000 liv., de sorte que le passif de sa succession fut de 36,644 liv. Notre poëte étoit son seul et unique héritier, attendu que Claude de La Fontaine, son autre fils, avoit, par acte passé le 21 janvier 1649, fait donation de tous ses biens à son frère Jean, au moyen d'une rente viagère de 1,100 liv. payable seulement après la mort de leur père. Quoique dans cet acte Claude eût stipulé qu'il faisoit à son frère cette donation, tant à cause de l'amitié fraternelle qui existoit entre eux, qu'à cause de son mariage avec Marie Héricart, cependant à l'époque de l'exécution, il se repentit de l'avoir souscrit, et prétendit qu'il étoit lésé. Notre poëte,

La Fontaine, Lettres, 15, t. VI. p. 478.

pas

ennemi de toute chicane, offrit à son frère de révoquer l'acte qu'ils avoient consenti entre eux, et de l'admettre au partage de la succession de leur père, mais à la charge par lui d'acquitter aussi sa part des dettes dont elle étoit grevée. Claude aima mieux transiger, et fit avec notre poëte un nouvel acte qui confirmoit la première donation, au moyen d'une somme de 8,225 liv. qui lui fut payée. Ainsi le passif de la succession de Charles de La Fontaine se trouva porté par cette nouvelle transaction à 44,869 liv.: en défalquant de cette somme celle de 11,977 due à l'héritier qui confondoit dans sa personne l'actif et le sif, il restoit toujours un total de 32,892 liv. qu'il falloit liquider. D'après ces détails il ne faut s'étonner que La Fontaine, qui n'étoit pas exactement payé de ce qui lui étoit dû par son père, et qui de plus avoit acquitté quelques dettes de sa belle-mère, se soit vu forcé du vivant même de son père, et dès l'année 1656, de vendre à son beaufrère, M. de la Villemontée, une ferme de Damar, et ensuite une maison et un domaine situés à Châtillon-sur-Marne qui lui avoient été concédés en échange, et à titre de supplément de prix, pour la ferme de Damar. Après la mort de son père, notre poëte, pour payer les dettes de sa succession, ne put s'empêcher de contracter des

pas

obligations pé

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cuniaires envers sa femme, qui se trouvoit séparée de lui quant aux biens. Nous apprenons, par un acte fait à Paris le 15 août 1661, qu'il lui paya alors la somme de 9,512 liv. 9 sous à valoir sur celle de 18,512 liv. dont il lui étoit redevable en vertu d'une transaction passée le 18 juillet précédent. Ce contrat fut signé dans l'enclos du Palais, chez M. Jannart, où logeoient aussi M. et madame de La Fontaine. Enfin en 1676 La Fontaine, après avoir cédé sa charge, se vit forcé de vendre aussi sa maison de Château-Thierry à Antoine Pintrel, son parent et son ami, afin d'acquitter une partie des dettes qu'il avoit contractées envers Jannart. Madame de La Fontaine reçut de son mari le reste du prix réservé sur cette vente'. C'est ainsi que, par suite d'embarras pécuniaires qui commencèrent dès sa jeunesse, La Fontaine s'habitua peu-à-peu à ne jamais mettre ses dépenses au niveau de ses recettes, et qu'il continua de manger, comme il le dit lui-même, son fonds avec son revenu: pourtant au total sa fortune, sans être considérable, eût été suffisante si sa femme et lui eussent su la gérer; mais tous deux manquoient d'ordre et d'économie, sans lesquels les plus grandes fortunes ne peuvent se maintenir.

1 Voyez les Pièces justificatives

Cependant si La Fontaine négligeoit ses propres affaires, il se mêloit quelquefois avec zéle de celles des autres; il rendoit la faveur, dont il jouissoit auprès du surintendant, profitable à ses compatriotes et à sa ville natale: ainsi au moyen d'une ballade dont le refrain est

L'argent sur-tout est chose nécessaire',

il obtint que le pont et la chaussée de ChâteauThierry, renversés par les débordements de la Marne, fussent réparés aux frais de l'État.

Les petites pièces que notre poëte se plaisoit à composer n'avoient pas toujours un but aussi important. Pour acquitter la dette qu'il avoit contractée, il n'oublioit pas d'adresser à madame la surintendante une ode ou une épître, lors de la naissance de chacun de ses enfants". Quelquefois un impromptu suffisoit pour payer un quartier de sa pension, comme celui qu'il fit pour le mariage projeté de M. de Mézières avec la fille du maréchal d'Aumont, qu'on devoit célébrer à Vaux3. En un mot, il ne laissoit passer presque aucun événement sans le chanter, sur un ton ou sérieux ou badin.

La Fontaine, Ballades, 5, t. VI, p. 232.

2 Ibid., Odes, 1, t. VI, p. 23.

3 Ibid., Madrigaux, 7, t. VI, p. 280,

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