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grand-prieur, à la tête de la brigade des gardes, et commença une troisième attaque. Les guerriers françois firent des prodiges; le prince d'Orange fut battu, et forcé de se retirer, après avoir perdu sept mille hommes 1. Dès que cette nouvelle fut arrivée à Paris, elle y causa une joie extraordinaire, et La Fontaine, pour témoigner la sienne, écrivit au chevalier de Sillery.

Carloman Philogène Brulart de Sillery, septième et dernier fils de Louis Roger Brulart, marquis de Sillery, étoit le frère de la marquise de Thibergeau', dont il a été fait mention précédemment. Après avoir été capitaine de vaisseau, il fut nommé colonel d'infanterie du régiment du prince de Conti, dont il étoit le premier écuyer. Le roi, en 1685, lui ôta ce régiment pour avoir suivi les princes auxquels il avoit défendu de partir3. Le chevalier de Sillery se trouvoit à la bataille de Steinkerck à côté du duc de Bourbon, qui, trois jours auparavant, étoit avec le roi à la prise de Namur. Notre poëte attribue la prompte reddition de cette célèbre forteresse à la présence du monarque et à son exemple. Il loue la géné

Anselme, Histoire généalogique de la maison de France, in-folio, 1726, t. I, p. 347; Hénault, Abrégé chronologique, t. II, p. 691. 2 Voyez ci-dessus, p. 287 à 290.

3 Dangeau, Mémoires, t. I, p. 104, en date du 15 avril 1685; Saint-Simon, OEuvres, t. XI, p. 86; Dictionnaire de la noblesse, 2° édit., in-4°, t. III, p. 293 et 294; Walck, OEuvres de La Fontaine, 1823, in-8, t. VI, p. 603, note 3.

rosité du duc de Bourbon dont il avoit reçu des bienfaits; et pour donner une idée de sa valeur ⚫ sur le champ de bataille, il le compare à un lion poursuivi par des chasseurs :

Tel on voit qu'un lion, roi de l'ardente plage,
De sang et de meurtre altéré,

Porte sur les chasseurs un regard assuré,
Et se tient fier d'être entouré

De mille marques de carnage'.

Cette comparaison étoit plus exacte que flatteuse. Saint-Simon nous peint M. le Duc avec un naturel farouche, et un courage féroce. « Il avoit, dit-il, un air presque toujours furieux, et en tout temps si fier et si audacieux, qu'on avoit peine à s'accoutumer à lui 2. »

En apprenant les grands succès remportés par l'armée du roi, une ambition patriotique, pour l'agrandissement de la France, s'empare du bon La Fontaine ; cependant il s'arrête, parcequ'il se rappelle sans doute les motifs qui firent supprimer les vers de son opéra.

Ah! si le ciel vouloit que nous eussions le tout!
Quel pays! Vous voyez ses défenseurs à bout.

La Fontaine, Lettres à divers, 32, t. VI, p. 622.

, Saint-Simon, OEuvres, t. III, p. 52.

HIST.

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Je n'en dirai pas plus, notre roi n'aime guères

Qu'on raisonne sur ces matières '.

Et en effet MADAME nous apprend que Louis XIV ne pouvoit souffrir que dans la conversation on parlât de politique. « Du temps du feu roi, ditelle, on avoit appris à toutes les dames à ne jamais s'entretenir de ces matières 2. »

Le chevalier de Sillery et sa sœur Gabrielle n'étoient pas les seuls personnages de cette noble famille qui s'intéressoient à notre poëte. Fabio Brulart de Sillery, abbé de Saint-Barte, étoit encore plus intimement lié avec lui, et avec de Maucroix. L'abbé de Sillery, après avoir permuté son évêché d'Avranches avec Huet, avoit été sacré évêque de Soissons peu de mois avant l'époque de la bataille de Steinkerck, et de la lettre de La Fontaine dont nous venons de nous occuper. Avantageusement connu par ses vers, ses sermons, et ses dissertations savantes, l'abbé de Sillery aspiroit dès-lors à être reçu dans l'Académie françoise ou dans celle des inscriptions3. Il fut successivement admis dans tou

La Fontaine, Leures à divers, 32, t. VI, p. 622.

7 MADAME, Fragments de lettres originales, in-12, t. I, p. 63 et 70.

3 Walck., OEuvres de La Fontaine, 1823, in-8°, t. VI, p. 158, note 1, et p. 628, note 2; Dictionnaire de la noblesse, t. III, p. 291; Walck., Vie de F. de Maucroix dans les Nouvelles œuvres diverses de La Fontaine, 1820, in-8°, p. 205 à 230; Lambert, Histoire littéraire de Louis XIV, t. I, p. 242 à 245. L'abbé de Sillery naquit le 25 octobre 1655.

tes les deux, mais notre poëte n'étoit pas destiné à être long-temps encore témoin de ses succès.

Jusqu'ici nous avons vu La Fontaine recherché pour son génie, aimé pour son caractère, répandu dans le monde, s'intéressant à tout ce qui s'y passoit, toujours occupé de ses plaisirs, et quelquefois de ses ouvrages, ou plutôt ne se livrant à la composition de ses ouvrages que parceque c'étoit pour lui un plaisir de plus. Il avoit, jusqu'alors, joui d'une santé robuste; mais vers la fin de l'année 1692, il fut attaqué d'une maladie qui fit craindre pour ses jours, et qui porta une irréparable atteinte à cette constitution vigoureuse dont la nature l'avoit doué. Notre poëte, par l'affoiblissement de ses forces, sentit enfin que la main du temps s'appesantissoit sur lui.

Par tempérament et par caractère La Fontaine étoit livré à deux penchants, qui, quoique opposés, ne sont pas incompatibles, celui des plaisirs, et celui de la mélancolie. Lorsque l'âge et les infirmités eurent enfin anéanti le premier, le second resta seul et le domina entièrement. Les idées religieuses qui dans sa plus tendre jeunesse s'étoient emparées de lui au point de lui suggérer l'idée de se renfermer dans un cloître, revinrent de nouveau frapper son esprit. Les

passions les avoient d'abord écartées; lorsque celles-ci eurent disparu, elles les remplacèrent. Alors madame de La Sablière s'approchoit de sa fin, et alloit bientôt terminer une vie depuis long-temps consacrée à la religion et aux bonnes œuvres. Les exhortations d'une amie presque mourante, d'une amie si constamment chérie, et si digne de l'être, jointes à celles de Racine, firent sur La Fontaine la plus forte impression. Son ame aimante et sensible, affaissée par le poids de sa tristesse, éprouva vivement le besoin des consolations célestes. Le curé de Saint-Roch, sur la paroisse duquel il se trouvoit, fut instruit de ses dispositions, et entreprit sa conversion.

Depuis quelques semaines le curé de SaintRoch avoit un jeune vicaire, nommé Pouget, qui s'est fait connoître depuis par de savants écrits, mais qui alors, âgé seulement de vingtsix ans, n'avoit jamais assisté ni confessé aucun malade. Ce fut lui qu'on choisit pour convertir La Fontaine. Pouget s'y refusoit, prétendant qu'un homme si célébre par des ouvrages scandaleux, et qui avoit vécu pendant si long-temps d'une manière si peu conforme aux règles du christianisme, avoit besoin d'un guide plus éclairé et plus expérimenté que lui. Mais le curé

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