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« sœurs) entreprendriez-vous de me préserver « du péril, à quoi je m'exposerois en m'allant « enfermer dans un château, où madame d'Her<< vart et ses nièces me retiendroient par en<<< chantement contre tout droit d'hospitalité? » Enfin il s'exprime à cet égard clairement, et donne le véritable motif de son refus : « de de« meurer tranquille à Bois-le-Vicomte pendant

(( que l'on répétera à Paris mon opéra, c'est ce qu'il ne faut espérer d'aucun auteur, quelque « sage qu'il puisse être1. »

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Il paroît qu'avant la représentation l'on disoit beaucoup de bien de la musique de Colasse pour Astrée, et La Fontaine en tiroit un bon augure.

Oh! si le dieu du Parnasse
Avoit inspiré Colasse,
Comme l'on dit qu'il a fait,
La chose iroit à souhait 2.

Colasse fut un des meilleurs élèves de Lulli qui l'employoit même pour composer quelques symphonies dans ses opéras, et il devint après lui le musicien en vogue; mais ses compositions, sans être plus savantes, étoient beaucoup plus froides que celles du Florentin : il eut la passion de chercher le secret de la pierre philosophale;

La Fontaine, Lettres à divers, 31, t. VI, p. 619.-2 Ibid., p. 620.

par là il se ruina, et affoiblit sa santé : il eût mieux fait de dérober le secret de Lulli son maître, qui, avec les sept notes de la musique, trouva le moyen de devenir millionnaire'.

Personne ne contestoit à La Fontaine sa supériorité dans la fable et dans le conte, mais lorsqu'il s'écartoit de ces deux genres il étoit en butte aux critiques. Aussi, dès qu'on sut qu'il avoit composé un opéra, et qu'on en connut le sujet, le mousquetaire Saint-Gilles', chanson ́nier plein de grace et conteur assez habile, fit une chanson contre cet ouvrage avant même qu'il eût été mis en musique. Après la représentation il courut un couplet épigrammatique, où l'on jouoit assez plaisamment sur le nom de notre poëte, comme dans le rondeau de Stardin.

On ne peut trop plaindre la peine
De l'infortuné Céladon,

Qui, sortant des eaux du Lignon,
Vint se noyer en La Fontaine3.

Linière, qui jamais ne manqua l'occasion de faire une débauche, et de lancer un trait satirique, composa aussi une chanson pleine d'injures

Dangeau, Mémoires, t. I, p. 200, sous la date du 12 mars 1687; Titon du Tillet, Parnasse françois, in-folio, p. 518; Walck., 1" édit., p. 482, note 49. > Saint-Gilles, Muse mousquetaire, 1709, in-12, p. 71.

3 Recueil de chansons historiques et critiques, manuscrit, in-folio, t. II, p. 241.

grossières contre l'auteur du nouvel opéra et contre son musicien. Le second couplet est ainsi conçu :

Reprends Bocace et d'Ouvile,
La Fontaine, c'est ton fait:
Crois-tu qu'il te soit facile
D'être modeste et discret?
Si ta Muse ne badine,
On verra la libertine
Plus sotte qu'une catin,
Qui fait la femme de bien '.

Enfin Le Noble, dont la vie fut si orageuse et les aventures si romanesques, qui a fait pour vivre tant de mauvais ouvrages, mais qui ne manquoit ni d'esprit ni de talent, dans une de ses Lettres morales sur les fables d'Ésope, publiées peu de temps après l'opéra d'Astrée, s'exprime de la manière suivante sur le compte de notre poëte qu'il désigne par le nom de Fuentès. « Il faut que Fuentès, qui conte avec tant de naïveté et d'agrément, et qui sur cette matière est un original inimitable, n'aille point se faire siffler dans un avorton d'opéra produit sur le théâtre des diminutifs de Lulli2. »

1 Recueil de pièces curieuses et nouvelles, La Haye, 1695, in-12, t. IV, partie 2, p. 206; Chansons historiques et critiques, manuscrit, in-folio, t. II, p. 241.

Le Noble, L'Esprit d'Ésope, ou nouvelle traduction de ses fables en vers, avec une lettre morale sur chacune, 1695, in-12, p. 18.

Il y avoit, dans ce que dit ici Le Noble, exagération et mauvaise foi. L'opéra d'Astrée ne fut point sifflé, mais il est vrai qu'il ne réussit que médiocrement puisqu'il n'eut que six représen

tations.

La Fontaine, dans un prologue dont il avoit, selon l'usage, fait précéder son opéra, avoit mis dans la bouche d'Apollon les paroles suivantes, que ce dieu adresse au chœur qui recommande avant tout de se soumettre à l'a

mour :

Vos chants sont pour l'amour, ma lyre est pour la gloire.
Du nom de deux héros je veux remplir les cieux,
De deux héros que la victoire

Doit reconnoître pour ses dieux.

Le Rhin sait leur vaillance,

Le Danube en pourra ressentir les effets.
Qui peut mieux qu'Apollon en avoir connoissance?
Mais je veux taire ces secrets;

Louis m'apprend par sa prudence

A cacher ses projets'.

Il faut croire que cette singulière manière de cacher un secret déplut à Louis XIV, et qu'il ne se soucioit pas qu'on le représentât comme ayant le projet de pousser ses conquêtes jusqu'au Danube; car on mit un carton dans l'édition qu'on avoit faite en 1691, de cet opéra,

La Fontaine, Théatre, t. IV, p. 262.

afin de supprimer ces vers. Ils ne se trouvent pas dans les éditions de La Fontaine, ni dans le recueil des opéras de Ballard, imprimé en France, quoiqu'on les ait insérés dans l'édition de ce recueil, faite en Hollande1. Les deux héros dont La Fontaine parle dans ces vers, sont, je crois, les maréchaux de Luxembourg et de La Feuillade, qui commandoient sous le roi, lorsqu'il assiégea Mons. Le prince de Conti se trouvoit aussi à ce siège'.

L'année suivante Louis XIV prit Namur, et retourna à Versailles, tandis que Luxembourg tenoit tête à toutes les forces des ennemis. Trompé par les faux avis d'un de ses espions qui avoit été découvert, le général françois avoit fait des dispositions qui devoient le faire battre, quand il fut surpris, le 3 août 1692, par le prince d'Orange, près de Steinkerck. Luxembourg, sans se laisser déconcerter, après avoir tenté deux attaques sans succès, se mit avec le duc de Chartres, le duc de Bourbon, le prince de Conti, le duc de Vendôme, et son frère le

1 Recueil des opéras, Amsterdam, 1693, in-18, t. IV; Astrée, tragédie de M. de La Fontaine, 1691, in-4°, p. 37. Il y a un exemplaire de cette édition originale, corrigé par La Fontaine, dans le Varia variorum de Huets t. XII, pièce 43, qui est à la bibliothèque du roi; Recueil des Opéras, 1703, in-12, Paris, chez Ballard, t. IV, p. 160.

2 Anseline, His:oire généalogique de la maison de France, 1726, in-folio, t. I, p. 347; Hénault, Abrégé chronologique, t. II, p. 691.

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