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Les gens trop bons et trop dévots
Ne font bien souvent rien qui vaille.
Faut-il qu'un prince ait ces défauts1?

Dans la dernière lettre écrite par La Fontaine au prince de Conti, parmi celles qui nous ont été conservées, il n'est question que de changements et de nominations dans la robe et dans la finance. Les événements de la guerre paroissoient comme suspendus, et le prince de Conti même se disposoit à quitter l'armée. Il fut permis au premier président Novion, qui falsifioit ses arrêts, et qu'on auroit dû chasser ignominieusement, de se démettre de sa charge. Il la vendit à M. de Harlay pour la somme de cent mille écus, et M. de Harlay céda pour sept cent mille francs celle de procureur-général à M. de La Briffe, gendre de M. de Novion. Pontchartrain avoit succédé dans la place de contrôleurgénéral à M. Le Pelletier. Le roi avoit donné entrée au conseil à M. de Seignelay; ce qui lui procuroit rang de ministre 2. Enfin l'exaltation d'Ottoboni, sous le nom d'Alexandre VIII, à la chaire de saint Pierre, avoit suspendu les différents de Rome et de la France. Ce sont toutes

La Fontaine, Lettres à divers, 28, t. VI, p. 599.

• Hénault, Abrégé chronologique, t. II, p. 687; Bussy-Rabutin, Lettres, édit. 1727, t. VII, p. 41.

ces nouvelles dont La Fontaine entretient le prince de Conti. Il commence par Harlay.

Son éloge entier iroit loin:

J'aime mieux garder avec soin
La loi que l'on se doit prescrire
D'être court, et ne pas tout dire'.

Il passe ensuite à Pontchartrain.

Pontchartrain règle les finances.
Si jamais j'ai des ordonnances,
Ce qui n'est pas près d'arriver,
Il saura du moins me sauver
Le chagrin d'une longue attente,
Et lira d'abord ma patente.
Homme n'est plus expéditif,
Mieux instruit, ni plus inventif2.

L'histoire de l'élévation de Pontchartrain est singulière, et mérite d'être rapportée. Son père fut un des juges de Fouquet: la probité de ce magistrat fut inflexible aux menaces et aux caresses de Colbert, de Le Tellier et de Louvois; il ne put trouver lieu à condamnation. La vengeance des ministres le poursuivit dans son fils, qui ne put jamais obtenir la survivance de la charge de président à la chambre des comptes

La Fontaine, Lettres à divers, 30, t. VI,

P. 610. Ibid.

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que possédoit son père. Il fut réduit à être simple conseiller aux requêtes du palais, et resta ainsi pendant dix-huit ans sans espérance de fortune. Lorsqu'en 1677 la place de premier président au parlement de Rennes vint à vaquer, Colbert se trouva embarrassé pour le choix à faire, parceque dans les états de Bretagne, le premier président étoit toujours second commissaire du roi, et Colbert avoit besoin, pour ces fonctions, d'un homme habile qui l'aidât à gouverner cette province. Hotman, un de ses parents, qu'il avoit fait intendant des finances, malgré l'aversion qu'il lui connoissoit pour Pontchartrain, le lui proposa comme un homme propre à remplir les fonctions délicates de président du parlement de Rennes. Colbert sut sacrifier ses ressentiments aux intérêts de l'état; il fit nommer Pontchartrain, et s'en trouva bien. Après la mort de Colbert on partagea son ministère : personne n'eût pu en supporter le poids. Seignelay, son fils, eut la marine; Louvois, la surintendance des bâtiments; et Pelletier-Desforts, les finances: celui-ci appela auprès de lui Pontchartrain, et le fit enfin nommer à sa place. Pontchartrain eut beaucoup de peine à se décider à accepter ce pénible emploi. Il en voulut à Pelletier, le lui déclara,

et ne put jamais lui pardonner. « Bien estimable, dit Saint-Simon, de craindre des fonctions qui portent avec elles les richesses, l'autorité et la faveur. » L'année suivante, Pontchartrain fut revêtu, après la mort de Seignelay, d'une charge de secrétaire d'état avec le département de la marine, et celui de la maison du roi. Au reste, la fortune n'agissoit pas en aveugle lorsqu'elle élevoit ainsi Pontchartrain; voici le portrait qu'en trace Saint-Simon : « C'étoit un très petit homme maigre, bien pris dans sa petite taille, avec une physionomie d'où sortoient sans cesse des étincelles de feu et d'esprit, et qui tenoit encore plus qu'elle ne promettoit : jamais tant de promptitude à comprendre, tant de légèreté et d'agrément dans la conversation, tant de justesse et de vivacité dans les reparties, tant de facilité et de solidité dans le travail, tant d'expédition, tant de subites connoissances des hommes, ni plus de tour à les prendre. Avec ces qualités, une simplicité éclairée et une sage gaieté surnageoient à tout, et le rendoient charmant, et en riens, et en affaires. Sa propreté étoit singulière; et, à travers toute sa galanterie, qui subsista jusqu'à la fin, beaucoup de piété, de bonté, et j'ajouterai de dignité, avant et depuis les finances, et dans cette gestion

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On voit d'après ces détails qui sont confirmés par l'abbé de Choisy, et par d'autres mémoires du temps, que La Fontaine ne flattoit point Pontchartrain. Le long éloge qu'il fait de Seignelay, auquel Boileau adressa la plus belle de ses épîtres, ne paroît pas aussi bien mérité. Madame de Maintenon, dont le témoignage ne peut être suspect, puisqu'elle protégeoit Seignelay, en haine de Louvois, lui accorde de l'esprit; mais elle l'accuse d'avoir peu de conduite, et de faire passer ses plaisirs avant ses devoirs3. Ce n'étoit pas là un grief qui pût empêcher notre poëte de juger favorablement le protecteur et l'ami de Chaulieu, celui que ce dernier qualifie

D'esprit supérieur, en qui la volupté
Ne déroba jamais rien à l'habileté 4.

Il paroît que La Briffe, qui étoit nommé procureur-général, avoit une meilleure réputation que M. de Novion, son beau-père, car La Fontaine dit de lui:

Saint-Simon, OEuvres complètes, t. XI, p. 115 à 145; Anquetil, Louis XIV, sa cour, etc. t. II, p. 128 à 143.

2

Choisy, Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV, p. 246.

3 Madame de Maintenon, Lettres, 16, à la comtesse de Saint-Géran, en date du 30 septembre 1683, t. II, p. 115 de l'édit. de 1756, t. I, p. 142 de l'édit. de Léopold Collin; Boileau, Épitres, 1x, t. II, p. 107, édit. de Saint-Suria.

4 Chaulieu, t. I, p. 25, Épître au chevalier de Bouillon.

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