Imatges de pàgina
PDF
EPUB

qu'il lui exposa les motifs qu'il avoit pour considérer le mariage de son fils avec mademoiselle de La Force comme nul, et pour lui faire part de l'intention où il étoit de le faire casser. Le roi lui répondit qu'il n'empêchoit pas le cours de la justice, mais qu'il étoit fâcheux de donner le scandale d'un tel procès avec une fille de la qualité de mademoiselle de La Force'.

Cette réponse n'arrêta point le président Briou; il fit incarcérer son fils à Saint-Lazare; et moitié par crainte, moitié par persuasion, il le fit consentir à se joindre à lui pour demander la nullité du mariage'. Les nombreux parents et les amis de M. le duc de La Force et de sa fille se plaignirent au roi, qui promit de s'intéresser à cette affaire, et qui ordonna, en attendant, à madame d'Arpajon de prendre avec elle la nouvelle mariée3. Louis XIV daigna condescendre jusqu'à parler au président Briou, pour l'engager à arrêter les poursuites; mais, malgré cette puissante intercession, le président demeura inflexible.

Alors vingt-deux des parents de mademoiselle de La Force, parmi les personnes les plus considérables et les plus puissantes du royaume, les Biron, les Lauzun, les d'Uzès, les d'Elbœuf,

Dangeau, Mémoires, t. I, p. 202, sous la date du 14 mai 1687.

Ibid., p. 210, sous la date du 8 décembre 1687.

[blocks in formation]

les La Feuillade, les Montespan, les Pardaillon, les Navailles, les Noguet et d'autres, d'une naissance également illustré, s'agitèrent et intervinrent dans le procès. Aussi cette cause fut-elle plaidée définitivement et sur appel, le 15 juillet 1689, toutes les chambres assemblées, attendu, dit le Journal des Audiences, la qualité des personnes, pour lesquelles la contestation étoit formée. La cour, lorsque les plaidoiries furent terminées, sans avoir égard à l'intervention des parents, déclara qu'il y avoit eu abus dans la célébration du mariage du sieur Briou et de la demoiselle de La Force, et qu'il étoit nul. Elle condamna la demoiselle de La Force à mille francs, et le sieur Briou à trois mille francs d'amende, et ordonna que le prêtre Jean de Croy, qui avoit célébré ce mariage, seroit arrêté, et que son procès lui seroit fait à la requête du procureur-général1. Ainsi finit cette célèbre affaire, dans laquelle Louis XIV, comme dans plusieurs autres occasions, se montra grand monarque, en ne gênant en rien l'indépendance de la justice, et en préférant l'exécution des lois à l'accomplissement de ses volontés2.

Nicolas Nupied, Journal des principales audiences du parlement avec les principaux jugements qui ont été rendus, Paris, in-folio, 1733, t. IV, p. 189, chap. 26, sous la date du 15 juillet 1689. Dans ce livre comme dans plusieurs de ceux qui sont cités précédemment, au lieu de Brion, lisez : Brion.

2 MADAME, Fragments de lettres, etc., t. I, p. 48; Walck., 1” édit., p. 476, note 15.

La Fontaine, ainsi que nous l'avons dit, étoit présent à la plaidoirie et au jugement qui fut rendu dans cette cause: le récit qu'il en fait, dans sa lettre au prince de Conti, est très plaisant, et en même temps fort exact: après l'avoir terminé il ajoute:

La Force, non sans quelque honte,
A vu rompre les doux liens

Qui lui promettoient de grands biens.
Doux liens? Ma foi non, beau sire.
Sur ce sujet c'est assez rire.
Je soutiens et dis hautement
Que l'hymen est bon seulement
Pour les gens de certaines classes.
Je le souffre en ceux du haut rang,
Lorsque la noblesse du sang,
L'esprit, la douceur et les graces
Sont joints aux biens; et lit à

part.

Il me faut plus à mon égard.
Et quoi? - De l'argent sans affaire;
Ne me voir autre chose à faire,
Depuis le matin jusqu'au soir,
Que de suivre en tout mon vouloir;
Femme, de plus, assez prudente
Pour me servir de confidente.

Et quand j'aurois tout à mon choix,
J'y songerois encor deux fois'.

Cette déclaration du bon homme étoit bien franche et bien sincère. Il oublioit qu'il étoit

La Fontaine, Lettres à divers, 37, t. VI, p. 590.

marié, et il le pouvoit facilement, car depuis long-temps il se comportoit comme s'il ne l'avoit jamais été. Au reste son bon cœur perce à la fin de sa lettre. Il dit au prince de Conti qu'il lui écrit, sub sigillo confessionis, et il le supplie de ne communiquer sa lettre à personne. « Mademoi« selle de La Force est trop affligée, et il y au<< roit de l'inhumanité à rire d'une affaire qui la « fait pleurer si amèrement'. »

[ocr errors]

Notre poëte eut souvent occasion depuis de voir mademoiselle de La Force chez les deux princesses de Conti, qui aimoient son esprit. Elle a dédié, par des épîtres versifiées avec grace, à l'une son Histoire secrète de Bourgogne, à l'autre l'Histoire de Marguerite de Valois : elle fut fort liée avec Chaulieu, et avec toutes les personnes de la société du duc de Vendôme que fréquentoit La Fontaine3. Long-temps après on attribua à mademoiselle de La Force des chansons

Cette lettre ne fut conuue qu'en 1729 par la publication des OEuvres diverses de La Fontaine, in-8°, t. II, p. 142. Conférez encore Mathieu Marais, Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, p. 109, édit. in-12, ou p. 143, édit. in-18; et Walck., 1" édit., p. 146, note 16.

L'Histoire secrète de Bourgogne, 1694, 2 vol. in-12, est dédiée à la princesse douairière de Conti (ci-devant mademoiselle de Blois); l'Histoire de Marguerite de Valois, reine de Navarre, 1720, 4 vol. in-12, est dédiée à madame la princesse de Conti, la jeune. La Borde, en réimprimant ces deux ouvrages dans sa collection de romans historiques relatifs à l'histoire de France, a eu tort de supprimer ces épîtres dédicatoires. Conférez encore MADAME, Fragments de lettres, etc., t. 1, p. 3 Chaulieu, Építre au nom de mademoiselle de La Force à mademoiselle d'Aligre de Boislandri, t. II, p. 219, édit. de Cazin, 1777, in-18.

52.

satiriques et impies, qui coururent manuscrites sur diverses personnes de la cour': ce motif, joint à sa conduite assez scandaleuse, détermina Louis XIV à lui ordonner de sortir du royaume, ou d'accepter de lui une modique pension, en entrant dans un couvent. Comme elle n'avoit rien, elle choisit ce dernier parti; mais, dans cette retraite elle entretenoit encore des correspondances avec ses anciens amis. Une épître en vers, qu'Hamilton lui adressa en réponse à une de ses lettres, prouve néanmoins qu'elle étoit revenue de ses égarements, et qu'elle avoit enfin pris des sentiments conformes à sa nouvelle situation: ce qui ne convenoit guère au gai et spirituel historien des aventures libertines du comte de Grammont. Aussi, cherche-t-il dans son épître à la faire renoncer à son nouveau genre d'existence.

La Force, croyez-moi, passons dans l'innocence,
Dans le repos, et dans l'aisance,

Ce qui reste à fêter de nos tranquilles jours;
Des muses et des chants empruntons le secours.....
Sortez donc d'un triste manoir,

Il feroit vraiment beau vous voir

Bayle, Lettres choisies, édit. 1724, t. II, p. 555 et 556.

Sandras de Courtilz, Annales de la cour et de Paris, t. I, p. 92 et 93. A la

page

85, où il est question de mademoiselle de La Force, au lieu de Nesse, lisez: Nesle, et au lieu de Brion, lisez: Briou.

HIST.

33

« AnteriorContinua »