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Mademoiselle de La Force entra donc dans le monde dénuée de fortune et même d'attraits. MADAME, qui en parle dans ses lettres avec beaucoup de détails, nous apprend qu'elle étoit laide' cependant la nature lui avoit donné un penchant très prononcé pour le plaisir, et une imagination vive; son esprit étoit cultivé, son caractère aimable, ses manières engageantes et gracieuses. Elle mit tous ses soins à tâcher de réparer les torts de la fortune par un mariage avantageux. Reçue comme demoiselle de compagnie chez madame la duchesse de Guise, elle fut remarquée à la cour, et obtint de brillants succès par les graces de son esprit. Elle inspira une passion très vive au marquis de Nesle, qui voulut l'épouser; mais les parents du jeune marquis s'y opposoient vivement, parcequ'elle étoit sans biens, et parcequ'elle avoit quitté madame la duchesse de Guise d'une manière peu convenable. Legrand Condé, parent du marquis de Nesle, pour le distraire de son amour, et l'empêcher de se marier, le mena à Chantilly, où il assembla toute sa famille, qui, à l'unanimité, déclara de nou

Fragments de lettres originales de MADAME, Charlotte-Élisabeth de Bavière, 1788, in-12, t. I, p. 48 à 53; ou Mémoires sur la cour de Louis XIV, et de la régence, extraits de la correspondance allemande de MADAME, Élisabeth-Charlotte, duchesse d'Orléans, Paris, 1823, in-8°, p. 341 à 343; Recueil manuscrit de chansons historiques et critiques, in-folio, t. III, p. 428 verso.

» L. S. Desmay, l'Ésope du temps, fables nouvelles, 1677, in-12, p. 11.

veau que jamais elle ne consentiroit à cette union. Le marquis de Nesle désespéré voulut, dit-on, se détruire. Comme c'est vers cette époque que paroît avoir existé l'intrigue de mademoiselle de La Force avec l'acteur Baron, il est probable qu'on en donna connoissance au marquis de Nesle, et qu'il fut guéri de son amour: un peu honteux d'avoir si mal placé ses affections, il fit accroire à MADAME que mademoiselle de La Force avoit usé de sortilège pour se faire aimer. C'est la seule manière dont on puisse expliquer le singulier récit que MADAME fait à ce sujet'.

Mademoiselle de La Force fut réduite à faire des romans pour vivre. On ne peut douter que, malgré son défaut de beauté, elle ne fût très séduisante, puisqu'elle parvint, âgée de plus de trente-trois ans, à inspirer encore le plus violent amour au fils du président Briou, jeune homme bien fait, aimable, et qui n'avoit pas encore atteint l'âge de vingt-cinq ans. Comme il étoit fils unique et héritier d'une grande fortune, ses parents, et sur-tout son père, s'opposèrent fortement au mariage qu'il vouloit con

MADAME, Fragments de lettres originales, etc., 1798, in-12, p. 49 et 50, ou Mémoires sur la cour de Louis XIV et de la régence, 1823, in-8°, p. 341 à 343; Manuscrits de Brienne, à la bibliothèque du roi; Walck., 1" édit., p. 475, note 9; Chansons historiques et critiques, manuscrit, t. III, p. 348.

tracter. Mais le jeune Briou se montra décidé à tout sacrifier, et à braver l'autorité paternelle, pour satisfaire la passion qui le dominoit. Alors on le retint prisonnier, et on eut soin de lui interdire toute communication avec celle qui l'avoit séduit. Celle-ci comprit que l'âge où elle étoit parvenue ne lui permettoit pas de différer la conclusion de cette affaire, et que le temps scul suffiroit pour faire avorter ses projets: elle essaya donc d'établir une correspondance avec son amant; mais il étoit gardé avec tant de vigilance, qu'elle vit d'abord échouer toutes ses tentatives. Elle parvint cependant enfin à gagner un trompette, qui étoit en même temps un conducteur d'ours, et, par son moyen, elle fit dire au prisonnier qu'elle iroit le voir déguisée en ours elle vint en effet, revêtue d'une peau d'ours, et dansa devant lui avec les ours que le trompette avoit amenés. Briou parut s'amuser beaucoup des jeux et de la pantomime de ces animaux si bien apprivoisés; et ceux qui le surveilloient, ne pouvant soupçonner une telle ruse, partagèrent la gaieté qu'il feignoit d'éprouver, et éclatèrent de rire lorsqu'ils virent un de ces ours folâtrer avec lui et approcher son museau du visage du jeune homme, comme pour lui parler. Les accents de cette voix chérie, mur

murés doucement à son oreille, firent encore sur lui, sous ce déguisement bizarre, une impression plus profonde; et mademoiselle de La Force le laissa fortement résolu à suivre les conseils qu'elle lui avoit donnés. En conséquence, dès le lendemain, il déclara à son père que ses sages réflexions l'avoient tout-à-fait persuadé de la folie de son amour, et qu'il n'avoit plus aucune envie de se marier: on le crut sur sa parole, et on le relâcha. Il usa de sa liberté pour aller rejoindre son amante, et ne revint pas dans la maison paternelle.

Briou étoit devenu majeur le 10 avril 1687, et le 22 mai, malgré les remontrances et l'opposition formelle de son père, il passa son contrat de mariage avec mademoiselle de La Force : les deux conjoints reçurent la bénédiction nuptiale, le 7 juin, par l'entremise d'un simple prêtre, nommé Jean de Croy, qui officia sans dispense de curé. Ils allèrent ensemble, avant cette cérémonie, pour faire signer leur contrat à madame la duchesse de Navailles, autrefois gouvernante des filles d'honneur, et qui, par sa louable sévérité, s'étoit attiré la disgrace de Louis XIV, et avoit conquis son estime elle signa l'acte, en ayant soin seulement d'y faire ajouter ces mots : « Auquel seigneur président,

son père, il communiquera par respect son futur mariage, et espère en obtenir l'agrément. » Ce contrat fut encore signé par d'autres personnages considérables. Enfin les deux époux furent présentés au roi, qui les reçut avec bonté, et leur accorda même un logement dans les dépendances de son château de Versailles. Ils vécurent ainsi comme personnes mariées à la vue de toute la cour et de tous les grands du royaume madame Briou alloit même presque tous les jours chez la dauphine de Bavière, qui l'aimoit beaucoup à cause de son esprit'.

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Mais le président Briou, furieux de voir son autorité méprisée, et mécontent de ce mariage, avoit, dix jours après sa célébration, fait procéder à une information. Il prétendoit prouver que cet hymen avoit été conclu illégalement, et qu'il devoit être annulé. Cependant, comme il vit que mademoiselle de La Force avoit de puissants appuis à la cour et dans le monde, et que le roi l'avoit prise sous sa protection, il chercha à négocier avec elle, et lui offrit une forte somme d'argent, si elle vouloit consentir à la rupture du mariage: elle s'y refusa. Ce fut alors que le président Briou alla trouver le roi,

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I MADAME, Fragments de lettres, etc., t. I, p. 51, ou Mémoires sur la cour de Louis XIV et de la régence, 1823, in-8°, p. 341 à 343.

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