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La Fontaine charge ensuite Vergier de faire ses compliments à mademoiselle de Gouvernet

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« que les graces, dit-il, ne quittent point. » C'étoit la sœur du marquis de Gouvernet', qui luimême avoit épousé une sœur de M. d'Hervart, une des plus belles femmes de son temps, et dont le portrait étoit considéré comme le chef-d'œuvre du pinceau de Mignard'. La Fontaine, en terminant sa lettre, dit : « Vous pouvez vous moquer << de moi tant qu'il vous plaira, je vous le permets; « et si cette jeune divinité, qui est venue trou<< bler mon repos, y trouve un sujet de se divertir, je ne lui en saurai point mauvais gré. A quoi << servent les radoteurs, qu'à faire rire les jeunes filles 3?»

Vergier fit à notre poëte une réponse charmante. Il lui apprend que sa lettre a diverti M. et madame d'Hervart, et mademoiselle de Gouvernet, et qu'il l'a fait voir aussi à mademoiselle de Beaulieu. «Sa jeunesse et sa modestie, dit Vergier, ne lui ont pas permis de dire ce qu'elle en pensoit; mais je ne doute point que des douceurs si bien apprêtées ne l'aient touchée comme elles doivent.» Du reste, il assure La

Mercure galant, octobre 1705, p. 157.

L'abbé de Monville, Vie de Mignard, pag. 70; Walck., 1" édition, p. 470, note 77.

3 La Fontaine, Lettres à divers, 23, t. VI, p. 576.

Fontaine que personne n'a été surpris de son aventure, et il ajoute :

Hé! qui pourroit être surpris,
Lorsque La Fontaine s'égare?

Tout le cours de ses ans n'est qu'un tissu d'erreurs,
Mais d'erreurs pleines de sagesse.

Les plaisirs l'y guident sans cesse

Par des chemins semés de fleurs.
Les soins de sa famille, ou ceux de sa fortune,

Ne causent jamais son réveil:

Il laisse à son gré le soleil
Quitter l'empire de Neptune,

Et dort tant qu'il plaît au sommeil :

Il se lève au matin, sans savoir pour quoi faire:
Il se promène, il va, sans dessein, sans sujet,
Et se couche le soir, sans savoir d'ordinaire
Ce que dans le jour il a fait".

Quelques mois après la date de cette lettre, Vergier quitta la soutane et le titre d'abbé. Il obtint une place dans l'administration de la marine', par la protection du ministre Seignelais, et par celle de M. d'Hervart, dont il avoit été le précepteur3. Il fut envoyé en mission en Angleterre, et se trouvoit à Londres dans le mois de novembre de l'année 16884, lors de la révo

1 Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 7-10; OEuvres de La Fontaine, t. VI, p. 578, lettre 24; Walck., 1" édit., p. 471, note 78.

2 Il fut nommé écrivain principal au Havre, le 2 octobre 1688.

3 Piganiol de La Force, Description de Paris, t. III, p. 391 et 393, édit. de 1765. 4 Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 153 et 158.

lution qui plaça Guillaume III sur le trône de la Grande-Bretagne. Nous apprenons par une lettre que Vergier écrivit l'année suivante à madame d'Hervart, que La Fontaine continuoit à se plaire à Bois-le-Vicomte; que la présence de mademoiselle de Beaulieu ajoutoit beaucoup aux plaisirs dont il jouissoit dans cette campagne; qu'enfin le badinage de cette société sur un amour si disproportionné dura encore assez long-temps. Un passage de cette lettre de Vergier achève de peindre notre fabuliste tout entier: « J'ai reçu une lettre du bon homme La Fontaine. Il me marque qu'il ne vous la fera pas voir, parcequ'il n'en est pas content, et qu'il ne la trouve pas digne de la délicatesse de votre goût. Je vous dirai franchement que je la trouve de même, et, pour la même raison, je le prie de ne pas vous montrer la réponse que je lui ai faite ce sont, de part et d'autre, cas honteux qu'il faut au moins savoir cacher, quand on a eu la foiblesse de se les permettre. Ce qu'il y a de meilleur dans sa lettre, est qu'il me marque

qu'il va passer

va passer six semaines avec vous à la campagne. Voilà un bonheur que je lui envie fort, quoiqu'il ne le ressente guère, et vous m'avouerez bien, à votre honte, qu'il sera moins aise d'être avec vous, que vous ne le serez de l'avoir;

sur-tout si mademoiselle de Beaulieu vient vous rendre visite, et qu'il s'avise d'effaroucher sa jeunesse simple et modeste, par ses naïvetés, et par les petites façons qu'il emploie, quand il veut caresser de jeunes filles.

Je voudrois bien le voir aussi,

Dans ces charmants détours que votre parc enserre, Parler de paix, parler de guerre,

Parler de vers,

de vin et d'amoureux souci;
Former d'un vain projet le plan imaginaire,
Changer en cent façons l'ordre de l'univers,
Sans douter, proposer mille doutes divers;
Puis tout seul s'écarter, comme il fait d'ordinaire,
Non
pour rêver à vous qui rêvez tant à lui,
Non pour réver à quelque affaire,

Mais pour varier son ennui,

Car vous savez, Madame, qu'il s'ennuie par-tout, et même, ne vous en déplaise, quand il est auprès de vous, sur-tout quand vous vous avisez de vouloir régler ou ses mœurs ou sa dépense1.

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Ces derniers mots nous révélent toute l'étendue des bontés de cette jeune et jolie femme pour notre vieux poëte, dont, par ses remontrances et ses conseils, elle cherchoit à réformer la conduite. Comment expliquer cet attachement si vrai, si désintéressé que La Fontaine

■ Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 133, lettre 21, ou 1731, in-8°, t. I, p. 104, ou les Contes et nouvelles en vers du sieur Vergier et de quelques auteurs anonimes, 1727, in-12, t. II, p. 84.

inspiroit à tant de personnes d'âge et de sexe si différents? c'est qu'avec tous les défauts d'un enfant, la légèreté, l'imprévoyance, la foiblesse de caractère, il en avoit aussi toutes les qualités, le naturel, la sensibilité, l'enjouement et la candeur.

Quelques années après l'époque qui nous occupe, lorsque La Fontaine, tout entier au repentir et à la pénitence, étoit bien loin de songer aux jeunes filles, Vergier, qui avoit été nommé commissaire de la marine, fit aussi la cour à mademoiselle de Beaulieu. Il inséra, dans une épître en vers qu'il lui adressa, le conte intitulé le Gros Guillaume, aussi licencieux qu'aucun de ceux que La Fontaine ait composés1. Nous apprenons encore, par une autre épître de Vergier, qu'à l'âge de vingt-quatre ans, mademoiselle de Beaulieu avoit eu une inclination, dont l'issue malheureuse lui fit répandre beaucoup de larmes. Elle finit par épouser un gentilhomme, du nom de Nully, de la famille du président Nully, fameux ligueur, assez célébre dans l'histoire. Elle mourut à Paris, en 1733, âgée d'environ cinquante ans. Mathieu Marais, qui l'a connue, assure qu'elle avoit conservé jusqu'à la fin presque toute sa beauté. Quant à

Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. I, p. 159, on 1731, in-8°, t. I, p. 44. 2 Ibid., t. II, p. 1.

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