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ceux qui contribuèrent le plus à donner du nombre et de l'harmonie à la poésie angloise. Il fut un poëte élégant et spirituel, mais il manquoit de force et de naturel.

La Fontaine, à la fin de sa lettre, revient sur les motifs qui l'empêchent de passer en Angleterre: un des plus décisifs est qu'on lui a dit que madame d'Hervart, madame de Gouvernet, et madame d'Hélang, n'étoient pas disposées à faire ce voyage; et il fait entendre qu'il en coûteroit trop d'efforts à son indolence, pour les convertir. «Non plus que Perrin-Dandin, dit-il, « je ne suis bon que quand les parties sont lasses << de contester. >> Enfin, après une digression en vers sur le roi d'Angleterre, Jacques II, et sur Louis XIV, La Fontaine dit de ce dernier.

On trouvera ses leçons

Chez ceux qui feront l'histoire :
J'en laisse à d'autres la gloire,

Et reviens à mes moutons.

2

« Ces moutons, Madame, c'est votre altesse, et « madame Mazarin... » Il n'y a que La Fontaine qui ait pu se permettre, avec une altesse, une si comique transition; mais il n'y avoit que

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lui qui alors savoit écrire des choses aussi aimables et aussi spirituelles que celles qui suivent immédiatement.

« Ce seroit ici le lieu de faire aussi son éloge « (de madame de Mazarin), afin de le joindre « au vôtre; mais, toutes réflexions faites, comme «< ces sortes d'éloges sont une matière un peu délicate, je crois qu'il vaut mieux que je m'en « abstienne. »

"

Vous vous aimez en sœurs: cependant j'ai raison
D'éviter la comparaison.

L'or se peut partager, mais non pas la louange.
Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,
Ne contenteroit pas, en semblables desseins,
Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints'.

Toute la société de madame de Mazarin et de la duchesse de Bouillon fut enchantée de cette lettre : elle augmenta les regrets de ne pouvoir posséder le poëte qui l'avoit écrite. Saint-Évremond fut chargé d'y répondre au nom de tous. Sa lettre, qui est en prose et en vers, commence ainsi : « Si vous étiez aussi touché du mérite de madame de Bouillon que nous en sommes charmés, vous l'auriez accompagnée en Angleterre, et vous eussiez trouvé des dames qui vous connoissent autant par vos ouvrages que vous con

La Fontaine Lettres à dives, 20. VI,

P. 555.

noît madame de La Sablière par votre commerce et votre entretien1. » Saint-Évremond, dans cette lettre, apprend à La Fontaine la nouvelle de la mort de Waller, et exprime sa douleur de cette perte en vers assez touchants: il s'étend sur les qualités de la duchesse de Bouillon, et de la duchesse de Mazarin qui fondoit l'espoir de son retour en France sur la mort de son mari.

Par tous moyens traversez son retour,
Jeunes beautés; tremblez au nom d'Hortense:
Si la mort d'un époux la rend à votre cour,
Vous ne soutiendrez pas un moment sa présence2.

Saint-Évremond loue ensuite La Fontaine sur son esprit, et même sur sa morale, parceque c'étoit aussi la sienne:

Vous possédez tout le bon sens

Qui sert à consoler des maux de la vieillesse;
Vous avez plus de feu que n'ont les jeunes gens;

"

Eux, moins que vous, de goût et de justesse.

Après avoir parlé de votre esprit, il faut dire un mot de votre morale. »

S'accommoder aux ordres du destin,

Aux plus heureux ne porter point d'envie,

La Fontaine, Lettres à divers, 21, t. VI, p. 556.

■ Ibid., p. 559.

De ce faux air d'esprit que prend un libertin
Connoître avec le temps, comme nous, la folie,
Et dans les vers, jeu, musique et bon vin,
Entretenir son innocente vie;

C'est le moyen d'en reculer la fin.

« Puissiez-vous pousser la vie plus loin que n'a fait Waller! »

que

Que plus long-temps votre muse agréable
Donne au public ses ouvrages galants!

Que tout chez vous puisse être conte et fable,
Hors le secret de vivre heureux cent ans !!

Dans la réponse à cette lettre, nous voyons La Fontaine fut sur-tout très satisfait de ce Saint-Évremond ne le comptoit pas, malgré que la licence de ses mœurs et de ses écrits, au nombre des hommes irréligieux; car le mot libertin avoit alors cette signification.

"

"

« J'en reviens à ce que vous me dites de ma << morale, et suis fort aise que vous ayez de moi << l'opinion que vous en avez. Je ne suis pas moins << ennemi que vous du faux air d'esprit que prend « un libertin. Quiconque l'affectera, je lui don«< nerai la palme du ridicule. »

Rien ne m'engage à faire un livre,

La Fontaine, Lettres à divers, 21, t. VI. p. 559 et 560; Saint-Evremond, ŒEavres, t. V, p. 219.

Mais la raison m'oblige à vivre
En sage citoyen de ce vaste univers:
Citoyen qui, voyant un monde si divers,
Rend à son auteur les hommages
Que méritent de tels ouvrages.

Ce devoir acquitté, les beaux vers, les doux sons,
Il est vrai, sont peu nécessaires:

Mais qui dira qu'ils soient contraires

A ces éternelles lecons?

On peut goûter la joie en diverses façons;

Au sein de ses amis répandre mille choses,
Et, recherchant de tout les effets et les causes,

A table, au bord d'un bois, le long d'un clair ruisseau,
Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau;

Pourvu que ce dernier se traite à la légère,
Et que la nymphe ou la bergère

N'occupe notre esprit et nos yeux qu'en passant.
Le chemin du cœur est glissant:

Sage Saint-Évremond, le mieux est de m'en taire,
Et sur-tout n'être plus chroniqueur de Cythère,
Logeant dans mes vers les Chloris,
Quand on les chasse de Paris.

On va faire embarquer ces belles;
Elles s'en vont peupler l'Amérique d'Amours'.

Il faut avouer qu'il échappe ici au bon-homme un singulier aveu. L'éditeur des œuvres de SaintÉvremond n'a voulu nous laisser aucun doute sur le sens, déja fort clair, de ces derniers vers: il nous apprend que, lorsque La Fontaine écrivit cette lettre, on faisoit enlever à Paris un

La Fontaine, Lettres à divers, 32, t. VI, p. 567.

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