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Dès qu'il eut la bouche close,
Sa femme ne dit plus rien.
Elle enterra vers et prose
Avec le pauvre chrétien'.

Notre poëte imprima dans un recueil' ces stances, à la suite du même sonnet et des deux madrigaux; et comme on le railloit sans doute d'avoir été pris pour dupe, il fit précéder ces pièces de vers d'une lettre à un de ses amis, qui contient des aveux singulièrement remarquables par leur naïveté:

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« Vous vous étonnez, dites-vous, de ce que tant

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d'honnêtes gens ont été les dupes de mademoiselle C. (Colletet), et de ce que j'y ai été moi« même attrapé. Ce n'est pas un sujet d'étonne«ment que ce dernier point; au contraire, c'en « seroit un si la chose s'étoit passée autrement « à mon égard. Savez-vous pas bien que, pour « peu que j'aime, je ne vois dans les défauts des « personnes non plus qu'une taupe qui auroit « cent pieds de terre sur elle? Dès que j'ai un grain d'amour, je ne manque pas d'y mêler « tout ce qu'il y a d'encens dans mon magasin; cela fait les meilleurs effets du monde: je dis « des sottises en vers et en prose, et serois fâché

La Fontaine, Stances, t. VI, p. 275.

Ibid., Fables nouvelles et autres poésies, 1671, p. 92 à 98.

<< d'en avoir dit une qui ne fût pas solennelle. << Enfin je loue de toutes mes forces. Homo sum « qui ex stultis insanos reddam. Ce qu'il y a, c'est que l'inconstance remet les choses en leur ordre. Ne vous étonnez donc plus; voyez seule<<ment ma palinodie; mais voyez-la sans vous en « scandaliser'."

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La veuve de Colletet ne tint qu'en partie le serment poétique que son mari lui avoit fait faire. Elle eut plusieurs amants et fut successivement la maîtresse déclarée de l'abbé de Tallemant, de l'abbé de Richelieu, et de quelques autres. Elle essaya en vain de séduire Boileau, qui'lui avoit prêté quelque argent. Lorsqu'elle eut perdu ses appas elle épousa un homme de la lie du peuple, prit de lui le goût ignoble de la boisson, et mourut enfin de misère et de débauche2.

Si Claudine n'avoit pas voulu jouer le rôle de bel esprit, et paroître autre qu'elle n'étoit, La Fontaine n'auroit pas fait contre elle des stances satiriques, et probablement ne l'auroit pas quittée si promptement; il n'avoit que trop de goût pour les amours vulgaires: il parle d'après sa propre conviction quand il nous dit «< qu'une

1 La Fontaine, Lettres, 8, t. VI, p. 486.

2 Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits.

grisette est un trésor, » et il en fait connoître de suite la raison:

On en vient aisément à bout;

On lui dit ce qu'on veut, bien souvent rien du tout'.

Il s'explique à cet égard avec encore moins de retenue dans le prologue d'un de ses contes, et raconte sans déguisement une aventure 'de sa jeunesse, qui prouve que les femmes dont il étoit le plus aimé, et le plus amoureux, ne pouvoient compter sur sa fidélité qu'autant qu'elles le quittoient peu, ou qu'elles le surveilloient de près.

Il m'en souvient ainsi qu'au premier jour,
Chloris et moi nous nous aimions d'amour:

Je vais un soir chez cet objet charmant:
L'époux étoit aux champs heureusement;
Mais il revint la nuit à peine close.
Point de Chloris. Le dédommagement
Fut
que le sort en sa place suppose

Une soubrette à mon commandement :

Elle paya cette fois pour la dame2.

La condition que La Fontaine avoit faite avec Fouquet d'acquitter par des vers chaque quar

La Fontaine, Contes, 1, 1, t. III, p. 24.

Ibid., v, 8, t. III, p. 539.

tier de sa pension, lui fit composer à cette époque différentes petites pièces qui n'ont rien aujourd'hui de remarquable, mais qui le paroîtront beaucoup si on les compare avec les recueils de sonnets, de madrigaux et autres poésies que publioient les Hesnault, les Colletet, les Perrin, les Bonnecorse, et tant d'autres poëtes de ce temps. On ne connoissoit, en quelque sorte, que le style maniéré et recherché dont Voiture étoit le modėle; le style froidement ampoulé de Ronsard et de Brébeuf, et l'ignoble burlesque mis à la mode par Scarron. Les Muses françoises sembloient avoir perdu, depuis Marot, l'art de badiner avec grace. La Fontaine, qui avoit fait une étude approfondie de cet ancien poëte, aimoit à s'approprier ses tours si énergiques dans leur naïve précision; à enrichir sa langue des mots expressifs de nos vieux auteurs, que l'usage et le temps avoient laissé perdre; et, guidé par son heureux instinct et par l'excellent modéle qu'il s'étoit choisi, il fut le premier qui, dans les petits vers de circonstance, fut aisé, naturel et vrai. Sous ce rapport, ses premières poésies méritent attention, et sont en quelque sorte des monuments pour notre histoire littéraire. La Fontaine réunit, par le caractère et le style de ses écrits, les deux beaux siècles de François Ier et de Louis XIV.

Il a les graces ingénues et spirituelles du premier, et s'élève souvent à la pompe et à la magnificence du second. C'est non seulement par le choix heureux des vieilles expressions rajeunies par lui, mais encore par la forme même de ses premiers essais, qu'il s'est rapproché heureusement des poëtes du seizième siècle. Du temps de notre poëte, il semble qu'on ne pouvoit s'exprimer que par des sonnets ou des madrigaux. La Fontaine en a composé très peu. Dans toutes les petites piéces de vers qu'il fit, ou pour Fouquet ou par ses ordres, il s'assujettit au mètre de la ballade chevaleresque, du rondeau gaulois, du sixain ou du dizain des troubadours, de l'épître familière, et de l'ode anacréontique.

Quelquefois, en s'adressant à Pellisson, il badine sur l'engagement qu'il avoit pris avec le surintendant, au sujet de l'acquittement de sa pen

sion.

Pour acquitter celle-ci chaque année
Il me faudra quatre termes égaux.
A la Saint-Jean je promets madrigaux
Courts, et troussés, et de taille mignonne:
Longue lecture en été n'est pas bonne.
Le chef d'octobre aura son tour après;
Ma Muse alors prétend se mettre en frais;
Notre héros, si le beau temps ne change,
De menus vers aura'pleine vendange.

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