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nelle dans Paris, pour aller à Notre-Dame rendre des actions de graces, et il dîna pour la première fois à l'Hôtel-de-Ville '. L'Académie françoise, trois jours auparavant, avoit fait, à ce sujet, chanter un Te Deum, et l'après-dîner, avoit tenu une assemblée extraordinaire, dans laquelle Perrault avoit lu un poëme intitulé: Le siècle de Louisle-Grand, qui alluma dans le sein de l'Académie, et sur le Parnasse françois, une guerre littéraire qui a duré plus de cinquante ans. Déja Desmarestde-Saint-Sorlin avoit cherché à la provoquer; mais les doctrines de ce poëte fanatique avoient fait peu de sensation. Il n'en fut pas de même lorsque Perrault, qui ne manquoit ni d'esprit ni de jugement, les reproduisit dans l'Académie. Il avoit dans son poëme cherché à tourner les anciens en ridicule, et exalté les modernes; et cependant, parmi les hommes illustres du siècle de Louisle-Grand qu'on pouvoit opposer aux anciens, il ne nommoit ni Racine, ni Boileau, ni La Fontaine. C'étoit ajouter l'insulte au scandale. Boileau, pendant la lecture de ce poëme, outré de colère, vouloit interrompre l'auteur, et l'empêcher de continuer, Huet le retint, et lui fit sentir l'in

■ Dangeau, Mémoires, sous les dates du 17 novembre 1686 et du 30 janvier 1687, t. I, p. 180, 195 et 197; Félibien, Histoire de Paris; madame de Montmorency, Lettres, édit. de 1805, in-12, p. 118 et 119; madame de Maintenon, Lettres, édit. de 1806, t. I, p. 158, lettre en date du 3 janvier 1687.

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décence et la grossièreté d'un tel procédé; mais il grondoit tout bas à chaque vers, et lorsque cette lecture fut terminée, il éclata, et dit que c'étoit une honte pour l'Académie d'écouter de pareils blasphemes contre les plus beaux génies de l'antiquité. Le malin Racine au contraire prit la parole avec beaucoup de calme et de sangfroid, et se répandit en louanges sur Perrault, et sur le tour heureux qu'il avoit su donner à son excellente plaisanterie: celui-ci protesta qu'il avoit écrit sérieusement, et chercha à en convaincre Racine, qui continua toujours sur le même ton: il en résulta une scène comique, à la suite de laquelle Perrault, croyant avoir besoin de prouver qu'il étoit sincère dans ses opinions, fit imprimer sa pièce '. Alors le déchaî nement fut général parmi les érudits et les hommes de lettres qui faisoient le plus d'honneur à la France par leur talent. Boileau, comme on le pense bien, fut un de ceux qui combattirent avec le plus d'ardeur. « Il n'aiguisa pas ses traits, dit d'Olivet, il les envenima. » Cependant aucune des épigrammes dont il cherche à accabler son adversaire, ne vaut les vers par lesquels Perrault termine sa préface contre l'abbé Régnier, Dacier, et les autres traducteurs maladroits des anciens.

Charles Perrault. Mémoires, 1759, in-12, liv. 1, p. 201.

« Ces traductions des poëtes grecs, disoit Perrault, sont contre la bonne politique. »

Ils devoient, ces auteurs, demeurer dans leur grec,
Et se contenter du respec

De la gent qui porte férule.
D'un savant traducteur on a beau faire choix,
C'est les traduire en ridicule,

Que de les traduire en françois.

La Fontaine fut le premier qui se déclara publiquement en faveur des anciens: non seulement il fit à ce sujet un aveu, dont Dacier se prévalut depuis dans ses préfaces 2, mais, dix jours après la célébre séance académique, il publia, sur une feuille séparée, une épître en vers, adressée à son ami et son confrère le savant Huet, alors évêque de Soissons, auquel il avoit donné un Quintilien de la traduction d'Oratio Toscanella 3. Dans cette épître, qui se ressent de la précipitation avec laquelle l'auteur l'a composée, non seulement La Fontaine. défend les anciens, mais il expose sa propre doctrine et ses goûts particuliers en matière de littérature.

■ Perrault a écrit ainsi pour la rime et par licence poétique. On trouve dans La Fontaine, dans Corneille, et dans les autres poëtes de ce temps un grand nombre d'exemples de ce genre de licence; Perrault, Entretiens sur les anciens et les modernes, t. 1, à la fin de la préface.

a Dacier, OEuvres d'Horace, Hambourg, 1733, in-12, p. 111 de la préface, on p. 116 de l'édit. de Paris, 1709.

3 La Fontaine, Épitres, 22, t. VI, p. 158.

Art et guides, tout est dans les Champs-Élysées.
J'ai beau les évoquer, j'ai beau vanter leurs traits,
On me laisse tout seul admirer leurs attraits.
Térence est dans mes mains ; je m'instruis dans Horace;
Homère et son rival sont mes dieux du Parnasse.

Je le dis aux rochers; on veut d'autres discours:
Ne pas
louer son siècle est parler à des sourds.
Je le loue, et je sais qu'il n'est pas sans mérite;
Mais, près de ces grands noms, notre gloire est petite '.

La Fontaine, en parlant de son admiration pour Voiture, avoue qu'il fut près de se laisser égarer par le goût des antithèses et des concetti, dont cet auteur est plein:

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître;
Il pensa me gâter. A la fin, grace aux dieux,

Horace, par bonheur, me dessilla les yeux.

Il ne peut s'empêcher de témoigner encore ici son admiration pour Platon:

Quand notre siècle auroit ses savants et ses sages,
En trouverai-je un seul approchant de Platon??

Il ne veut pas cependant que l'on soit exclusif, et il recommande la lecture des modernes, tant des nationaux que des étrangers:

Je chéris l'Arioste, et j'estime le Tasse;

La Fontaine, Epitres, 22, t. VI, p. 160.

» Ibid., p. 162.

Plein de Machiavel, entêté de Bocace,

J'en parle si souvent qu'on en est étourdi.

J'en lis qui sont du Nord, et qui sont du Midi'.

Enfin, tout en admirant les anciens, il recommande de ne pas les imiter servilement:

Quelques imitateurs, sot bétail, je l'avoue,
Suivent en vrais moutons le pasteur de Mantoue.
J'en use d'autre sorte; et, me laissant guider,
Souvent à marcher seul j'ose me hasarder.
On me verra toujours pratiquer cet usage.
Mon imitation n'est point un esclavage:
Je ne prends que l'idée, et les tours et les lois
Que nos maîtres suivoient eux-mêmes autrefois.
Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence
Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,
Je l'y transporte, et veux qu'il n'ait rien d'affecté,
Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité2.

Mais Perrault, plus équitable dans sa prose que dans ses vers, se servit des ouvrages mêmes de notre poëte pour combattre ce qu'il appeloit ses préjugés sur les anciens. Dans les Dialogues qu'il publia pour répondre à ses adversaires, il ne se contente pas de remarquer que le Fabuliste moderne l'emporte de beaucoup sur Phédre, il ajoute encore qu'il a créé un nouveau genre de poésie qui n'a point de modèle dans l'antiquité. «On a beau, dit-il, vanter le sel at

La Fontaine, Épîtres, t. VI, p. 162. - Ibid., p. 159.

HIST.

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