Imatges de pàgina
PDF
EPUB

commence la séance, le secrétaire tire une barré pour clore la liste. Ceux qui arrivent après la barre tirée n'ont point part aux jetons de cette séance. La Fontaine entra un jour comme on venoit de tirer la barre; tous ses confrères, qui savoient qu'il n'étoit pas riche, réclamèrent aussitôt pour que l'on fit exception en sa faveur; mais il ne voulut pas permettre que la règle fût enfreinte. «< Non, Messieurs, dit-il, cela ne seroit « pas juste. Je suis venu trop tard; c'est ma « faute 1. »

L'attachement que les membres de l'Académie avoient pour La Fontaine, la confiance qu'ils avoient en lui, furent ce qui engagea cet homme si doux, si conciliant, dans la querelle avec Furetière, et qui lui attira l'inimitié de ce dernier, avec lequel il étoit fort lié.

L'édit du roi Louis XIII, en date du 24 janvier 1636, qui créoit l'Académie françoise, ne fut vérifié et enregistré que le 10 juillet 1637. D'assez vives oppositions s'étoient élevées, dans le sein du parlement, contre la création de ce corps littéraire. On savoit qu'il étoit l'ouvrage du cardinal de Richelieu, et l'on craignoit que cette innovation ne cachât encore quelques nouveaux

Louis Racine, Mémoires sur la vie de J. Racine. t. V, OEuvres, p. 157, édit. 1808, in-8°.

[ocr errors]

pièges de ce ministre despote: comme rien ne déterminoit les limites de la compétence académique, on redoutoit les empiètements d'une compagnie constituée légalement. Aussi, le parlement n'enregistra les privilèges accordés à l'Académie, qu'avec cette clause: «A la charge que ceux de ladite assemblée et Académie ne connoîtront que de l'ornement, embellissement, et augmentation de la langue françoise, et des livres qui seront par eux faits, et par autres personnes qui le desireront et voudront'. »

La suite démontra que la prévoyance du parlement n'étoit pas inutile, ni ses craintes tout-à-fait vaines. L'Académie, d'après ses statuts, devoit s'occuper à composer une rhétorique, une poétique, et un dictionnaire de la langue françoise; mais sous prétexte qu'elle craignoit l'infidélité des copistes employés à transcrire ses cahiers, elle obtint, le 28 juin 1674, un privilège, signé en commandement, par lequel défenses étoient faites de publier un dictionnaire françois, avant que le sien fût au jour. L'Académie s'attribuoit ainsi un monopole contraire aux termes de la loi qui l'avoit

Pellisson, Histoire de l'académie françoise, 1729, in-4°, t. I, p. 36 à 44; Aucillon, Mémoires, etc., 1709, in-12, p. 2 et 112.

» D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, 1729, in-4°, t. II, p. 36.

créée, et qui lui interdisoit toute juridiction sur les livres composés par des auteurs qui n'avoient point été admis dans son sein, à moins qu'ils n'eussent desiré ou voulu s'y soumettre. Ce nouveau privilège n'étoit pas moins nuisible aux lettres, qu'attentatoire aux droits de ceux qui les cultivoient. Toutefois, l'on conviendra qu'il devoit au moins être respecté par tous les membres de l'Académie. Cependant Furetière, qui en faisoit partie depuis plus de vingt ans, obtint de son côté, et sans l'aveu de ses confrères, le 24 août 1684, un privilège du grand sceau, pour l'impression d'un dictionnaire universel, dans lequel, suivant le titre qu'il avoit montré à l'approbateur, on ne devoit trouver que des termes d'arts et de sciences, mais qui, d'après le titre inséré dans le privilège, devoit renfermer tous les mots françois, tant vieux que modernes. Lorsqu'on apprit que le dictionnaire universel s'imprimoit, il y eut un soulèvement général de toute l'Académie contre l'auteur de cet ouvrage. Elle l'accusoit non seulement de violer les priviléges du corps, mais d'en avoir pillé le travail pour enrichir le sien. On convoqua une assemblée extraordinaire où Furetière fut interrogé. Ces procédés violents l'aigrirent contre ses confrères, et l'Académie permit que Racine, La

HIST.

༡༩

[ocr errors]

Fontaine et Boileau, qui étoient particulièrement liés avec lui, allassent le trouver pour le disposer à la soumission, et à une réconciliation. Tout fut inutile. M. de Novion, premier président du parlement, qui étoit alors directeur de l'Académie, et qui prenoit un vif intérêt à Furetière, lui déclara qu'il ne pouvoit, ni comme juge, ni comme académicien, ni comme ami, se dispenser de le condamner. Alors Furetière ne garda plus de mesure, et publia des factums et des libelles en vers et en prose, où plusieurs membres de l'Académie, et notamment La Fontaine, étoient maltraités.

Un des articles des statuts de l'Académie l'autorisoit, et même l'obligeoit à destituer un académicien qui auroit fait quelque action indigne d'un homme d'honneur: ce fut en vertu de cet article que l'Académie, dans sa séance du 22 janvier 1685, exclut Furetière de son sein. Le roi, dont l'approbation étoit nécessaire, se fit rendre compte de cette affaire; et, comme on avoit mêlé la demande de l'expulsion avec celle de la réforme du privilège, le roi se contenta de répondre que l'affaire devoit suivre le cours ordinaire de la justice. L'Académie plaida donc contre Furetière, et, s'étant pourvue au conseil, elle fit supprimer, par arrêt contradictoire,

« AnteriorContinua »