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le génie même : celui-ci excite l'admiration, mais l'autre inspire l'amour; et l'amour veut être indulgent pour l'objet de ses affections. Cependant, si La Fontaine pouvoit reparoître un instant parmi nous, il nous diroit: Ce n'est point servir ma mémoire selon mon gré que de s'écarter du vrai et du naturel. J'ai donné dans mes Fables des leçons de sagesse pour tous les rangs et pour tous les âges; mais vous le savez, je n'ai pas toujours été sage dans ma conduite et dans mes vers. Si vous parlez de moi, que ce soit donc, comme je l'ai fait moi-même, sans dissimulation et sans

réserve.

JEAN DE LA FONTAINE naquit le 8 juillet 1621, à Château-Thierry, de Charles de La Fontaine, maître des eaux et forêts, et de Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers'. Sa famille étoit fort ancienne, et il fut, comme on le verra par la suite, victime des prétentions qu'elle avoit à la noblesse2. Son éducation paroît avoir été négligée, et on croit qu'il étudia d'abord dans une école de village, ensuite à Reims3, ville pour

Pièces justificatives à la fin du volume; Mémoires de Coulanges, p. 505; d'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-4°, p. 277; Walck., 1" édit, p. 341, note 3. 2 Pièces justificatives; La Fontaine, Épîtres, épit. vi, t. VI, p. 76 et 77, note 1; Walck., 1" édit., p. 341, note 4.

3 D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-40, p. 304; Fréron, Fables de la Fontaine, édit. de Barbou, 1806, in-12, p. VI.

laquelle il avoit une prédilection particulière. Lorsqu'il eut terminé des études imparfaites, un chanoine de Soissons, nommé G. Héricart, lui fit présent de quelques livres de piété 1, et il crut avoir du penchant pour l'état ecclésiastique. Ce n'est pas une des moindres singularités de cet homme célèbre, lorsque l'on considère son caractère, ses goûts, les inclinations qui l'ont dominé pendant tant d'années, et la nature d'un grand nombre de ses écrits, de voir le commencement et la fin de sa vie consacrés à la religion et à la piété. Il fut reçu à l'institution de l'Oratoire le 27 avril 1641. Son exemple y attira la même année, au mois d'octobre, Claude de La Fontaine, son frère puîné, qui persista dans sa résolution, se fit prêtre, et en 1649 donna tous ses biens à son frère Jean, à condition que celuici lui paieroit une rente viagère. Claude resta à l'institution de l'Oratoire jusqu'en 1650, et se retira ensuite à Nogent-l'Artaut, où il est mort du vivant de son frère. Jean avoit été envoyé au séminaire de Saint-Magloire le 28 octobre 1641; mais, bientôt ennuyé de ce genre de vie, il en sortit après y être resté environ un an2.

Entre autres, d'un Lactance, édit. de Lyon, 1548; Voyez Adry, Fables de La Fontaine, édit. de Barbou, p. xxII, note 2.

2

Adry, Fables de La Fontaine, édit. de Barbou, 1806, p. xx11, note 2.

Rentré dans le monde, La Fontaine fit bientôt voir par les inclinations qui le dominèrent combien il s'étoit mépris sur sa vocation. Dans le journal manuscrit d'un contemporain de sa jeunesse, nous apprenons que dès-lors notre poëte se fit remarquer par ses distractions, son indolence et son vif penchant pour les plaisirs. Son père, s'étant rendu à Paris pour suivre un procès, l'avoit emmené avec lui. Il le chargea un jour d'un message pressé, en lui disant que de sa célérité dépendoit en partie le succès de son affaire. La Fontaine sort, rencontre quelques uns de ses camarades, se met à causer avec eux; et, oubliant son message, il se laisse conduire à la comédie: ce ne fut qu'à son retour que les reproches de son père lui rappelèrent ce dont il s'étoit chargé, et lui firent connoître la faute qu'il avoit commise. Une autre fois, en revenant de Paris à Château-Thierry, il avoit attaché à l'arçon de sa selle des papiers de famille de la plus grande importance; ils se détachèrent et tombèrent sans que La Fontaine, occupé à rêver, s'en aperçut. Le courrier de l'ordinaire passe quelques minutes après, voit un paquet

1 Gédéon Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits intitulés Historiettes. Au sujet de ce manuscrit voyez nos préfaces des OEuvres complètes de La Fontaine, 1823, in-8°, t. VI, p. XIII, et des Nouvelles œuvres de J. de La Fontaine, 1820, in-8°、 P. XI.

à terre et le ramasse; puis à quelque distance il aperçoit un cavalier seul sur la route: c'étoit La Fontaine auquel il demanda s'il n'avoit rien perdu. La Fontaine, tout étonné de la question, regarde de tout côté, et répond avec assurance que rien ne lui manque. « Cependant, dit le courrier, je viens de trouver à terre ce sac de papiers.»» — « Ah! c'est à moi, s'écrie La Fontaine, et il y va de tout mon bien.» Puis il reprend son paquet avec empressement, et l'emporte1.

Vers cette époque aussi La Fontaine fut soupçonné d'intrigues amoureuses avec plusieurs dames de Château-Thierry et des environs. Un jour, pendant l'hiver et durant une forte gelée, on l'aperçut, la nuit, courant, une lanterne sourde à la main, et en bottines blanches, ce qui caractérisoit alors la grande parure3. Cet incident donna lieu à bien des suppositions.

Son aventure avec la femme du lieutenantgénéral de Château-Thierry fit encore plus de bruit. Il en étoit amoureux et desiroit vivement la voir en particulier. Pour cela il résolut de s'introduire chez elle pendant la nuit, en l'absence de son mari. Mais cette dame avoit une petite

Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits.

Tallemant, loc. cit.

Au sujet de ce costume voyez les Mémoires de Grammont, chap. III, dans les OEuvres d'Hamilton, t. I, p. 29, ligne 7, édit. 1812, in-8°.

chienne qui faisoit bonne garde. La Fontaine commença par se saisir de la chienne et l'emporta chez lui; puis le même soir, d'intelligence avec la suivante, il se glissa dans la chambre à coucher de la dame et se cacha sous une table couverte d'un tapis à housse. Malheureusement la lieutenante avoit retenu une de ses amies, pour passer la nuit, et se trouvoit couchée avec elle. La Fontaine ne fut pas déconcerté par ce contre-temps. Il attendit que l'amie fût endormie; et, s'approchant ensuite doucement du lit, il dit à voix basse : « Ne craignez rien, c'est La Fontaine »; il prit en même temps la main de sa dame, qui par bonheur ne dormoit pas. Tout ceci fut fait avec tant de promptitude et d'adresse qu'elle n'en fut point effrayée. La Fontaine s'entretint avec elle à loisir, et s'échappa avant que l'amie fût éveillée. « La lieutenante, dit l'auteur du journal, parut enchantée d'une si grande marque d'amour, et quoique La Fontaine assure qu'il n'en a obtenu que de légères faveurs, je crois qu'elle lui a tout accordé1. »

Lorsque La Fontaine eut atteint l'âge de vingtsix ans, son père voulut l'établir, et dans ce dessein il lui transmit sa charge et lui fit épouser

Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits.

a La Fontaine, Lettres à sa femme, liv. 1, t. VI, p. 389, note 1.

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