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à tous les biographes de notre fabuliste, quoiqu'il se trouve consigné dans un livre imprimé de son vivant. La Fontaine avoit un procès, et restoit à la campagne, sans s'en inquiéter. Un de ses amis apprend que ce procès va être jugé le lendemain, il en prévient La Fontaine, et lui envoie en même temps un cheval, pour qu'il se rende tout de suite à Paris, afin de solliciter ses juges. La Fontaine se met en route, puis, pour se reposer, il s'arrête chez une de ses connoissances, qui demeuroit à une lieue de la capitale. Il est reçu avec joie, accueilli avec empressement, parle de vers, et oublie son procès: on l'invite à coucher, il consent à rester, dort toute la nuit, et se réveille tard dans la matinée; mais en se réveillant il se rappelle enfin le motif pour lequel il s'est mis en route; il repart, arrive après le jugement rendu, et essuie les reproches de son ami. Sans se déconcerter, La Fontaine répond qu'il étoit bien aise au fond de cet incident, parcequ'il n'aimoit ni à parler d'affaires, ni à en entendre parler'.

Le desir qu'avoit La Fontaine de céder à la volonté des autres, et de ne rien faire qui pût leur être désagréable, contrarioit les habitudes

1 Le livre sans nom, 1695, p. 131; Walck., 1" édit., p. 450, note 88.

qu'il avoit prises de ne supporter aucune contrainte, et lui arrachoit quelquefois, pour se tirer d'embarras, des réponses qui, de la part de tout autre, eussent été impolies et grossières, mais qui, de la sienne, ne paroissoient que plaisantes, parceque tout le monde connoissoit ce caractère doux et inoffensif qui lui avoit si universellement mérité le surnom de bon homme. Le Verrier, financier de ce temps, qui avoit le triple travers de vouloir passer pour homme à bonnes fortunes, pour ami des grands seigneurs, et pour savant', avoit invité La Fontaine à dîner, dans l'espérance qu'il amuseroit ses convives. La Fontaine mangea, et ne parla point. Comme le dîner se prolongeoit, il s'ennuya, et se leva de table sous prétexte de se rendre à l'Académie. On lui fit observer qu'il n'étoit pas encore temps, et que deux heures venoient de sonner. «Ah bien! répondit-il, je prendrai le plus «<long." Et il sortit 2. Madame de La Sablière, étonnée elle-même et peut-être impatientée d'un trait d'absence semblable à celui que nous venons de raconter, lui dit un jour : « En vérité, mon

Monchesnay, Bolazna dans l'édit. des OEuvres de Boileau, par Saint-Marc, 1747, in-8°, t. V, p. 110-112.

2 Louis Racine, OEuvres, t. V, p. 157; Montenault, Vie de La Fontaine dans f'édit. des Fables, in-folio, p. XVII; Fréron, Vie de La Fontaine, p. x111 de l'édit, des Fables de Barbou, 1806, in-12, et dans les Mélanges de littérature.

cher La Fontaine, vous seriez bien bête, si vous

n'aviez pas tant d'esprit'. »

Ses ouvrages, qu'on réimprimoit sans cesse, prouvoient en lui non seulement beaucoup d'esprit, mais encore du plus fin et du plus malicieux. On publia en Hollande, en 1685, un recueil complet de ses Contes sans sa participation avec des figures de Romain de Hooge. Ce recueil eut un grand succès: car on en multiplia rapidement les éditions et les contrefaçons. Bayle, en rendant compte de cette édition, dans son journal, a dit: « Avec la permission de ceux qui mettent l'antiquité si au-dessus de notre siècle, nous dirons ici franchement, qu'en ce genre de compositions, ni les Grecs, ni les Romains, n'ont rien produit qui soit de la force des Contes de M. de La Fontaine, et je ne sais comment nous ferions pour modérer les transports et les extases de MM. les humanistes, s'ils avoient à commenter un ancien auteur, qui eût employé autant de finesse d'esprit, autant de beautés naturelles, autant de charmes vifs et piquants, que l'on en trouve dans ce livre-ci2.»

1 Notes manuscrites de M. Despotz; La Harpe, Cours de littérature, 2o partie. chap. x1, t. VI, p. 331.

2 Bayle, République des lettres, t. III, p. 435.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

1684-1689.

DANS le Recueil des Contes, publié en 1685, les éditeurs de Hollande terminent ainsi leur avertissement: «< Mais parceque l'on est très bien informé que M. de La Fontaine n'est pas celui qui prise le plus ses ouvrages, et qu'il n'est pas exact à les conserver, on prie ceux qui en pourront recouvrer, qui n'auront pas été imprimés, d'en vouloir faire part au public qui leur en sera redevable. »

La Fontaine, en effet, écrivoit un assez grand nombre de petits opuscules, qu'il ne se donnoit pas la peine de recueillir, et dont plusieurs n'ont été imprimés qu'après sa mort. C'est ainsi que dans une lettre à un des princes de Conti, il fit une comparaison d'Alexandre, de César et du prince de Condé, qui montre des connoissances historiques et un excellent jugement'. Une idée sur laquelle il revient plusieurs fois dans ce parallèle, devoit le conduire à une sorte de scepticisme qui

La Fontaine, Opuscules en prose, t VI, p. 350.

convenoit bien à l'indécision de son caractère: c'est que toutes les choses ont deux faces, et qu'on peut par conséquent disputer de part et d'autre tant qu'on voudra. « Ainsi, dit-il, Charles << Stuart a empêché de tout son pouvoir qu'on « n'ait cherché les conspirations qui se faisoient « contre lui. Il ne vouloit point qu'on punît les « conspirateurs. Par là il se fit aimer, et ne se fit « pas assez craindre '.» La Fontaine juge assez bien, et même assez sévèrement, les fautes de ses héros; mais il est plein d'indulgence pour eux, quand c'est l'amour qui les fait faillir. «< Ju«<les César, dit-il, a des traits d'humanité et de cléMais j'ai peine à lui pardonner deux fau<< tes: l'une, de ne s'être point encore assez défié << de Brutus; l'autre, de s'être laissé présenter le diadème, et d'avoir fait une tentative si péril«<leuse; car, quant à l'amour de Cléopâtre, je « trouverois les grands personnages bien mal

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heureux, s'ils étoient obligés de ne vivre que « pour la gloire. J'estime autant la conquête de «< cette reine, que celle de l'Égypte entière. Du "tempérament dont César étoit, il en devoit « devenir amoureux; c'est une marque de son « bon goût. Je le loue d'avoir été formarum spec«tator elegans. Alexandre et M. le Prince en ont

La Fontaine, Opuscules en prose, t. VI, p. 370.

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