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ciétés que La Fontaine fréquenta, fut de lui faire rompre l'engagement qu'il avoit pris de ne plus composer de nouveaux contes; et la promesse qu'il avoit faite à ce sujet, en vers et publiquement, il l'abjura de même dans le prologue du conte de la Clochette.

Oh! combien l'homme est inconstant, divers,
Foible, léger, tenant mal sa parole!
J'avois juré, même en assez beaux vers,
De renoncer à tout conte frivole;

Et quand juré? c'est ce qui me confond;
Depuis deux jours j'ai fait cette promesse.
Puis fiez-vous à rimeur qui répond

D'un seul moment! Dieu ne fit la

sagesse

Pour les cerveaux qui hantent les neuf sœurs:
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire,
Quelque jargon plein d'assez de douceurs;
Mais d'être sûrs, ce n'est là leur affaire'.

Cependant il faut avouer qu'il fut plus retenu, et que le petit nombre de contes qu'il a fait paroître, depuis sa réception à l'Académie, n'approchent pas de la licence de plusieurs de ceux. des recueils précédents. Aussi, même en violant sa promesse, il avoit pris avec lui-même l'engagement d'être plus sage; et comme il ne prenoit pas une résolution sans en faire confidence à sa

La Fontaine, Contes, v, 1, tome III, p. 487, Walck., 1" édition, p. 441, note 46.

Muse, après le prologue de la Clochette, dit dans celui du conte du Scamandre:

Me voilà prêt à conter de plus belle;
Amour le veut, et rit de mon serment:
Hommes et dieux, tout est sous sa tutelle,
Tout obéit, tout cède à cet enfant.
J'ai désormais besoin, en le chantant,

De traits moins forts et déguisant la chose;
Car, après tout, je ne veux être cause
D'aucun abus ; que plutôt mes écrits
Manquent de sel, et ne soient d'aucun prix'!

Ainsi, en avançant en âge notre poëte ne perdoit rien de sa gaieté. Il aimoit sur-tout à défendre les jeunes femmes contre les attaques de celles que le temps a dépouillées des moyens de plaire. On en eut la preuve dans la dispute poétique qu'excita sur le Parnasse françois madame Deshoulières, au sujet de la représentation de l'opéra d'Amadis, en janvier 1684. Fille de du Ligier, seigneur de La Garde, et mariée fort jeune à un lieutenant-colonel, madame Deshoulières entra dans le monde avec tous les avanta ges que donnent le rang, la naissance, l'esprit et la beauté. Sa jeunesse, environnée de séductions, fut aventureuse et galante: elle captiva par ses charmes le duc d'Enghien, depuis prince

La Fontaine, Contes, V, 2, t. III, p. 491.

de Condé, le plus illustre des héros de son temps. Elle eut de bonne heure un goût très vif pour la poésie, et apprit promptement, et au milieu de la dissipation et des plaisirs, le latin, l'italien et l'espagnol. C'étoit alors le règne des grands romans de chevalerie; on les regardoit comme les codes du bon goût et de la politesse. Madame Deshoulières avoit sur-tout été charmée de la lecture d'Amadis et de l'Astrée; sa vive imagination fut telle ment éprise de ces peintures idéales des mœurs chevaleresques et pastorales, qu'en 1672, elle partit de Paris exprès pour se rendre dans le Forez: elle visita le Lignon, et ces vallées délicieuses que d'Urfé a rendues si célèbres. Lorsque le roi eut de lui-même choisi Amadis pour sujet d'opéra, et que Quinault, qui avoit été chargé de le traiter, eut fait représenter son ouvrage sur le théâtre de Paris, madame Deshoulières, qui étoit alors âgée de cinquante ans, sentit se réveiller en elle toutes les idées romanesques qui, dans le printemps de sa vie, lui avoient fait éprouver de si douces illusions. Pour exalter le temps passé, et déprécier le temps présent, elle composa une épître et une ballade, qu'elle adressa au duc de Montausier, renommé par sa vertu sévère, et qui, dans ses relations avec les femmes, s'étoit montré le mo

déle de cette galanterie recherchée et respectueuse, qui commençoit à contraster avec les mœurs du jour. Il venoit de perdre son épouse, la célèbre Julie d'Angennes de Rambouillet, et madame Deshoulières, dans l'épître qu'elle lui adressa, après avoir déploré cette perte, termine en disant :

Seul vous pourrez comprendre,
Et plaindre, les ennuis profonds
Que souffre un cœur fidèle et tendre,

Dans un siècle où l'amour n'est que dans les chansons.

La ballade, comme l'épître, exprime les mêmes regrets du passé, le même chagrin du présent, mais avec plus de talent, et sur un ton moins solennel, ainsi que l'exigeoit la différence des genres.

Fils de Vénus, songe à tes intérêts,
Je vois changer l'encens en camouflets:
Tout est perdu si ce train continue.
Ramene-nous le siècle d'Amadis.

Il t'est honteux qu'en cour d'attraits pourvue,
Où politesse au comble est parvenue,

On n'aime plus comme on aimoit jadis '.

Madame Deshoulières étoit alors au plus haut

Madame Deshoulières, OEuvres, 1693, in-8°, t. I, p. 56; Pavillon, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 146.

point de sa réputation; tout ce qui sortoit de sa plume attiroit l'attention, mais aucune de ses productions n'avoit fait autant de bruit que cette ballade. Une foule de poëtes se présentèrent pour défendre le temps présent contre les attaques de celle qu'on appeloit la dixième Muse, la Calliope françoise. Le duc de Saint-Aignan, qui jouissoit de toute la faveur du roi, entra un des premiers dans la lice'; et madame Deshoulières, flattée d'avoir à combattre un tel champion, répondit à la ballade qu'il avoit composée sur les mêmes rimes, et avec le même refrain que la sienne. Le duc de Saint-Aignan répliqua; madame Deshoulières riposta de nouveau, et cette joute poétique se continua, jusqu'à ce que le noble et galant auteur finit par confesser sa défaite. Pavillon se joignit au défenseur du temps présent, et dans de fort jolies ballades soutint

Qu'on aime encor comme on aimoit jadis 2.

D'autres convinrent avec l'apologiste du siècle d'Amadis

Qu'on n'aime plus comme on aimoit jadis.

Saint-Aignan dans les OEuvres de Pavillon, t. II, p. 148.

2 Étienne Pavillon, OEuvres, t. II, p. 152. Cette pièce a été publiée d'abord en 1715, par Duval de Tours, sous le nom de La Fare, et ensuite insérée parmi les poésies de ce dernier, 1755, in-12, p. 17.

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