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cette affaire fut pour la cour un objet de dérision, et M. le Duc, le second fils du grand Condé, dont la brutale causticité ne respectoit rien', osa même en plaisanter avec le roi, et lui dit qu'une chose de cette importance et si essentielle à l'état ne demandoit pas moins qu'un juge tel que Sa Majesté. Louis XIV ne se laissa pas ébranler par ces railleries, et ne confirma l'élection de La Fontaine qu'après que Boileau eut été nommé de l'Académie, en remplacement de M. de Bezons, conseiller d'état, mort le 22 mars 1684. Lorsque l'Académie envoya, le 24 avril, un député au roi, pour lui faire part de cette nouvelle élection, Sa Majesté répondit : « Le choix qu'on a fait de Despréaux m'est très agréable, et sera généralement approuvé. Vous pouvez, ajoutat-il, recevoir incessamment La Fontaine; il a promis d'être sage. »

L'Académie reçut avec joie cette approbation, et, sans attendre la réception de Boileau, elle se hâta de procéder à celle de La Fontaine, qui se fit dans la séance publique du 2 mai 16843.

Saint-Simon, OEuvres, t. III, p. 51.

Lettre de M. de La Sablière le fils à Bayle dans la Bibliothèque raisonnée des savants de l'Europe, 1731, in-12, t. VI, 1" partie, p. 336.

Ces séances de réception furent d'abord tenues à huis-clos comme toutes les autres. Sur la demande de Charles Perrault l'académie decida qu'elles seroient rendues publiques. Fléchier fut le premier reçu selon cette nouvelle forme le 12 janvier 1673. Voyez Charles Perrault, Mémoires, p. 131 et 132, et le Recueil des harangues prononcées par messieurs de l'académie françoise, 1698, in-4°, p. 210

Cette séance commença par le discours du récipiendaire qui, selon l'usage, fit l'éloge de son prédécesseur, de Richelieu fondateur de l'Académie, du roi, et de l'illustre compagnie dans laquelle il étoit admis. Dans ce discours, qui a le mérite, aujourd'hui si rare, d'être court, La Fontaine, en parlant de Richelieu, dit que ce fut un ministre redoutable aux rois : il loue, avec une finesse peut-être un peu malicieuse, la grace que Louis XIV mettoit dans tout, même dans ses refus. « S'il m'est permis, dit-il, de des<«< cendre jusqu'à moi, un simple clin d'œil m'a «renvoyé, je ne dirai pas satisfait, mais plus « que comblé. » Il rend pleine justice à Colbert; mais, comme il ne pouvoit l'aimer, il passe rapidement sur ce qui le concerne : il loue enfin la piété de ses collègues, dont l'exemple, dit-il, ne pouvoit que lui être très profitable '.

L'abbé de La Chambre, qui étoit alors directeur, parla, dans sa réponse, du nouvel académicien, d'une manière qui prouve combien il étoit apprécié de son temps. « L'Académie, dit-il, reconnoît en vous, Monsieur, un génie aisé, facile, plein de délicatesse et de naïveté, quelque

La Fontaine, Opuscules en prose, t. VI, p. 342; Recueil de harangues prononcées par messieurs de l'académie françoise, 1698, in-4°, p. 438 à 446; Discours, harangues et autres pièces d'éloquence de messieurs de l'académie françoise et autres beaux esprits, 1697, t. I, p. 154. Il y a dans ce recueil une faute grave relativement à la date du discours de Boileau.

chose d'original, et qui, dans sa simplicité apparente, et sous un air négligé, renferme de grands trésors et de grandes beautés. » Mais en même temps, l'orateur crut devoir se permettre quelques exhortations qui ne pouvoient paroître déplacées dans une telle circonstance, si l'on considère la profession de celui qui parloit, et la nature de plusieurs des écrits de celui auquel le discours étoit adressé. «Songez, lui dit-il, que ces mêmes paroles que vous venez de prononcer, nous les insérerons sur nos registres; plus vous avez pris de peine à les polir et à les choisir, plus elles vous condamneroient un jour, si vos actions se trouvoient contraires, si vous ne preniez à tâche de joindre la pureté des mœurs et de la doctrine, la pureté du cœur et de l'esprit, à la pureté du style et du langage1. »>

Perrault lut ensuite une épître chrétienne de consolation à un homme veuf2. Remarquons la reine venoit de mourir, et que, que dans son discours, l'abbé de La Chambre avoit déja fait mention de la douleur publique, au sujet de cet événement. Après Perrault, Quinault lut les deux chants d'un poëme intitulé: Sceaux; et le

1 Discours de l'abbé de La Chambre lors de la réception de M. de La Fontaine, prononcé au Louvre le a mai 1684, in-4°, dans la collection de Huet, intitulée: Varia variorum, t. XIV, pièce numérotée 8.

2 Mercure galant, mai 1684, p. 63 à 65; Bayle, République des lettres, janvier 1685, t. III, p. 3 à 13.

journaliste d'alors, dans lequel nous puisons les détails de cette séance, a soin de remarquer qu'il fut très applaudi. Ce poëme qui est une description de la belle maison de Colbert à Sceaux, resté long-temps dans l'oubli, a été retrouvé de nos jours et imprimé en 1811'. La poésie en est élégante et facile, mais foible, et la publication de cet opuscule a fourni une nouvelle preuve qu'il faut se défier du prestige des lectures publiques. Benserade lut ensuite une traduction du Miserere, destinée à faire partie des Heures, auxquelles il travailloit pour le roi.

Enfin, La Fontaine, qui avoit ouvert la séance, la termina par un discours en vers, adressé à madame de La Sablière. Les beautés de ce discours, où le talent de l'auteur brille dans toute sa force, les convenances du lieu, des personnes et des temps, avec lesquelles il se trouvoit si bien d'accord, tout contribuoit à donner à cette lecture le plus haut degré d'intérêt. La Fontaine, en louant sa bienfaitrice, en l'associant en quelque sorte aux honneurs publics qu'il recevoit, acquittoit la dette de la reconnoissance; et, en faisant une confession générale de toute sa vie, en révélant en beaux vers ses défauts comme

Ꮏ II

1 OEuvres choisies de Quinault, 2 vol., in-18, édit. stéréotype, 1811, Didot, p. 264 et 286.

homme et comme écrivain, il intéressoit vivement son auditoire; il expioit le passé, satisfaisoit au présent et donnoit de nouvelles espérances pour l'avenir.

Des solides plaisirs je n'ai suivi que l'ombre;
J'ai toujours abusé du plus cher de nos biens.
Les pensers amusants, les vagues entretiens,
Vains enfants du loisir, délices chimériques,
Les romans et le jeu....

Cent autres passions, des sages condamnées,
Ont pris comme à l'envi la fleur de mes années'.

Les amis des bonnes mœurs et de la belle poésie, qui tous aimoient La Fontaine, malgré ses écarts, et desiroient sa réforme, durent entendre avec une vive satisfaction la fin de cet admirable dis

cours.

Que me servent ces vers avec soin composés?
N'en attends-je autre fruit que de les voir prisés?
C'est peu que leurs conseils, si je ne sais les suivre,
Et qu'au moins vers ma fin je ne commence à vivre :
Car je n'ai pas vécu; j'ai servi deux tyrans;

Un vain bruit et l'amour ont partagé mes ans.

Qu'est-ce que vivre, Iris? vous pouvez nous l'apprendre.
Votre réponse est prête; il me semble l'entendre:
C'est jouir des vrais biens avec tranquillité;

Faire usage du temps et de l'oisiveté;

La Fontaine, Építres, 17, t. VI, p. 143.

HIST.

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