Imatges de pàgina
PDF
EPUB

ces sociales, les satires du second formoient des motifs d'objections très fondés: mais cette compagnie comprit enfin que c'étoit s'illustrer ellemême que d'admettre dans son sein deux hommes qui faisoient la gloire de la littérature françoise seulement ses membres ne s'accordoient pas sur celui qu'il falloit recevoir le premier. La Fontaine qui desiroit vivement être nommé, mit dans cette affaire plus de suite et de constance que son caractère indolent ne sembloit le comporter. Il écrivit, dit-on, une lettre à un prélat, membre de l'Académie, pour témoigner quelques regrets de la licence de ses écrits, et pour promettre de n'en plus composer de semblables'. Comme il craignoit la concurrence de Boileau, il le pria de se désister en sa faveur. Boileau lui dit que, si l'Académie lui faisoit l'honneur de le nommer, il accepteroit, mais qu'il ne feroit aucune demande. Cependant les amis de Boileau cherchèrent autant qu'ils le purent à empêcher la nomination de son concurrent : un d'eux, l'académicien Roze, qui étoit secrétaire du cabinet du roi, et président d'une cour souveraine, jeta sur la table de l'Académie un des volumes des Contes de La Fontaine,

1 OEuvres de Boileau, édit. de Saint-Marc, 1747, in-8°, t. III, p. 63; Louis Racine, OEuvres, t. V, p. 96.

[ocr errors]

comme pour faire honte à la compagnie de penser à choisir un homme qui étoit l'auteur d'écrits aussi licencieux 1. S'apercevant qu'il n'avoit pas produit par ce moyen beaucoup d'impression, il dit avec humeur: «Je vois bien, Messieurs, qu'il vous faut un Marot. »-« Et à vous une << marotte», répliqua vivement Benserade, qui opinoit pour La Fontaine, et que cet acharnement du président Roze, contre le bonhomme, impatientoit. Cette bouffonnerie fit rire, et l'opinion de Benserade, si hautement déclarée, eut sur plusieurs membres, encore incertains, une heureuse influence pour La Fontaine.

L'Académie, par ses statuts, lorsqu'il y avoit une place vacante, devoit procéder à deux scrutins, le premier pour déterminer à la pluralité des suffrages quel candidat elle proposeroit au protecteur, c'est-à-dire au roi, et l'autre pour consommer l'élection après que le protecteur auroit répondu en faveur du sujet proposé. Le second scrutin n'étoit, comme on le pense bien, qu'une forme imaginée pour avoir l'air de laisser à l'Académie seule le libre choix de ses membres.

1 Montenault, Vie de La Fontaine, in-folio, p. 22; Matthieu Marais, Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, p. 75, ou p. 98 de l'édit. in-18; Furetière, Recueil de Factums contre l'académie, 1694, in-12, t. I, p. 292.

> Tallemant le jeune, dans le Discours touchant la vie de M. Benserade, p. 31, en tête des OEuvres de ce poëte, 1697, t. I, p. 32.

Au premier scrutin, La Fontaine eut seize voix, et Boileau sept. Aussitôt les amis de Boileau et les antagonistes de notre fabuliste allèrent prévenir Louis XIV, et n'eurent pas de peine à intéresser sa religion; car il étoit déja très mé content qu'on eût donné la préférence à La Fontaine sur Boileau qui étoit en faveur auprès de lui, et qu'il avoit nommé son historiographe avec Racine. Lors donc que, selon l'usage, M. Doujat, député de l'Académie, alla le lendemain savoir de Sa Majesté si l'on procèderoit au second scrutin, le roi répondit avec humeur ; « Je sais qu'il y a eu du bruit et de la cabale dans l'Académie. » M. Doujat voulut lui faire entendre que tout s'étoit passé dans les formes, et lui expliquer ces formes; mais le roi l'interrompit en disant : « Je le sais très bien, mais je ne suis pas encore déterminé; et je ferai savoir mes intentions à l'Académie1.»

Le roi partit pour la campagne de Flandre, et ne donna point de décision. Ce fut alors que La Fontaine, qui desiroit le fléchir, composa, pour célébrer ses victoires, une ballade dont le refrain étoit,

L'événement n'en peut-être qu'heureux.

I D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, depuis 1652 jusqu'en 1700, in-4", t. II, p. 22. D'Olivet cite à ce sujet les Registres de l'académie françoise, en date du 20 novembre 1683.

L'envoi de cette ballade avoit pour but de faire consentir le monarque à sa nomination. Madame de Thianges se chargea de la faire connoître au roi. Son crédit avoit plutôt augmenté que diminué depuis la retraite de sa sœur. Pendant le carnaval de l'année 1683, le roi avoit donné des divertissements à toute sa cour, dans les grands appartements qu'il avoit ajoutés au château de Versailles. Le grand-écuyer, M. le Duc, et le cardinal de Bouillon, donnèrent ensuite successivement des fêtes auxquelles le roi assista. Madame de Thianges termina délicieusement les plaisirs de ce carnaval, en donnant à Louis XIV un bal masqué, et en faisant jouer devant lui une comédie dans laquelle reparurent successivement l'Avare, le Misanthrope, le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, la comtesse d'Escarbagnas, le Trissotin des Femmes • Savantes et les principaux personnages des comédies de Molière, qui, en s'abandonnant à l'impulsion de leur caractère, faisoient malgré eux, sous la forme de la satire, un éloge du monarque, de sa cour et des événements de son régne'. Le roi fut plus enchanté de cette fête

que

Bourdelot, Relation des assemblées faites à Versailles, dans le grand appartement du roy, pendant ce carnaval de l'an 1683, in-12, 1683. Bourdelot ne nous apprend pas le nom de l'auteur de cette comédie. Est-elle imprimée? existe-t-elle encore en manuscrit dans une des collections de pièces de théâtre que l'on a formées ?

de toutes celles qu'il avoit reçues. La faveur dont madame de Thianges jouissoit auprès de lui s'en accrut. Elle en profita pour venir au secours de son poète chéri, et lut à Louis XIV la nouvelle ballade de La Fontaine'. Comme on le pense bien, elle appuya fortement sur la fin, où le poëte, en parlant du plaisir qu'il a de songer à la gloire dont le roi jouira dans l'histoire, dit :

Ce doux penser, depuis un mois ou deux,
Console un peu mes muses inquiétes.
Quelques esprits ont blâmé certains jeux,
Certains récits, qui ne sont que sornettes.
Si je défère aux leçons qu'ils m'ont faites,
Que veut-on plus? Soyez moins rigoureux,
Plus indulgent, plus favorable qu'eux,
Prince, en un mot, soyez ce que vous êtes,
L'événement ne peut m'être qu'heureux2.

De Vizé, qui inséra cette ballade dans son Mercure du mois de janvier 1684, dit qu'elle est du fameux M. de La Fontaine; et il en fait un grand éloge. Le journaliste ne déguise pas que l'auteur l'a principalement composée dans le but d'obtenir du roi que la surséance, mise à sa réception, fût levée3. Le sérieux que l'on mit dans

D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, depuis 1751 jusqu'en 1700, ia-4°, t. II, P. 23.

a La Fontaine, Ballades, 10; t. VI, p. 251.

3 Vizé, Mercure galant, mai 1684, p. (3 et 65; Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, t. I, p. 262 à 275.

« AnteriorContinua »