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du talent flexible de notre fabuliste avoient échappé à la connoissance de tous les littérateurs jusqu'à l'époque où nous les avons tirés du livre où ils étoient ensevelis, pour les placer dans ses OEuvres complètes, à la suite de cette touchante épitaphe du tombeau d'Homonée', tirée des antiquités de Boissard, qu'il a aussi traduite du latin en vers et en prose. Il a fait imprimer luimême cette double traduction dans un recueil, dont nous parlerons bientôt, et qu'il publia en 1685, en commun avec de Maucroix.

Ainsi La Fontaine, tantôt par goût, tantôt par amitié, et quelquefois par complaisance, forçoit sa muse à s'essayer dans tous les genres; mais, jamais il n'a donné un exemple plus frappant de la facilité de son caractère et de l'empire qu'exerçoient sur lui ceux qu'il aimoit, que lorsqu'à la sollicitation de la duchesse de Bouillon, et comme malgré lui, il se laissa aller à célébrer le quinquina, et composa sur ce sujet un poëme en deux chants, qu'il lui dédia'. L'erreur fut complète, et les détails techniques inévitables dans un pareil sujet, font qu'il est difficile de lire ce poëme jusqu'au bout. C'est peut-être par cette raison que l'on n'a pas remarqué qu'il se

La Fontaine, Traductions en vers, etc, t. VI, p. 313 à 323. 2 La Fontaine, le Quinquina, poëme, t. V, p. 327 à 357.

termine par une fable assez bien faite, et qu'on auroit dû ajouter au recueil de La Fontaine, dans lequel on a placé deux ou trois compositions qui ne sont pas des fables, et qui n'avoient jamais été insérées par lui dans celles qu'il a publiées: cette nouvelle fable devroit être intitulée: Jupiter et les deux Tonneaux'.

Si l'on ne connoissoit l'histoire de cette écorce salutaire, que l'on nomme quinquina, on auroit de la peine à comprendre comment une femme aimable, gaie et spirituelle, pouvoit engager un poëte tel que La Fontaine à s'occuper d'un pareil sujet : mais les discussions des médecins sur ce febrifuge avoient à cette époque attiré l'attention des gens du monde, qui, selon l'usage, prenoient parti pour ou contre, sans connoissance de cause. L'écorce de l'arbre du Pérou, qu'on nomme quinquina, étoit restée pendant un siècle et demi inconnue aux Espagnols qui avoient découvert l'Amérique. Les indigènes du Nouveau Monde, qui en connoissoient les vertus médicales, les avoient par haine soigneusement cachées aux féroces conquérants de leur patrie. Cependant l'un d'eux, en 1638, sensible aux services qu'il avoit reçus d'un Es

On a suivi ce conseil et dans une assez belle édition in-4° des fables de La Fontaine, on y trouve la fable de Jupiter et les deux tonneaux.

pagnol, gouverneur de Loxa, pour en témoigner sa reconnoissance, lui fit présent du quinquina, et lui en révéla les propriétés. Par le moyen de cette écorce, cet Espagnol fut assez heureux pour guérir d'une fièvre opiniâtre la comtesse de Cinchon, épouse du vice-roi du Pérou: de là le nom de Cinchona, que les botanistes ont donné à ce genre de végétal, et de poudre de la comtesse, par lequel on désigna le quinquina réduit en poudre. Le procurateur général des Jésuites de l'Amérique, s'étant rendu à Rome en 1649, apporta le quinquina, qu'on nomma poudre des pères, et poudre des Jésuites, puis poudre du cardinal de Lugo1. Mais les médecins s'élevèrent contre ce remède, et il ne réussit pas en Europe. A la vérité, les Jésuites le vendoient au poids de l'or; par cette raison, il n'étoit administré qu'à petites doses, et il ne faisoit aucun bien ou faisoit du mal. Cependant s'il eut ses détracteurs, il eut aussi ses partisans: divers médecins écrivirent en sa faveur; mais ce ne fut qu'en 1679 qu'un Anglois, nommé le chevalier de Talbot, en l'administrant, infusé dans du vin, fit des cures si répétées, qu'enfin le quinquina attira l'attention de tous les gens de l'art, et fut pré

1 Les admirables qualités du kinkina confirmées par plusieurs expériences, Paris, 1694, in-12, p. 1. La 1" édit, est de 1689. Conférez encore Blegny, De la découverte de l'admirable remède anglois, 1680.

conisé comme un remède souverain contre la fievre'. Il fut d'abord connu en France sous le nom de remède anglois. Lorsque Colbert et plusieurs seigneurs de la cour eurent été guéris par ce moyen, Louis XIV donna au chevalier de Talbot deux mille louis d'or et une pension annuelle de deux mille francs pour obtenir de lui la manière de préparer et de prendre le quinquina, et il fit en même temps acheter à Cadix et à Lisbonne une très grande quantité de ce spécifique pour les hôpitaux de son royaume. C'est dans ces circonstances que madame la duchesse de Bouillon, qui avoit épousé avec chaleur la cause du quinquina, crut qu'un des moyens les plus efficaces d'en propager l'usage, étoit de faire célébrer ses vertus par la muse de La Fontaine, chérie du public, et devenue en quelque sorte populaire. On voit cependant que notre poëte pressentoit combien étoit ingrate la tâche qu'on lui imposoit, et qu'il ne s'en acquittoit qu'à regret, et comme malgré lui :

Je ne voulois chanter que les héros d'Ésope:
Pour eux seuls en mes vers j'invoquois Calliope;
Même j'allois cesser, et regardois le port.

La raison me disoit que mes mains étoient lasses:

Les admirables qualités du kinkina, ele,, p. 53.

HIST.

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Mais un ordre est venu plus puissant et plus fort
Que la raison; cet ordre accompagné de graces,
Ne laissant rien de libre au cœur ni dans l'esprit,
M'a fait passer le but que je m'étois prescrit.
Vous vous reconnoissez à ces traits, Uranie:
C'est pour vous obéir, et non point par mon choix,
Qu'à des sujets profonds j'occupe mon génie,
Disciple de Lucrèce une seconde fois '.

Par ce dernier vers La Fontaine fait allusion au discours sur l'ame des bêtes, adressé à madame de La Sablière, et inséré dans ses fables.

Le poëme du Quinquina retraçoit fidèlement, en vers faciles et élégants, tout ce qui se trouvoit de plus essentiel dans les traités en prose que François de Monginot et Blegny avoient publiés sur le même sujet. Blegny étoit un charlatan qui ne savoit que s'approprier le travail des autres; mais de Monginot étoit un homme de mérite, intime ami de La Fontaine. Le premier il avoit fait connoître la manière de préparer et d'administrer le quinquina, que plusieurs de ses confrères cachoient encore comme un secret, et c'est à son traité intitulé: De la guérison des fièvres par le quinquina, qui avoit paru en 1679, et qui avoit eu un très grand succès', que notre poëte fait allusion, quand il dit :

La Fontaine, Le quinquira, poëme, t. V, p. 329.

2 s'en fit successivement cinq éditions, une à Lyon en 1679, et quatre

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