singulière et comique satire, intitulée le Flo rentin. Le Florentin Ce qu'il sait faire..... J'en étois averti; l'on me dit, Prenez garde; Malgré tous ces avis, il me fit travailler. Un enfant des neuf sœurs, enfant à barbe grise, Être dupe: il le fut, et le sera toujours. Je me sens né pour être en butte aux méchants tours. Vienne encore un trompeur, je ne tarderai guère. A tort, à droit me demanda Du doux, du tendre, et semblables sornettes, Confits au miel; bref il m'enquinauda1. Madame de Thianges chercha à apaiser le courroux de La Fontaine, et à le réconcilier avec Lully, ce qui ne fut pas difficile. Le raccommodement fut si complet et si sincère, que La Fontaine supprima sa diatribe, et qu'il fit depuis pour Lully deux dédicaces en vers, l'une La Fontaine, le Florentin, t. VI, p. 131. Consultez au sujet de Quinault les OEuvres de Pavillon, t. II, p. 177, et les OEuvres de Chaulieu, 1774, in-8°, t. II, p. 91; Chansons historiques et critiques, manuscrit, t. VI, p. 278. pour l'opéra d'Amadis, et l'autre pour celui de Roland; la dernière est charmante, et Louis XIV yest loué avec beaucoup de grace et de délica tesse'. La Fontaine, pour s'excuser auprès de madame de Thianges qui avoit désapprouvé sa satire, lui avoit déja adressé une épître en vers, dans laquelle il exposoit ce qui s'étoit passé alors dans son esprit avec sa gaieté, sa franchise et sa bonhomie ordinaires : Vous trouvez que ma satire J'eusse ainsi raisonné si le ciel m'eût fait ange, Mais il m'a fait auteur, je m'excuse par là: Auteur qui pour tout fruit moissonne Et vous croyez qu'il s'en taira? Il n'est donc plus auteur : la conséquence est bonne. Je suis cet indulgent; s'il ne s'en trouve point, Je pourrois alléguer encore un autre point: C'est la cour, et ce sont toute sorte de gens, Les amis, les indifférents, Qui m'ont fait employer le peu que j'ai de bile: Il amène ensuite très naturellement l'éloge du roi, de son bon goût et de son discernement en littérature. La Fontaine désiroit que son opéra fût joué devant Louis XIV; et il n'eût point été indifférent sur le succès ou la chute de cet ouvrage. Nous avons ailleurs démontré la fausseté des récits qui sembloient prouver le contraire, et fait voir l'absurdité des contes puérils dont on a surchargé cette partie de la vie de notre poëte. Pour que le but des louanges que La Fontaine donne au roi soit clairement exprimé, il termine ainsi son épître : Retourner à Daphné vaut mieux que se venger. Ce fut aussi à l'instigation de madame de 1 La Fontaine, Épitres, 15, t. VI, p. 135. Ibid., p. 139. HIST. 20 Thianges que La Fontaine fit des vers pour madame de Fontanges; mais pour expliquer comment madame de Thianges pouvoit engager notre poëte à chanter une rivale de sa sœur, il faut entrer dans le détail de ce qui se passoit alors à la cour de Louis XIV. Madame de Montespan s'apercevoit de jour en jour que son ascendant sur le roi diminuoit avec ses attraits. Elle auroit vu finir sans trop de regrets un commerce dont les plaisirs étoient émoussés par une longue habitude; mais elle ne pouvoit, sans une peine extrême, se voir dépouiller de la puissance qu'elle exerçoit dans la plus brillante cour de l'Europe, ni renoncer à l'éclat de la grandeur royale, dont elle étoit environnée. Elle aima mieux humilier son orgueil que de sacrifier les intérêts de son ambition. C'est ainsi que, comme une nouvelle Livie, elle chercha à inspirer du goût au roi pour une de ses nièces, la duchesse de Nevers, fille aînée de madame de Thianges, jeune et belle personne, pleine de graces et d'esprit. La duchesse de Nevers se seroit volontiers prêtée à ces projets, puisqu'elle se livra depuis à M. le Prince, fils aîné du grand Condé, un des hommes les plus laids de son temps, mais aussi un des plus spirituels, des plus galants et des plus généreux'. Un obstacle insurmontable s'opposoit au succès de son intrigue avec le roi. Entraîné par la fougue de l'âge, Louis XIV avoit désobéi sans pudeur aux préceptes de la religion; mais cependant, par une contradiction qui ne se concilie que trop bien avec notre misérable nature, il fut toujours sincèrement attaché à ses dogmes, il ne négligeoit pas ses pratiques, il ne rejetoit point ses conseils. Lorsque ses directeurs spirituels, et surtout Bossuet2, virent que le feu des passions s'étoit amorti en lui, et que son amour pour madame de Montespan s'étoit presque éteint par une longue jouissance, ils tâchèrent de l'arracher à ses habitudes. Ils lui représentèrent qu'un tel commerce étoit beaucoup plus coupable avec une femme mariée qu'avec toute autre. Ces scrupules qu'ils avoient fait naître en lui, et qui lui firent prendre la résolution de se séparer de madame de Montespan, s'appliquoient aussi à madame la duchesse de Nevers, et empêchèrent la réussite du plan qu'on avoit formé. Il 1 Caylus, Souvenirs, p. 121; Choisy, Mémoires; Recueil de chansons critiques et historiques, manuscrit, t. I, p. 235. Mademoiselle de Thianges avoit été mariée au duc de Nevers, le 14 décembre 1670. Voyez la Gazette de Robinet et l'Histoire du Théâtre-François, par les frères Parfaict, t. XI, p. 107. De Beausset, Histoire de Bossuet, t. II, p. 54-58; madame de Maintenon, Lettres, Amsterdam, 1756, t. II, p. 99, lettre x1, adressée à la comtesse de Saint Céran. |