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nièce chérie du duc de La Rochefoucauld, l'auteur des Maximes. Elle s'étoit fait remarquer par la vivacité de son esprit et les graces de sa personne, et se plaisoit beaucoup à la lecture des ouvrages de La Fontaine. Elle avoit même lu ses contes, et les trouvoit peu clairs, ou plutôt feignoit de ne pas bien les entendre; c'est pourquoi elle engageoit notre poëte à écrire des fables de préférence. Il obéit, mais, sans doute bien instruit des inclinations secrètes de mademoiselle de Sillery, il composa une fable où il n'est question que d'amour et qui est plutôt une éclogue qu'un apologue. Dans le préambule il dit à cette jeune beauté.

J'avois Ésope quitté,

Pour être tout à Boccace;

Mais une divinité

Veut revoir sur le Parnasse

Des fables de ma façon.

Or, d'aller lui dire, non,
Sans quelque valable excuse;
Ce n'est pas comme on en use
Avec les divinités;

Sur-tout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles
Fait reines des volontés.
Car, afin que l'on le sache,
C'est Sillery qui s'attache
A vouloir que, de nouveau,
Sire loup, sire corbeau,

Chez moi se parlent en rime.
Qui dit Sillery, dit tout.

Mes contes, à son avis,

Sont obscurs: les beaux esprits
N'entendent pas toute chose.
Faisons donc quelques récits

Qu'elle déchiffre sans glose'.

Ce récit intitulé, Tircis et Amarante, a dû être composé avant l'année 1675; car ce fut le 23 mai de cette année que mademoiselle de Sillery, âgée de vingt-quatre ans, épousa Louis de Tibergeau, marquis de La Mothe au Maine'. Elle acquit dans le monde de la célébrité par son esprit, ses vers et la protection qu'elle accordoit aux gens de lettres, et entretint long-temps en commerce épistolaire avec le duc de La Rochefoucauld, son oncle, avec Hamilton et avec Destouches. Un jour, qu'on disputoit devant elle pour savoir s'il étoit plus tendre d'écrire à sa maîtresse en vers, ou de lui écrire en prose, elle improvisa sur-le-champ ce quatrain:

Non, ce n'est point en vers qu'un tendre amour s'exprime: Il ne doit point rêver pour trouver ce qu'il dit;

La Fontaine, Fables, VIII, 13, t. II, p. 81.

Mais de ce que Mathieu Marais parle occasionellement de mademoiselle de Sillery et de cette fable sous la date de 1667, au sujet d'une édition des Contes, il ne s'ensuit pas qu'il ait voulu dire que cette fable ait été composée en 1667, comme on l'a dit. Voyez Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par Mathies Marais, p. 39.

HIST.

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Et tout arrangement de mesure et de rime Ote toujours au cœur ce qu'il donne à l'esprit. Madame de Tibergeau conserva, pendant une longue vieillesse, le goût pour la poésie et les qualités aimables qui l'avoient distinguée dans sa jeunesse, et mourut, à Paris, le 27 juin 1732, à l'âge de quatre-vingt-trois ans '.

2

Passons actuellement à la fable dédiée à madame de La Sablière. A cette époque, Descartes et ses disciples avoient, par leurs arguments, donné une réputation de nouveauté à une question de métaphysique bien ancienne : celle qui concerne l'ame des bêtes. On avoit publié de part et d'autre des traités que La Fontaine n'avoit pas lus. Mais il avoit, chez madame de La Sablière, entendu débattre ces matières par Bernier et par d'autres savants : et, comme une telle question l'intéressoit vivement, il y rêva de son côté, et voulut aussi en parler, mais à sa manière et dans son langage naturel, c'est-à-dire en vers. C'est dans ce but qu'il a écrit le discours que nous avons déja cité et qui forme la

■ Dictionnaire de la noblesse, 2o édit., in-4°, t. III, p. 293; OEuvres d'Hamilton, 1812, in-8°, t. II, p. 170; Notice sur Destouches dans la Petite bibliothèque des théâtres; Monet, Anthologie françoise, 1765, in-8°, t. I, p. 169; madame de Genlis, De l'influence des femmes sur la littérature, 1811, in-8°; Auguste de La Bouisse. Journal anecdotique et feuille d'affiche de la ville de Castelnaudary, en date du 21 août 1822, p. 33 à 39.

2 Voyez Bayle dans la Nouvelle république des lettres, mars 1684, art. II.

fable première du dixième livre. On l'a souvent, avec raison, apporté en exemple pour prouver la flexibilité du talent de La Fontaine, et comme le premier essai heureux des Muses françoises sur un sujet abstrait : mais pour l'objet qui nous occupe, ce que nous devons le plus remarquer dans ce discours, c'est l'extrême bonne foi du poëte. Madame de La Sablière étoit cartésienne, et La Fontaine, qui en savoit sur ces matières beaucoup moins qu'elle, vouloit être cartésien : aussi commence-t-il par un pompeux éloge du

maître.

Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu

Chez les païens, et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit; comme entre l'huître et l'homme Le tient tel de nos gens, franche bête de somme'.

Il reproduit ensuite très bien les arguments de Descartes; mais comme ils tendent à prouver que les bêtes sont de pures machines, et que cette conclusion révolte le bon sens naturel de

notre poëte, il expose ses doutes, et cite plusieurs traits d'intelligence de divers animaux, qui démontrent, par induction, le contraire de ce qu'il a déduit par raisonnement.

On

pense bien que La Fontaine n'a pas dédié

La Fontaine, Fables, x, 1, t. II, P.

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une fable à madame de La Sablière sans louer cette généreuse bienfaitrice. Comme elle craignoit sur-tout de passer pour savante, La Fontaine, d'après son desir, a l'air d'ignorer qu'elle connut les matières dont il va l'entretenir, et lui demande si elle a ouï parler

De certaine philosophie

Subtile, engageante, et hardie.

Il paroît aussi qu'elle avoit interdit à notre poëte des louanges qui, dans sa position, auroient perdu de leur prix, et n'auroient semblé qu'une reconnoissance intéressée. Avec quelle adresse il échappe à cet écueil !

Iris, je vous louerois; il n'est que trop aisé:
Mais vous avez cent fois notre encens refusé;
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur.

Je ne les blâme point; je souffre cette humeur:

Elle est commune aux dieux, aux monarques, aux belles. Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,

Le nectar, que l'on sert au maître du tonnerre,

Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point;
D'autres propos chez vous récompensent ce point:
Propos, agréables commerces,

Où le hasard fournit cent matières diverses;

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