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Est le curé Chouart qui sur son mort comptoit,
Et la fable du Pot au lait.

Donc, la fable charmante de la Laitière et le Pot au lait, inconnue encore à madame de Sévigné, étoit composée en 1672, et sa lettre nous prouve que plusieurs des fables qui ne furent publiées qu'en 1678 circuloient déja en manuscrit.

Ce passage de la lettre de madame de Sévigné réfute complètement un conte ridicule que Fréron a consigné dans son Année littéraire en 17752, et qui est fondé uniquement sur le nom de Jean Chouart, que La Fontaine a donné au curé de sa fable. Un nommé Choquet, qui se dit prêtre, assure au journaliste que La Fontaine n'a écrit la fable du Curé et le mort que pour se venger du curé Chouart, personnage réel, suivant lui, et d'une famille distinguée de la Touraine, qui, dans un dîner où se trouvoient Racine et Boileau, avoit adressé des réprimandes au fabuliste, sur le scandale de sa séparation avec sa femme. Pour achever de démontrer la fausseté de cette anecdote, il suffit d'ajouter à ce que nous venons de dire sur la véritable origine de cet apologue, que le nom de Messire Jean

La Fontaine, Fables, VII, 10, t. II, p. 28.

2 Année littéraire, 1775, t. V; Solvet, Études sur La Fontaine, t. II, p. 27.

Chouart se trouve dans Rabelais': La Fontaine ne s'en est servi que parceque ce facétieux écrivain l'avoit, en quelque sorte, rendu populaire, pour désigner un homme d'église que l'on vouloit ridiculiser. J. B. Rousseau l'a aussi employé dans le même sens. Remarquons que si La Fontaine a laissé échapper de sa plume une ou deux épigrammes, jamais il n'a permis qu'on les imprimât. Dans tout ce qu'il a fait paroître de son vivant, il n'y a pas une seule ligne qui soit dirigée contre quelqu'un en particulier, ou écrite dans l'intention de blesser qui que ce soit.

Il y a dans ce second recueil cinq fables dédiées à différentes personnes, savoir, M. Barillon, le duc de La Rochefoucauld, mademoiselle de Sillery, madame de La Sablière et M. le duc du Maine. Celle qui est dédiée à M. Barillon est intitulée: le Pouvoir des Fables2. Pour bien entendre le prologue et les louanges que La Fontaine donne à M. Barillon, il faut rappeler les circonstances qui y donnèrent lieu, et suppléer encore au silence des commentateurs.

Charles II avoit été rétabli en 1660 sur le trône de ses pères. Jamais règne ne commença sous de plus heureux auspices que le sien. Tous

1 Rabelais, Pantagruel, liv. 1v, chap. 52, t. II, p. 129, édit. de 1741, in 4°. 2 La Fontaine, Fables, VII, 4, t. II, p. 62.

les partis, tour-à-tour oppresseurs et opprimés, avoient espéré trouver sous son sceptre légal deux sortes d'avantages que l'on s'efforce si souvent en vain de concilier, la liberté et le repos. Le jeune roi éprouva bientôt combien, après un long interregne d'anarchie et de despotisme, il est difficile de raffermir un trône qu'un usurpateur a, par de grands succès, entouré d'un éclat passager. Dans cette position, Charles avoit également à se garantir de ses amis et de ses enne

mis; il étoit jeune, aimoit le plaisir, détestoit le travail, et n'avoit aucune des qualités nécessaires pour surmonter tant d'obstacles. Il ne pouvoit se passer du parlement, et le parlement s'opposoit à toutes les mesures qu'il vouloit prendre. Bientôt il ne put gouverner avec lui ni sans lui. Louis XIV profita de son embarras, lui fit parvenir des subsides, et lui promit de le soustraire, par son appui, à la tutèle de la chambre des communes. Pour ces négociations délicates, Louis XIV choisit Barillon, homme d'un esprit vif, aimable, ami intime de madame de Sévigné, de madame de Grignan, sa fille, de madame de Coulange, et de toute la société que La Fontaine fréquentoit le plus habituellement, et où il se plaisoit davantage. Par l'habileté de ce négociateur et par les subsides de Louis XIV, l'Angle

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terre indignée devint l'instrument mercenaire
de la grandeur de la France. Mais enfin, lorsque
celle-ci se fut emparée, avec tant de rapidité,
de la Flandre, de la Franche-Comté et d'une
moitié de la Hollande, presque toute l'Europe
alarmée se ligua contre le grand monarque, et
le parlement, que Charles II avoit assemblé le
plus tard possible, mais enfin qu'il avoit été forcé
d'assembler, et qui ouvrit ses séances le 13 avril
1675, le contraignit à se joindre aux autres puis-
sances pour entrer sérieusement dans les négo-
ciations qui amenèrent, peu de
temps après, la
paix de Nimègue. C'est durant les débats très
vifs qui eurent lieu à ce sujet dans la chambre
des communes, que La Fontaine dédia la fable
dont nous venons de parler, à M. Barillon'.

La qualité d'ambassadeur

Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires?

Vous puis-je offrir mes vers et leurs graces légères?
S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires?
Vous avez bien d'autres affaires

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Hume's, History of England, ch. 66, édit., in-8°, 1782, t. VIII, p. 11; Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. x1; madame de Sévigné, Lettres, t. II, p. 394, lettre 243; t. VIII, p. 287, 306, 403, lettres 1014, 1018, 1043; Saint-Évremond, OEuvres, 1753, in-12, t. VI, p. 287; Fox's, History of the early parts of the reign of James the second, 1808, in-4°, p. 7 à 143 de l'appendix; OEuvres de La Fontaine, 1823, in-8°, t. VI, p. 537 et note 2; Lettres pour servir à l'histoire militaire de Louis XIV; Journal de Dangeau, 10 janvier 1689; Dictionnaire de la noblesse, t. I, P. 731.

Du lapin et de la belette.

Lisez-les; ne les lisez pas:

Mais empêchez qu'on ne nous mette
Toute l'Europe sur les bras.

Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,

J'y consens; mais que l'Angleterre
Veuille

que nos deux rois se lassent d'être amis, J'ai peine à digérer la chose.

N'est-il point encor temps que Louis se repose?
Quel autre Hercule enfin ne se trouveroit las
De combattre cette hydre? et faut-il qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras?

Si votre esprit plein de souplesse,

Par éloquence et par adresse,

Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons : c'est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse'.

Voltaire, qui est resté sans rival dans la poésie légère, admiroit beaucoup le prologue de la treizième fable du livre VIII que La Fontaine a dédié à mademoiselle de Sillery. Nos lecteurs nous demanderont de leur faire connoître celle à qui notre poëte adressoit un hommage que Voltaire loue comme un modèle de grace et de finesse2. Gabrielle Françoise Brulart de Sillery étoit la troisième fille de Louis Brulart de Sillery et de Marie-Catherine de La Rochefoucauld ; c'étoit la

La Fontaine, Fables, VIII, 4, t. II, P. 62.

a Voltaire dans la Connoissance des beautés et des défauts de la poésie, article Jable: cité dans Guillon, La Fontaine et tous les Fabulistes, t. II, p. 125.

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