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lui a prêté ce récit, dans son livre intitulé: l'Horloge des princes, et La Fontaine a ensuite versifié d'une manière sublime le long discours de Guévara'.

Quelques unes de ses fables ne sont qu'un trait d'histoire qui le frappoit dans ses lectures, ou une anecdote qu'il avoit entendu raconter en société, ou enfin le récit de faits singuliers, qui prouvent l'intelligence des animaux. Quelquefois un apologue n'est pour lui que l'occasion ou le prétexte de combattre un préjugé, et de disserter sur les sujets les plus élevés et du plus grand intérêt pour le bonheur de l'homme. Ainsi la fable de l'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits2 est racontée par lui en quatre vers, tandis que les réflexions qu'elle lui suggère en ont quarantequatre, également remarquables par la justesse et la profondeur des pensées, et par des traits de la plus haute poésie. Souvent même notre poëte intitule fable le résumé d'une conversation qui lui avoit paru intéressante, et qui lui avoit suggéré des réflexions utiles et morales. C'est ainsi qu'il a versifié dans le premier apologue du dixième livre3, ce que Jean Sobieski, depuis roi

La Fontaine, Fables, x1, 7, t. II, p. 231; Cassandre, Parallèles historiques, 1676 ou 1680, in-12, p. 433 à 470; Guévara, Horloge des princes, traduit par Robert de Grise, Lyon, 1575, liv. 111, chap. 3, p. 386 à 398.

2 La Fontaine, Fables, 11, 13, t. I, p. 115.

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de Pologne, lui avoit raconté, chez madame de La Sablière, des castors de son pays: la même fable contient aussi divers faits vrais, sur l'intelligence de la perdrix et du rat, admirablement bien mis en vers. Mais lorsque La Fontaine, dans la neuvième fable du livre XI', nous raconte qu'un chat-huant, après avoir pris plusieurs souris, les entassa dans son nid, leur coupa les pattes avec son bec, pour les empêcher de s'enfuir, les nourrit avec du blé pour pouvoir ensuite les dévorer à loisir, et qu'enfin il nous assure en note que ce fait est vrai, nous craignons qu'il n'ait été abusé par quelque observateur superficiel2.

Une autre anecdote rapportée par Mathieu Marais prouve que La Fontaine trouvoit du plaisir à observer les animaux, pour discerner dans leurs actions les traits d'intelligence qui les caractérisent. Étant à Antony, chez un de ses amis, il ne se trouva point à l'heure du dîner, et ne parut qu'après qu'on eut terminé le repas. On lui demanda où il étoit allé: il dit qu'il venoit de l'enterrement d'une fourmi; qu'il avoit suivi le convoi dans le jardin ; qu'il avoit reconduit la famille jusqu'à la maison, qui étoit la fourmillière, et il

La Fontaine, t. II, p. 237.

2 Conférez Buffon, Histoire naturelle des oiseaux, 1770, in-12, t. II, 175; Dumont, Dictionnaire des sciences naturelles, t. IX, p. 120.

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fit là-dessus une description du gouvernement de ces petits animaux, qu'il a depuis, dit Marais, transportée dans ses fables, dans sa Psyché, dans son Saint-Malc1.

Nous croyons à la vérité de cette anecdote; les mœurs des fourmis sont si curieuses, si attachantes, qu'elles attirent même l'attention du vulgaire et des enfants, et il n'y a rien d'extraordinaire, selon nous, à oublier son dîner, lorsqu'on se trouve un peu fortement engagé dans la contemplation d'un si admirable spectacle. Mais il ne faut pas s'imaginer, comme on le pense communément, que La Fontaine ait étudié en véritable observateur les mœurs et les habitudes des animaux; ce genre de mérite demandoit une patience constante, et une ténacité dans les recherches, dont il n'étoit pas capable: cela même eût été, j'ose le dire, plus nuisible qu'utile à son but. Les hommes prêtent quelquefois à tort aux animaux des penchants semblables aux leurs, et ces préjugés rendent ces êtres bien plus propres à figurer utilement dans l'apologue: une exactitude scientifique détruiroit souvent toute illusion. Le naturaliste doit chercher à décrire et à

Matthieu Marais, Histoire de la vie et des ouvrages de La Fonteine, p. 122 et 123; La Fontaine, Poême sur la captivité de saint Male, t. VI, p. 316. Mais ainsi que nous l'avons remarqué, cette description du travail des fourmis est traduite en vers de l'épître de saint Jerôme, comme tout le reste du poëme.

faire connoitre les êtres tels qu'ils sont réellement; le poëte fabuliste doit les peindre tels que le vulgaire les imagine: l'effet qu'il se propose de produire sera manqué, s'il contrarie les idées de ses lecteurs par une science intempestive; car alors ils seront plus occupés de ces nouvelles notions qu'il veut leur donner, que de son récit et de la moralité qui en est le résultat. C'est ainsi qu'a pensé La Fontaine ; les caractères d'animaux qu'il a tracés se fondent sur les idées que le peuple en a conçues, souvent justes, lorsqu'elles sont générales, mais aussi presque toujours inexactes, quand on descend dans les particularités. Si notre fabuliste avoit eu la moindre partie des connoissances en histoire naturelle qu'on lui a prêtées, il n'auroit pas versifié, sans y rien changer, cette ancienne fable d'Ésope, intitulée: l'Aigle et l'Escarbot1, dont l'absurdité est sans doute le résultat de quelque ancien contre-sens commis par un traducteur ignorant. Il est singulier que, ni La Fontaine, ni ses commentateurs, ne se soient aperçus qu'il étoit absolument impossible qu'un lapin pût se retirer et se blottir dans le trou d'un scarabée".

La Fontaine, Fables, 11, 8, t. I, p. 106; Vie d'Ésope dans Nevelet, p. 79,

fable 223.

› Chauveau dans la première édition des fables de La Fontaine a figuré un scarabée presque aussi grps qu'un lapin, afin de mettre sa figure d'accord avec le texte. 1668, in-4, p. 63.

Parmi les apologues qui doivent leur origine à des aventures réelles qui se sont passées du temps de La Fontaine, on doit compter la onzième fable du livre VII, intitulée: le Curé et le Mort'. Madame de Sévigné, dans une lettre à sa fille, en date du 26 février 1672, lui marque: « M. de Boufflers a tué un homme après sa mort ; il étoit dans sa bière en carrosse, on le menoit à une lieue de Boufflers pour l'enterrer; son curé étoit avec le corps. On verse; la bière coupe le cou du pauvre curé. » Ensuite, dans une autre lettre, du 9 mars, elle lui dit : « Voilà cette petite fable de La Fontaine sur l'aventure du curé de M. de Boufflers, qui fut tué roide en carrosse auprès de son mort: cet événement est bizarre, la fable est jolie, mais ce n'est rien au prix de celles qui suivront. Je ne sais ce que c'est que ce pot au lait.» D'après ces passages, on voit que ce petit apologue n'a pu être écrit qu'après le 26 février et qu'il circuloit déja dans le monde le 9 mars; tant étoit grand l'empressement que l'on mettoit à se procurer les moindres productions de notre poëte! Cette fable se termine ainsi :

Proprement toute notre vie

La Fontaine, t. II, p. 31.

a Madame de Sévigné, Lettres, t. II, p. 339 et 357, lettres 229 et 233.

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