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Jean lapin, est le même homme qui, ensuite, avec l'éloquence d'un Démosthènes, fait tonner contre la tyrannie le paysan du Danube, et qui, majestueux et énergique comme Bossuet, pour combattre les chimères de l'astrologie, demande au ciel

S'il auroit imprimé sur le front des étoiles

Ce

que

la nuit des temps enferme dans ses voiles';

nous croyons pouvoir dire que les anciens ni les modernes n'offrent rien de comparable à l'originalité et à la flexibilité d'un tel génie. Mais finissons. La Harpe dit vrai: il ne faut pas louer La Fontaine, il faut le lire, le relire, et le relire encore. Il en est de lui, comme de la personne que l'on aime en son absence, il semble qu'on aura mille choses à lui dire, et, quand on la voit, tout est absorbé dans un seul sentiment, dans le plaisir de la voir. On se répand en louanges sur La Fontaine, et dès qu'on le lit, tout ce qu'on voudroit dire est oublié ; on le lit, et on jouit 2.

Ce grand critique observe encore que, sur près de trois cents fables que La Fontaine a

i La Fontaine, Fables 11, 13, t. I, p. 116.

a Voyez La Harpe, Chamfort, Gaillard, dans leurs Éloges de La Fontaine; ils se trouvent tous les trois réunis dans le Recueil de l'académie des belles-lettres, sciences el arts, de Marseille, pour l'année 1774, Marseille, 1774, in-8°; La Harpe, Lycée on Cours de littérature, 2° partie, chap. vII, t. VI, an vII, in-8°, p. 324; Mac montel, Éléments de littérature, article Fable, t. XIII, édit. de 1818, in-8°.

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faites, il n'y en a pas dix de médiocres, et qu'il y en a plus de deux cent cinquante qui sont des chefs-d'œuvre. Nul n'a composé un plus grand nombre de vers devenus proverbes. En général ses moralités sont courtes. La précision est une qualité qui tient essentiellement au caractère de la philosophie, plus occupée à méditer qu'à discourir. C'est une tradition constante, parmi les gens de lettres, que, de toutes ses fables, celle que La Fontaine préféroit, étoit celle qui a pour titre: le Chêne et le Roseau1. Mais, dans « ce beau jardin de poétiques fleurs », tous les critiques ont accordé le prix à l'apologue qui ouvre le second recueil, les Animaux malades de la peste1. La poésie est aussi parfaite dans cette fable que dans celle du Chêne et le Roseau; mais le fonds est beaucoup plus riche et plus étendu, et les applications morales autrement importantes. S'il nous étoit permis, après tant d'habiles juges, de parler de notre choix particulier, nous indiquerions une fable qu'aucun d'eux n'a citée; c'est celle qui 1 est intitulée: la Mort et le Mourant3. Dans aucune,

La Fontaine ne nous paroît s'être élevé plus haut pour la force et la dignité de l'expression; dans aucune, il n'a su allier plus heureusement, et

La Fontaine, Fables, 1, 22, t. I. p. 93.

2 Ibid., VII, 1, t. II, p. 7.

3 Ibid., VIII, 1, t. II, p. 54.

plus naturellement, la naïveté du dialogue et le comique de la scène, avec la sagesse la plus impérieuse et la plus austère éloquence. C'est le génie de Pascal et celui de Molière qu'il a fait revivre dans cet opuscule.

Dans son second recueil, La Fontaine s'est abandonné, plus que dans le premier, à ces retours sur lui-même; à cette sensibilité douce, naïve, attirante, qui donnoit tant de charme à son caractère; à ces effusions d'un bon cœur, qui prêtent à tous ses écrits un attrait irrésistible.

Dans cette admirable fable des deux pigeons, avec quels tendres accents il regrette et redemande les plaisirs qu'il a goûtés dans l'amour.

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé: je n'aurois pas alors,
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère

Pour qui, sous le fils de Cythère,

Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! quand reviendront de semblables moments!

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon ame inquiète!
Ah! si mon cœur osoit encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer '?

Voyez quelle douce et sublime philosophie, quel calme et quelle tranquillité d'un cœur pur et en paix avec lui-même, respirent dans les vœux qu'il forme à la suite de cet apologue oriental, intitulé: le Songe d'un habitant du Mogol2; combien les adieux qu'il fait à la vie impriment à l'ame de sentiments touchants, et la pénétrent d'une mélancolie pleine de charmes!

Si j'osois ajouter au mot de l'interprète,
J'inspirerois ici l'amour de la retraite :

Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude, où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais!
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles!

Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux!

Que si je ne suis né pour de si grands projets,

La Fontaine, Fables, IX, 2, t. II, p. 127.

2 Ibid., x1, 4, t. II, p. 223. Consultez au sujet de cette fable la traduction de Gulistan ou empire des roses, composé par Sadi et traduit par André du Ryer, 1634, in 8, p. 88. C'est le véritable original de La Fontaine.

Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie!
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie,
Je ne dormirai point sous de riches lambris:
Mais voit-on que le somme en perde de son prix?
En est-il moins profond, et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

a

La Fontaine, ainsi qu'il le dit lui-même, pris la plupart des sujets des fables de ce second recueil, dans l'Indien Pilpay ou Bidpaï; mais il en a le plus souvent tellement changé le fonds, qu'il pourroit à juste titre réclamer le mérite de l'invention. Il est quelques fables d'ailleurs qu'il paroît avoir inventées, ou du moins dont les sources n'ont pu encore être découvertes par les commentateurs, qui ont épuisé tous leurs efforts sur ce sujet. Il est vrai que les citations même de notre fabuliste ont quelquefois augmenté la difficulté de leur tâche: c'est ainsi qu'on chercheroit en vain dans les écrits du plus vertueux des empereurs de Rome, ce bel apologue du Paysan du Danube, de cet homme

dont Marc-Aurèle

Nous fait un portrait fort fidéle.

Marc-Aurèle n'en a rien dit; c'est Guévara qui

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