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comme s'ignorant lui-même, parle des succès

de sa muse:

Nos noms unis perceront l'ombre noire,
Moi par écrire.....

Sa conviction étoit à cet égard d'autant plus grande, que lorsqu'il traçoit ces vers, il avoit publié, en 1678 et en 1679, son second recueil de fables', dédié à madame de Montespan, à laquelle il disoit aussi :

Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer une seconde vie".

Le nouveau recueil ne renfermoit que cinq livres; ce qui faisoit avec le premier, qui fut de nouveau publié, corrigé et augmenté par l'auteur, onze livres de fables. Le douzième et dernier ne parut que long-temps après, et devoit être le chant du cygne. Ces nouvelles fables mirent le sceau à la réputation de La Fontaine : elles se terminoient par un épilogue consacré à la louange du roi, qui ne manqua jamais, quoi qu'on en ait dit, d'encourager notre poëte, quand il usoit de ses rares talents pour l'utilité

La Fontaine, Fables, liv. vt à x1, t. II, p. 1-241; Walck., 1" édit., p. 417,

note $8.

2 Ibid., t. II, p. 6.

des mœurs et de la morale. Si en effet, d'une part, Louis XIV laissoit interdire le débit de ses contes par une sentence de police, de l'autre, il permettoit qu'on s'écartât, par une honorable exception, du protocole ordinaire des priviléges, pour déclarer dans celui qu'il accordoit pour son second recueil de fables, « que c'étoit afin de témoigner à l'auteur l'estime qu'il faisoit de sa personne et de son mérite; et parceque la jeunesse avoit reçu beaucoup de fruit en son instruction des fables choisies et mises en vers qu'il avoit précédemment publiées'. »

La Fontaine fut même admis à offrir en personne ses fables à Louis XIV. Il se rendit à cet effet à Versailles; mais, après avoir fort bien récité son compliment au monarque, il s'aperçut qu'il avoit oublié le livre qu'il devoit lui présenter; il n'en fut pas moins accueilli avec bonté, et comblé de présents. Mais on ajoute qu'à son retour il perdit aussi, par distraction, la bourse pleine d'or que le roi lui avoit fait remettre, et qu'on retrouva heureusement sous le coussin de la voiture qui l'avoit ramené2.

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Voyez le privilége du roi qui est imprimé à la suite de la vie d'Ésope, et avant la table dans l'édit. des Fables de 1678, t. I, in-12.

2 Notes manuscrites de M. Despots sur la Fontaine, dans les papiers de M. le vicomte Héricart de Thury; le président Bouhier, dans les Notes d'Adry sur la vie de La Fontaine, édit. des Fables de Barbou, 1806, in-12, p. XXVII, note 15; Bauchamp, Recherches sur les théâtres de France, 1735, in-8°, t. II, p. 286.

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La Fontaine, dans l'avertissement de son second recueil, prévient ses lecteurs qu'il a cru devoir donner à ses dernières fables un tour un peu différent de celui qu'il avoit donné aux premières, « tant, dit-il, à cause de la différence des sujets que pour remplir de plus de variété « mon ouvrage1. La vérité est que, d'abord gêné par son respect pour les anciens, La Fontaine ne s'étoit écarté qu'avec une sorte de crainte de la brièveté de Phédre et d'Ésope; mais, s'étant aperçu que les fables qui avoient eu le plus de succès étoient celles où il s'étoit abandonné à son génie, il résolut de n'écouter que ses inspirations.

Aussi ce second recueil est-il, suivant nous, supérieur au premier. L'envie, du temps de La Fontaine, a prononcé lecontraire2, et cela étoit tout simple; mais on s'étonne que Chamfort ait adopté un semblable jugement3 il y a encore plus lieu d'être surpris que ce littérateur si plein d'esprit et de goût, après avoir été dans sa jeunesse un panégyriste éloquent et enthousiaste de La Fontaine, soit devenu pour lui dans un âge plus avancé un commen

La Fontaine, Fables, t. II, p. 1.

2 Baillet, Jugements des savants, in-4°, t. IV, p. 413.

3 Guillon, La Fontaine et tous les fabulistes, an XI (1803), in-8°, t. II, p. t uote 2, sur l'avertissement de La Fontaine.

tateur chagrin et souvent injuste. Cependant il est possible de rendre raison de cette apparente contradiction. Chamfort avoit un caractère dif ficile, jaloux et envieux dans sa sauvage indépendance, il haïssoit toutes supériorités sociales; il prenoit, comme tant d'autres, les fougueux accès de l'orgueil et de la misanthropie, pour de la force et de la fierté. La réflexion et la lecture eussent peut-être corrigé ou adouci l'âpreté de ces défauts, sur-tout lorsque, par la protection d'une vertueuse princesse, l'infortunée Élisabeth, le sort cessa de lui être contraire2; mais la révolution, dont il embrassa les principes avec chaleur, le rendit ingrat envers ses bienfaiteurs, et les leçons de cet auteur favori, de ce poëte qu'il avoit tant aimé, devinrent impuissantes contre les vices de son cœur. Aussi les louanges que La Fontaine donne aux grands lui causent presque toujours de l'humeur. Il combat ou méconnoît sans cesse la sage et douce philosophie du fabuliste, qu'à une époque plus heureuse, nul n'avoit mieux que lui définie et appréciée 3.

Une femme spirituelle, qui comme nous l'a bien connu, en porte le même jugement. Voyez les Essais de mémoires sur M. Suard, 1820, in-12, p. 76.

2 Ginguené, Biographie universelle, t. VIII, p. 11, article Chamfort, et la notice sur cet écrivain, en tête des diverses éditions de ses œuvres; Solvet, Études sur La Fontaine, t. I, p. 92. Ginguené dit que Chamfort avoit composé son commentaire pour madame Élisabeth, et Solvet pour madame Diane de Polignac. Ces deux récits sont différents, mais non pas contradictoires.

3 De Fontanes, Mercure de France, mois de ventôse an IX.

« Ce qui distingue, dit Chamfort dans son excellent éloge ', La Fontaine de tous les moralistes, c'est la facilité insinuante de sa morale ; c'est cette sagesse naturelle comme lui-même, qui paroît n'être qu'un heureux développement de son instinct. Il ne vous parle que de vousmême ou pour vous-même; et, de ses leçons, ou plutôt de ses conseils, naîtroit le bonheur général. Son livre est la loi naturelle en action: tout sentiment exagéré n'avoit point de prise sur son ame, s'en écartoit naturellement; et la facilité même de son caractère sembloit l'en avoir préservé. La Fontaine n'est point le poëte de l'héroïsme; il est celui de la vie commune, de la raison vulgaire. Le travail, la vigilance, l'économie, la prudence sans inquiétude, l'avantage de vivre avec ses égaux, le besoin qu'on peut avoir de ses inférieurs, la modération, la retraite ; voilà ce qu'il aime, et ce qu'il fait aimer. L'amour, cet objet de tant de déclamations, mal qui peut-être est un bien, » dit La Fontaine, il le montre comme une foiblesse naturelle et intéressante. Il n'affecte point ce mépris pour l'espèce humaine, qui aiguise la satire mordante de Lucien, qui s'annonce hardiment dans les

« ce

Chamfort, dans les OEuvres de La Fontaine, 1822, in-8°, t. I, p. xx; dans le Recueil de l'académie de Marseille, 1774, in-8", p. 11.

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