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de bonheur, ne fut point détourné de son amour pour les vers, par le peu de succès de son premier ouvrage; et, sans soin du présent, sans inquiétude pour l'avenir, il cultivoit les muses obscurément dans la province où il étoit né, et jouissoit inconnu des douceurs de l'amitié. Celle qu'il avoit contractée avec de Maucroix ne faisoit que s'accroître avec le temps. De Maucroix avoit d'abord embrassé la profession d'avocat et s'y étoit distingué; il en fut détourné par la passion qu'il conçut pour mademoiselle de Joyeuse, fille du lieutenant du roi au gouvernement de Champagne'. Ne pouvant assurer le bonheur de sa vie par une union à laquelle la différence des rangs et des fortunes opposoit un obstacle invincible, de Maucroix embrassa l'état ecclésiastique, obtint un canonicat de l'église de Reims, et partit pour l'Italie. Il se rendit à Rome sous le nom supposé d'abbé de Crussy ou Cresy, afin de remplir une mission secrète que Fouquet lui avoit confiée2: bientôt de retour, il réunit au canonicat de l'église de Reims, un autre bénéfice, ce qui lui procura une fortune indépendante,

Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits; Walck., Vie de François de Maucroix à la suite des Nouvelles œuvres diverses de J. de La Fontaine, p. 169 à 214. • Fouquet, Recueil de défenses, t. III, p. 366, 368 et 392, et t. VIII (ou t. III de la continuation), p. 117, 140 et 175; d'Olivet, Préface des œuvres posthumes de M. de Maucroix, 1710, in-12, p. 3.

qui, quoique modique, suffisoit à la sagesse de ses goûts et à la modération de ses desirs. Retiré à Reims, il invitoit sans cesse La Fontaine à venir le voir, et celui-ci trouvoit un double avantage en cédant à ses instances, puisqu'il se déroboit aux tracas domestiques, et qu'il jouissoit en même temps de la société de son ami et des plaisirs d'une grande ville'. Il nous révèle lui-même un des principaux motifs qui lui rendoient le séjour de Reims si agréable.

Il n'est cité que je préfère à Reims;

C'est l'ornement et l'honneur de la France;
Car, sans compter l'ampoule et les bons vins,
Charmants objets y sont en abondance.
Par ce point-là je n'entends, quant à moi,
Tours ni portaux, mais gentilles Galoises';
Ayant trouvé telle de nos Rémoises

Friande assez pour la bouche d'un roi3.

Cependant Jannart conjectura que le talent de La Fontaine pour les vers pourroit être agréable à Fouquet dont il étoit l'ami et le substitut dans la charge de procureur au parlement de Paris. Il le lui présenta donc comme son parent. Fouquet, alors surintendant des finances, avoit, à l'exemple du premier ministre Mazarin, pro

La Fontaine, Lettres à divers, lettre 1, t. VI, p. 469.

2 Galoise, ancien mot qui signifie une gaillarde, une femme facile et complai

sante.

3 La Fontaine, Contes, 111, 4, t. III, p. 248.

fité des désordres des temps pour accumuler d'immenses richesses. Il mettoit alors à en jouir le même empressement qu'il avoit montré pour les acquérir. Doué d'une grande capacité pour les affaires, d'une prodigieuse facilité pour la rédaction, d'un esprit très orné, prompt, adroit, fertile en expédients; mais né avec un caractère ardent et présomptueux, vain et avide de louanges; réunissant toutes les passions, et voulant toutes les satisfaire à-la-fois; corrompant, à la cour, les hommes pour son ambition, et les femmes pour ses plaisirs; ne connoissant, pour ses desseins, d'autre puissance que celle de l'or, et cependant n'étant pas dénué de grandeur d'ame: tel étoit Fouquet. Il éclipsoit, par son luxe, le souverain même'. Il savoit distinguer les gens de lettres et les artistes qui naissoient alors à la gloire, et les encourager par des largesses. L'homme le plus éloquent de ce temps, Pellisson, étoit son premier commis; Le Nostre dessinoit ses jardins; il commandoit à Le Brun des tableaux pour ses palais, et à Molière des pièces pour ses fêtes2. La Fontaine plut à Fouquet; celui-ci le prit pour son poëte, se l'attacha, et lui fit une pension de mille francs, à condition qu'il en acquitteroit

De Gourville, Mémoires, 1724, in-12, t. II, p. 304; Choisy, Mémoires.

> La Fontaine, Lettres 11, t. VI, p. 506 et 508; Perrault, Hommes illustres, t. I, p. 71; François de Neufchâteau, Esprit du grand Corneille, 1819, in-8°, p. 253 à 216.

chaque quartier par une pièce de vers, condition qui fut exactement remplie1.

La Fontaine avoit le goût et le sentiment des arts, qui s'allient presque toujours avec le génie poétique; il savouroit avec délices la tranquillité du séjour de la campagne, mais il recherchoit aussi la société, et sur-tout celle des femmes aimables; enfin il ne haïssoit pas la bonne chère'. Qu'on juge de son bonheur, lorsque le surintendant lui procura toutes ces jouissances sans qu'il en coûtât aucun sacrifice à son insouciance et à sa paresse! Aussi dès-lors il fut tout à Fouquet3, sa reconnoissance en fit un héros: il l'aima véritablement dans sa prospérité, mais il l'aima plus encore dans son malheur.

Transporté tout-à-coup du fond d'une province au milieu de la société la plus brillante du royaume, La Fontaine se fit de tous ceux qui le connurent des protecteurs et des amis.

On s'étonnera justement de ce succès, si l'on considère le portrait qu'ont tracé de lui quelques uns de ses contemporains. On ne peut expliquer l'empressement qu'on mettoit à l'accueil

La Fontaine, Odes 11, Epitres 111, Ballades 11, III, IV; Madrigaux VII, Dizains 1, 11; Lettres à divers, IX, t. VI, p. 25, 62, 222 à 229, 280, 284, 285; Mathieu Marais, Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, p. 13.

2

Vigneul de Marville, Mélanges, t. II, p. 255; Titon du Tillet, Parnasse franço, in-fol., p. 462.

3 La Fontaine, Lettres à divers, lettre 11, t. VI, P. 503.

lir, par l'éclat de sa réputation, et par le plaisir qu'on trouvoit à la lecture de ses ouvrages: La Fontaine n'avoit encore rien produit qui pût le tirer de l'obscurité. D'ailleurs, alors comme aujourd'hui, on savoit très bien, au besoin, applaudir aux écrits d'un auteur, et négliger sa personne: l'exemple du grand Corneille suffiroit seul pour le prouver. La Fontaine avoit donc des qualités aimables, puisqu'il se faisoit aimer; mais, ennemi de toute dissimulation, ces qualités ne se manifestoient qu'avec les personnes dont il étoit particulièrement connu, ou lorsque la joie qu'il éprouvoit le faisoit sortir de son habituelle apathie. Concentré dans ses propres pensées, distrait, rêveur, il étoit souvent, dans la société, d'une nullité complète, qui, lors de sa grande célébrité, choquoit d'autant plus ceux qui avoient lu ses écrits, qu'avant de l'avoir vu ils s'étoient promis beaucoup de jouissance de la conversation d'un homme d'une tournure d'esprit si gaie, si originale. Aussi, en recueillant avec soin tout ce que les contemporains ont écrit sur notre poëte, il faut bien distinguer ceux qui n'eurent avec lui que des relations passagères, d'avec ceux qui ont vécu dans son intimité, et qui seuls peuvent nous en donner une idée exacte. Sa distraction et sa candeur donnèrent

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