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Mademoiselle' de La Fontaine ne sait nullement gré à ce donneur de faux avis, qui est aussi mauvais politique qu'intéressé. Notre séparation peut avoir fait quelque bruit à la Ferté, mais elle n'en a pas fait à Château-Thierry, et personne n'a cru que cela fût nécessaire2. »

La Fontaine avoit, dit-on, atteint sa vingtdeuxième année, avant de donner le moindre signe du penchant qui devoit bientôt l'entraîner vers la poésie. Un officier qui se trouvoit en quartier d'hiver à Château-Thierry lut un jour devant lui, avec emphase, l'ode de Malherbe sur la mort de Henri IV, qui commence ainsi :

Que direz-vous, races futures,

Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures

De nos abominables jours'?

Il écouta cette ode avec des transports mécaniques de joie, d'admiration et d'étonnement, semblable à un homme qui, né avec le génie de la musique, auroit été nourri dans un désert, et qui entendroit tout-à-coup un instrument harmonieux, savamment touché, résonner à ses oreilles: telle fut l'impression que firent sur La

C'est sa femme dont il parle : on ne donnoit alors le titre de madame qu'aux

femmes nobles.

2 La Fontaine, Lettres à divers, lettre vII, t. VI, p. 482.
3 Malherbes, Poésies, édit. de Ménage, 1689, in-12, p. 35.

Fontaine les vers de Malherbe. Il se mit aussitôt à lire cet auteur; il passa les nuits à l'apprendre par cœur, et il alloit le jour déclamer ses odes dans les lieux solitaires. Bientôt il prit du goût pour Voiture, et il fit des vers dans le genre de ceux de ce poëte, ou plutôt il imita ses défauts, ses expressions recherchées, et ses froides antithèses. Heureusement un de ses parents nommé Pintrel, auquel il communiqua les premiers essais de sa muse, lui fit comprendre que, pour mûrir et pour développer son talent, il ne devoit pas se borner à nos poëtes françois; mais qu'il falloit aussi lire et relire sans cesse Horace, Homère, Virgile, Térence et Quintilien'. Il se rendit à ce sage conseil; et un de ses amis, M. de Maucroix, qui cultivoit avec succès la poésie, contribua aussi à l'affermir dans son nouveau plan d'étude, et à lui inspirer cette admiration pour l'antiquité, qui dégénéra même en lui en une sorte de préjugé superstitieux. La Fontaine fit sur-tout ses délices de Platon et de Plutarque, quoiqu'il ne pût les lire que dans des traductions. D'Olivet a eu sous les yeux les exemplaires qui

1 D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-4°, p. 305; Montenault, Fables de La Fontaine, in-fol., t. I, p. x11.

Voyez les Poésies inédites de F. de Maucroix à la suite des Nouvelles œuvres diverses de La Fontaine, 1820, in-8°; d'Olivet, dans la Préface des œuvres Posthumes de M. de Maucroix, 1710,

in-12, p. 3.

lui avoient appartenu, et il a remarqué qu'ils étoient notés de sa main presque à chaque page,. et que la plupart de ses notes étoient des maximes qu'on retrouve dans ses fables.

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La Fontaine, ainsi que nous le verrons, a témoigné d'une manière touchante sa reconnoissance envers Pintrel et de Maucroix, en publiant, après la mort du premier, sa traduction des Épîtres de Sénèque', et en prêtant le secours de son nom et de ses poésies pour faciliter le débit des ouvrages du second 2.

L'étude des anciens ne fit pas négliger à notre poëte celle des modernes; mais parmi ceux qui avoient écrit dans sa langue, aucun alors, si on excepte Corneille, n'étoit digne d'être pris pour modèle: aussi, après Malherbe, il se borna à un petit nombre, et s'attacha principalement à Rabelais, Marot et Voiture. L'Astrée de d'Urfé l'amusa long-temps; il fit ses délices des contes naïfs et joyeux de la reine de Navarre; mais, excepté ces auteurs favoris, il se plaisoit davantage avec les Italiens, sur-tout avec Arioste, Bocace et Machiavel3; non pas, dit un habile cri

1 Les Épîtres de Sénèque, nouvelle traduction, par M. Pintrel, revue et imprimée par les soins de M. de La Fontaine, 2 vol. in-8°, 1671.

Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Mauxcroix et de La Fontaine, 1685,

2 vol. in-12.

3 D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, p. 307.

tique', le Machiavel du Prince et de l'Histoire de Florence, mais celui de la Mandragore, de la Clytie, et de Belphégor. Il est possible qu'en effet La Fontaine préférât le conteur et l'auteur comique à l'historien et au politique; mais plusieurs passages de ses écrits prouvent cependant qu'il savoit très bien apprécier Machiavel sous ce dernier rapport2.

La Fontaine, quoique éloigné de la capitale, indépendamment des conseils de ses deux Aristarques, Pintrel et de Maucroix, avoit, dans sa propre famille, des encouragements qui contribuèrent au développement de ses talents poétiques. Son père aimoit passionnément les vers, quoiqu'il fût incapable de les bien juger, et plus encore d'en faire. Il fut enchanté que son fils devînt poëte, et se montra pour lui un auditeur toujours prêt et toujours indulgent. La Fontaine consultoit aussi avec avantage sa femme et sa sœur, qui toutes deux avoient de l'instruction, de l'esprit et du goût3.

Le premier ouvrage que publia La Fontaine fut la traduction de l'Eunuque de Térence, en

M. Auger, OEuvres de La Fontaine, t. I, p. VIII, édit. 1814, in-8°, t. I, p. x, de l'édit. 1818.

2 La Fontaine, Opuscules en prose, t. VI, p.

350.

3 Racine, Lettres, lettre It, t. VI, p. 150, édit. 1820, in-8°, ou lettre xxvii, t. VII, p. 161, édit. 1808, in-8°.

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vers, imprimée en 1654'. Un des plus concis, mais non pas un des moins spirituels biographes de notre poëte2, a cité les premiers vers de cette pièce, afin de prouver qu'elle étoit écrite dans le style de la bonne comédie. Ce biographe a raison de dire qu'il n'a pas usé de tous ses avantages; car, effectivement, il y a plusieurs autres scènes mieux écrites que le commencement de celle qu'il cite. Mais nous pensons qu'il a tort d'avancer que cette pièce ne méritoit pas l'indifférence avec laquelle le public la reçut. La Fontaine ne s'étoit point proposé, ainsi qu'il le déclare dans sa préface, de reproduire l'Eunuque de Térence, il voulut seulement l'imiter. Son ouvrage est en même temps une traduction trop libre et une imitation trop servile; c'est une comédie ancienne avec des formes modernes: elle manque par conséquent de vraisemblance; elle est froide et sans intérêt; le style, quoique assez passable, est loin de donner une idée du naturel exquis et de l'élégante simplicité de l'auteur latin.

La Fontaine, dont les passions, quoique fortement empreintes en lui par la nature, furent toujours douces et modérées, et qui ne voyoit en elles que des causes de jouissance et des moyens

1 La Fontaine, Théatre, t. IV, p. 11 à 17.

2 M. Desprès, OEuvres de la Fontaine, 1817, in-8°, t. 1, p. 2.

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