Vont aux Turcs causer des alarmes? Après s'être ainsi livré aux conjectures de la politique pour l'avenir, La Fontaine revient aux événements de la guerre qui intéressoient particulièrement la princesse à laquelle il écrivoit, puisque ses frères se trouvoient avec les d'Aubusson, les Beauvau, les Langeron, les Créquy, les Tavannės, les Fénélon, les Saint-Pol, dans la troupe de La Feuillade, et il lui dit: Pendant que je suis sur la guerre Que Saint-Marc souffre dans sa terre, C'étoient les deux plus jeunes, ConstantinIgnace, et Henri-Maurice, tous deux chevaliers de Malte, et qui, tous deux, après avoir échappé aux dangers de la guerre, périrent peu d'années après en duel. Jamais prince n'a donné de plus belles espérances que Constantin Ignace de La Tour, l'aîné de ces deux frères. Aucun sur-tout n'a été dans son enfance aussi précoce. Il n'avoit pas six ans lorsque les ducs de La Rochefoucauld et de Bouillon le firent un jour monter à cheval et le lancèrent seul au milieu du peuple mutiné de la ville de Bordeaux qui avoit méconnu leur autorité, et qu'ils ne savoient comment apaiser. La foule étonnée de la hardiesse, des graces et des discours de cet enfant, se calma aussitôt et fit ce qu'il lui ordonna1. La Fontaine continue ainsi : Puisqu'en parlant de ces matières Le chambellan étoit Godefroy Maurice de La Tour duc de Bouillon, l'aîné de tous les Bouillon, le mari de Marianne Mancini, protectrice de notre poëte; il avoit été revêtu, de la charge de grand chambellan : après avoir accompagné le roi, en 1668, à la conquête de la FrancheComté, il s'étoit retiré dans ses terres, où il s'amusoit à la chasse. La paix d'Aix-la-Chapelle avoit été conclue le 2 mai de cette même année, et voilà pourquoi La Fontaine, qui espéroit qu'elle seroit du Art de vérifier les dates, t. II, p. 749; Baluze, Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, 1708, in-fol., t. I. p. 456. a Art de vérifier les dates, t. II, p. 749. rable, fait sur Godefroy de Bouillon les réflexions suivantes : Courir des hommes, je le gage, S'il lui plaît, d'une ombre de guerre. Passant ensuite au quatrième frère, La Fontaine ajoute : D'Auvergne s'est dans notre terre Ce prince a dans Château-Thierri C'est Frédéric Maurice de La Tour, comte d'Auvergne, dont il est ici question, le second des Bouillon par rang d'âge, et qui fut colonel général de la cavalerie légère'. Ensuite La Fontaine fait un pompeux éloge du troisième, Emmanuel Théodose, avec lequel il étoit lié, et qui étoit connu sous le nom de duc d'Albret: Son bel esprit, ses mœurs honnêtes Qu'enfin je m'en contenterai. Baluze, Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, t. I, p. 455. Veuille le ciel à tous ses frères Cet oncle étoit le grand Turenne, qui aimoit notre poëte, et qui, ainsi que nous le verrons, fournit à sa Muse d'heureuses inspirations. Le duc d'Albret, dans le moment même où La Fontaine écrivoit, se servoit avantageusement, et très habilement, du crédit de son oncle pour obtenir le cardinalat. La Fontaine, qui probablement avoit quelque connoissance de ces intrigues, prédit assez clairement au duc d'Albret, dans les vers précédents, qu'il obtiendroit cette haute dignité. Le duc d'Albret reçut en effet le chapeau de cardinal, le 4 août 1669: il y avoit peu d'exemples qu'un homme aussi jeune qu'Emmanuel Théodose de La Tour d'Auvergne eût été investi de la pourpre ecclésiastique, et comme sa figure le faisoit paroître encore plus jeune qu'il n'étoit réellement, on le surnomma dans le monde l'enfant rouge'. Notre poëte dans les six Choisy, Mémoires, Utrecht, 1747, in-12, p. 28-30; Curiosités historiques, ON recueil de pièces relatives à l'histoire de France, et qui n'ont jamais paru, t. I, P. 140. vers qu'il lui adressa à ce sujet le félicita en prophète qui a le droit de ne pas s'étonner des événements prévus et annoncés d'avance: Je n'ai pas attendu pour vous un moindre prix ; Cependant La Fontaine avoit fait paroître un nouveau recueil de contes en 1667, ou 16662, en promettant dans sa préface « que ce seroient les derniers ouvrages de cette nature qui partiroient de ses mains; » promesse qu'il a toujours renouvelée depuis toutes les fois qu'il la trahissoit. Le succès de ce nouveau recueil surpassa encore celui du premier; on le réimprima l'année d'après en Hollande, en y ajoutant la dissertation sur Joconde, et une partie du conte de la Coupe enchantée, que les éditeurs s'étoient procuré en manuscrit, et qui n'étoit point terminé: ceci força La Fontaine de publier encore une nouvelle édition de ses Contes; il y inséra, outre trois nouveaux contes, la dissertation sur Joconde et le conte imparfait de cette coupe enchantée La Fontaine, Sixains, 2, t. VI, p. 288. 2 La Fontaine, Contes, liv. 11, t. III, p. 3-67. |