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ses bizarreries, La Fontaine fût agréable aux grands, car ils le recherchoient. Mauricette Fébronie de La Tour, sœur du duc de Bouillon, avoit épousé, à Château-Thierry, le prince Maximilien de Bavière', en avril 1668. Lorsqu'elle fut partie, elle voulut que La Fontaine lui écrivît les nouvelles du temps: il s'en acquitta en homme répandu dans le grand monde, et parfaitement bien instruit de tout ce qui s'y passoit: ce, qui le prouve c'est une lettre en vers qu'il adressa à la jeune princesse en juillet 1669 2: pour être bien comprise, cette lettre a besoin de quelques éclaircissements.

Jean Casimir, roi de Pologne, venoit de renouveler l'exemple de la reine Christine: fatigué des embarras du gouvernement, il avoit abdiqué la couronne à Varsovie le 16 septembre 1668 3, et en descendant du trône il prédit à une noblesse ingrate et factieuse le partage futur de sa patrie. Il quitta la Pologne et se retira à Paris, où Louis XIV lui donna l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Toute l'Europe étoit en rumeur pour l'élection d'un roi de Pologne: chaque puis

Baluze, Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, 1708, in-fol., t. I, p. 456 et 825; Bussy-Rabutin, Lettres, 1727, in-12, t. V, p. 51; madame de Montmorency, Lettres, 1806, in-12, p. 80; Mathieu Marais, Vie de La Fontaine, p. 49, édit. in-12, ou p. 53 de l'édit. in-18; Walck., 1* édit., p. 385, note 61. La Fontaine, Epitres, 7, t. VI, p. 86.

3 Art de vérifier les dates, t. II, p. 77.

sance cherchoit à en faire un, et répandoit de l'argent à cet effet.

Les esprits

Font tantôt accorder le prix
Au Lorrain, puis au Moscovite,
Condé, Neubourg; car le mérite
De tous côtés fait embarras.

Nos historiens nous disent bien que le duc de Neubourg, le prince Charles de Lorraine, et le prince de Condé, étoient des concurrents pour cette couronne; mais la lettre de La Fontaine, d'accord avec les mémoires du temps, nous apprend aussi que le czar de Russie s'agitoit pour l'obtenir ', et que les raisonneurs en politique vouloient qu'il fût exclus. Notre poëte avoue en même temps qu'il étoit du nombre de ces oiseux et innocents diplomates qui arrangent à leur gré le sort des États:

Ceux qui des affaires publiques
Parlent toujours en politiques,

Réglant ceci, jugeant cela

(Et je suis de ce nombre-là);

Les raisonneurs, dis-je, prétendent

Qu'au Lorrain plusieurs princes tendent.

Quant à Moscou, nous l'excluons;

Voici sur quoi nous nous fondons:

Mémoires de M. de *** pour servir à l'histoire du dix-septième siècle, t. II,

p. 337 et 347.

Le schisme y régne; et puis son prince
Mettroit la Pologne en province.

Louis XIV favorisoit les prétentions de Philippe-Guillaume duc de Neubourg, dans l'espérance que pour prix des appuis et des subsides qu'il lui paieroit, celui-ci céderoit à la France le duché de Juliers, limitrophe des États de Hollande, de la Lorraine, et de l'archevêché de Cologne. Aussi le prince Charles, le gouvernement des Provinces-Unies, et divers souverains d'Allemagne, qui avoient le plus à redouter de l'ambition de Louis XIV, s'agitèrent pour lui trouver des ennemis. Ils réussirent, puisque ce fut peu de temps après que se forma la triple alliance entre l'empereur, l'Espagne et la Hollande, pour la conservation des Pays-Bas 1. Ceci explique cette partie de l'épître de notre poëte.

Neubourg nous accommoderoit:

Au roi de France il donneroit

Quelque fleuron pour sa couronne,
Moyennant tant, comme l'on donne,
Et point autrement ici-bas.
Nous serions voisins des États,

Ils en ont l'alarme et font brigue.
Contre Louis chacun se ligue.

* D. Calmet, Histoire de Lorraine, t. III, p. 660; Reboulet, Histoire du régne de Louis XIV, in-4°, t. II. p. 17; Fastes des rois de la maison d'Orléans et de celle le Bourbon. p. 205.

Cela lui fait beaucoup d'honneur,
Et ne lui donne point de peur.

Mais, avant de terminer sa lettre, La Fontaine apprend que

Ces messieurs du Nord font la nique

A toute notre politique,

et qu'ils ont choisi un roi dont le nom est en shi: c'étoit Michel Koribut Wiesnowieski, qui fut élu le 19 juin 1669. La Fontaine, regrettant avec raison l'argent qu'on a dépensé pour cet objet, ajoute avec beaucoup de bon sens :

Je crois qu'en paix

Dans la Pologne désormais
On pourra s'élire des princes;
Et que l'argent de nos provinces.
Ne sera pas une autre fois

Si friand de faire des rois.

La Fontaine donne aussi à la princesse des nouvelles de tous ses frères; elle en avoit cinq, et il n'en oublie aucun. Mais, pour bien comprendre ce qu'il dit à ce sujet, il faut se rappeler qu'alors, pour nous servir des expressions mêmes de La Fontaine, Mahomet étoit en guerre avec Saint-Marc. Les Turcs, après avoir bloqué Candie pendant huit ans, l'assiégeoient avec une

armée de trente mille hommes. L'île de Candie, qui appartenoit aux Vénitiens, étoit considérée comme le boulevard de la chrétienté: le secours que la France y porta, le dévouement de M. de La Feuillade, qui, rappelant l'exemple des beaux temps de la chevalerie, y mena cinq cents gentilshommes à ses dépens, tout cela ne put retarder que de trois mois la prise de cette ville, qui eut lieu le 16 septembre 1669: mais, lorsque La Fontaine écrivoit à la princesse, la ville de Candie n'étoit pas encore au pouvoir des Turcs'. Morosini, ambassadeur de la république de Venise à la cour de France, étoit parvenu à exciter la générosité de Louis XIV, qui avoit envoyé six mille hommes de troupes au secours des Candiotes, sous la conduite du duc de Navailles. Ce qui n'empêcha pas le grand-seigneur de faire rendre au marquis de Nointel, ambassadeur de France à la Porte, de grands honneurs à son entrée à Constantinople, et d'envoyer une pompeuse ambassade au roi de France; voilà pourquoi notre poëte dit en parlant du roi:

Que craindroit-il, lui dont les armes

1 Reboulet, Histoire de Louis XIV, in-4°, t. II, p. 15; Hénault, Abrégé chronologique, édit. 1768, in-4°, t. II, p. 636; Voltaire, Siècle de Louis XIV, t. XXIII des OEuvres, p. 77; l'Art de vérifier les dates, 3o édit., t. III, p. 727; Choisy, Mémoires. p. 30; Bussy-Rabutin, Histoire abrégée du siècle de Louis-le-Grand, p. 169; Daru, Histoire de Venise, liv. xxx111, t. ¡V, p. 608-610.

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