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Marie Héricart, fille d'un lieutenant au bailliage de la Ferté-Milon. La Fontaine se soumit à ces deux engagements plutôt par complaisance que par goût. Mais incapable par caractère de toute gène et de toute contrainte, il négligea presque toujours l'exercice de sa charge qu'il garda vingt ans. Il s'éloigna peu-à-peu de sa femme, et finit par l'abandonner tout-à-fait; il parut même oublier en quelque sorte qu'il étoit marié.

On a parlé fort diversement de la femme de La Fontaine. On s'accorde à dire qu'elle avoit de la vertu', de la beauté et de l'esprit; mais d'Olivet, le père Niceron et Montenault' prétendent qu'elle étoit d'une humeur impérieuse et fâcheuse. Ils n'hésitent même pas à penser que c'est elle que La Fontaine a voulu peindre dans le conte de Belphegor, sous le nom de madame Honesta:

Belle et bien faite.....

.. mais d'un orgueil extrême;

Furetière et son ami Robbe sont les seuls qui, par haine pour La Fontaine, aient mis en doute la vertu de sa femme. Voyez le Recueil des Factums de Furetière, Amsterdam, 1694, in-12, t. II, p. 345. On trouve dans le Varillasiana, 1734, in-12, p. 23, une prétendue épitaphe de La Fontaine, composée, dit-on, par Varillas, qui inculperoit l'honneur de la femme de notre poëte; cette pièce n'est point de Varillas, mais de Maynard, qui la composa et la fit imprimer dans un recueil en 1638, bien avant le mariage de La Fontaine, et à une époque où il étoit trop jeune pour être connu. Voyez M. Auguste de Labouisse, dans le Journal anecdotitique, du 4 septembre 1822, p. 69.

» D'Olivet, Histoire de l'académie, in-4°, p. 278; Montenault, Fables de La Fontaine, in-folio, t. I, p. x; Niceron, Hommes illustres, t. XVIII, p. 315.

Et d'autant plus, que de quelque vertu
Un tel orgueil paroissoit revêtu':

La Harpe et plusieurs autres auteurs2, pour excuser la licence de quelques uns des contes de La Fontaine, ont avancé, comme une chose reconnue, que les mœurs de cet homme célèbre étoient pures et irréprochables. Dans ce cas, sa femme, qui, pour n'avoir pas su dominer ses défauts, l'auroit forcé de s'exiler du toit domestique, auroit eu tous les torts. Mais cette assertion sur les mœurs de La Fontaine est malheureusement tout-à-fait contraire à la vérité ; et celle qui concerne l'âpreté du caractère de sa femme est au moins douteuse. Les auteurs des Mémoires de Trévoux3 affirment, sur le témoignage de personnes qui ont connu madame de La Fontaine, qu'elle étoit du caractère le plus doux, le plus liant; et que son mari n'a pas plus pensé à elle dans la pièce de Belphegor, qu'il n'a songé à faire le portrait d'autres personnages de son temps, en peignant dans ses écrits des ridicules ou des vices. Si nous devons craindre d'admettre, sans restriction, les témoignages donnés probablement par des descendants de

1 La Fontaine, Contes, v, 7, t. III, թ. 530.

1 La Harpe, Éloge de La Fontaine, dans le Recueil de l'académie de Marseille 1774, in-8°, p. 47; et Chamfort, même recueil, p. 37.

3 Juillet 1755 et février 1759.

madame de La Fontaine, sur celle dont ils vouloient défendre la mémoire, nous devons aussi nous défier du zèle des amis d'un poëte, dont la perte causoit de si vifs regrets: pour justifier cette partie de sa conduite, la moins susceptible de justification, ils ont accueilli avec trop de faveur peut-être les rumeurs incertaines, et les interprétations malignes d'un public frivole et léger. Il est un moyen d'échapper à toutes ces incertitudes; c'est de s'en rapporter sur ce point, comme sur tous les autres qui concernent La Fontaine, à La Fontaine lui-même, l'homme le plus ingénu et le plus vrai qui ait existé; qui toujours se plut à confier à sa muse ses projets, ses desirs, ses pensées les plus secrètes, ses inclinations les plus cachées, et qui a laissé en quelque sorte son âme entière par écrit. Nulle part il ne s'est plaint de l'humeur impérieuse de sa femme; mais il lui reproche de n'avoir de goût que pour les choses frivoles, et de ne point s'occuper des soins du ménage1. Ce reproche est grave pour une femme qui devint mère quelques années après la célébration de son mariage; et, comme il n'y a jamais eu d'homme plus ennemi du souci que La Fontaine, et moins

La Fontaine, Lettres à sa femme, 1, t. VI, p. 390.

propre à augmenter, ou même à conserver sa fortune, il ne pouvoit être heureux avec une compagne à qui manquoient les vertus qui lui étoient les plus nécessaires, la prévoyance et l'économie. Mais il étoit trop honnête homme pour rien écrire dans la vue de l'outrager; et si ses vers prêtèrent à quelque allusion, ou à quelque rapprochement, sur ce sujet délicat, ce fut, nous osons l'affirmer, sans aucune intention de sa part. La Fontaine et sa femme ont subi les inconvénients qui accompagnent souvent les unions prématurées. Marie Héricart n'avoit pas encore seize ans lorsqu'elle épousa notre poëte, et lui, quoique alors âgé de vingt-six ans, étoit loin d'avoir une raison assez formée, et sur-tout des penchants assez bien réglés, pour supporter patiemment les entraves dans lesquelles l'hymen retient ceux qui veulent vivre heureux sous ses lois.

Nous savons, et la suite de ce récit en fournira des preuves trop nombreuses, que nul homme n'a plus que La Fontaine aimé les fem- ・ mes, que nul n'a été plus tôt et plus long-temps sensible à leurs attraits, et ne s'est abandonné plus ouvertement, et avec moins de scrupule, aux charmes de leur doux commerce. Ce tort, si

grand pour un homme engagé dans les liens du mariage, non seulement La Fontaine le sentoit, mais il a fallu qu'il en fit en quelque sorte l'aveu public. On le trouve, cet aveu, à la fin du conte intitulé les Aveux indiscrets; et il est bien placé là, car les seuls aveux indiscrets qu'ait jamais faits La Fontaine ont été pour révéler ses défauts, et non ceux des autres.

Le noeud d'hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l'honnêteté;
Si par malheur quelque atteinte un peu forte
Le fait clocher d'un ou d'autre côté,
Comportez-vous de manière et de sorte
Que ce secret ne soit point éventé.
Gardez de faire aux égards banqueroute;
Mentir alors est digne de pardon.

Je donne ici de beaux conseils, sans doute:
Les ai-je pris pour moi-même? hélas! non'.

Les faits, révélés par l'auteur du journal son contemporain, ne confirment que trop bien ces • aveux. Une jeune abbesse, que les incursions des Espagnols avoient forcée de se retirer à Château-Thierry, alla loger chez La Fontaine. Il en fut épris, et il sut plaire. Un jour sa femme les surprit ensemble; sans se déconcerter il fit la révérence, et se retira. Le même auteur cite

La Fontaine, Contes, v, 5, t. III, p. 510.

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