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dommage, car on dit que jamais fille n'a eu

* de plus belles espérances que celle-là. »

K

Quelles imprécations

Ne mérites-tu point, cruelle maladie,

Qui ne peux voir qu'avec envie

Le sujet de nos passions!

Sans ton venin, cause de tant de larmes,
Ma parente m'auroit fait moitié plus d'honneur;
Encore est-ce un grand bonheur

Qu'elle ait eu tel nombre de charmes:

Tu n'as pas tout détruit; sa bouche en est témoin,
Ses
yeux, ses traits, et d'autres belles choses.
Tu lui laissas les lis, si tu lui pris les roses;
Et, comme elle est ma parente de loin,
On peut penser qu'à le lui dire

J'aurois pris un fort grand plaisir;.
J'en eus la volonté, mais non pas le loisir:
Cet aveu lui pourra suffire'.

Il ajoute sur cette parente: «Si nous eussions fait un plus long séjour à Châtelleraut, j'étois « résolu de la tourner de tant de côtés que j'au<< rois découvert ce qu'elle a dans l'ame, et si elle « est capable d'une passion secrète : je ne vous << en saurois apprendre autre chose, sinon qu'elle << aime fort les romans; c'est à vous qui les aimez « fort aussi de juger quelle conséquence on en " peut tirer. »

La Fontaine parle ensuite de Poitiers, où il

La Fontaine, Lettres à sa femme, 6, t. VI, p. 458.

avoit un cousin: « Ville mal pavée, dit-il, pleine

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d'écoliers, abondante en prêtres et en moines. Il « y a en récompense nombre de belles, et l'on y «< fait l'amour aussi volontiers qu'en lieu de la «< terre; c'est de la comtesse que je le sais. J'eus « quelques regrets de n'y point passer; vous pourriez aisément en deviner la cause1. »

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Toujours le même excès de franchise dans ses aveux. Notre poëte passe à Bellac, et se plaint de la malpropreté des habitants de cette ville, puis il ajoute : « Dispensez-moi, vous qui « êtes propre, de vous en rien 2. dire » C'est la seule chose agréable que La Fontaine adresse à sa femme dans toute cette correspondance, et, par cette raison, tout insignifiante qu'elle est, nous n'avons pas dû l'omettre. « Rien ne m'au<< roit plu à Bellac, continue-t-il, sans la fille du «<logis, jeune personne assez jolie. Je la cajolai « sur sa coiffure; c'étoit une espèce de cale à oreilles, des plus mignonnes, et bordée d'un galon d'or large de trois doigts. La pauvre «< fille, croyant bien faire, alla querir aussitôt sa «< cale de cérémonie pour me la montrer. Passé Chavigny, on ne parle quasi plus françois; cependant cette personne m'entendit sans beau

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La Fontaine, Lettres à sa femme, 6, t. VI, p. 460.

2 Ibid., p. 464.

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« coup de peine; les fleurettes s'entendent partout « pays, et ont cela de commode qu'elles portent « avec elles leur truchement. Tout méchant qu'é« toit notre gîte, je ne laissai pas d'y avoir une << nuit fort douce; mon sommeil ne fut nulle«ment bigarré de songes, comme il a coutume « de l'être si pourtant Morphée m'eût amené «< la fille de l'hôte, je pense que je ne l'aurois * pas renvoyée; mais il ne le fit pas, et je m'en passai'. » Il falloit que La Fontaine fût bien certain de la vertu de sa femme, pour se livrer si souvent à des aveux aussi naïfs et aussi singuliers, ou qu'il fût bien indifférent sur les suites.

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Il arrive enfin à Limoges: il trouve que le peuple y est fin et poli, que les hommes y ont de l'esprit; mais les femmes ne lui plaisent point, quoiqu'elles aient de la blancheur. En conséquence, il renferme le jugement qu'il porte de cette ville, dans ces jolis vers:

Ce n'est pas un plaisant séjour;
J'y trouve aux mystères d'amour
Peu de savants, force profanes,
Peu de Philis, beaucoup de Jeannes;
Peu de muscat de Saint-Mesmin,
Force boisson peu salutaire;

La Fontaine, Lettres à sa femme, 6, t. VI, p. 465.

Beaucoup d'ail, et peu de jasmin:
Jugez si c'est là mon affaire'.

Après son voyage de Limoges, La Fontaine retourna à Château-Thierry, où se trouvoit la duchesse de Bouillon. Son mari s'étoit joint à ces jeunes François qui, impatients d'acquérir la gloire militaire, étoient allés en 1664 exercer sous Montecuculli leur valeur contre les Turcs2; et la duchesse, pendant son absence, avoit eu ordre de se retirer à Château-Thierry, ou dans le chef-lieu des domaines de la maison de Bouillon. La duchesse de Bouillon accueillit La Fontaine, qui fut d'autant plus sensible aux prévenances de la Dame des lieux qui l'avoient vu naître, qu'elle étoit jeune, jolie et spirituelle. Notre poëte, par les charmes de son esprit et de son talent, s'efforça donc de dissiper l'ennui que la duchesse devoit éprouver en se trouvant exilée dans une petite ville de province, loin de la pompe et des plaisirs de la cour auxquels elle étoit accoutumée. Il y réussit : et lorsque la duchesse quitta Château-Thierry, elle l'emmena avec elle à Paris, et l'admit dans sa société, qui se composoit de ce que la capitale offroit de

La Fontaine, Lettres à sa femme, 6, t. VI, p. 468.

2 D. Clément, l'Art de vérifier les dates, 3o édit., in-folio, t. II, p. 749.

plus aimable et de plus illustre'. Elle le fit connoître particulièrement de la duchesse Mazarin sa sœur, du duc de Bouillon son mari, de l'abbé de Bouillon son beau-frère, qui tous chérirent en lui la bonhomie de son caractère, et surent apprécier les graces inimitables de ses légères productions.

Il en avoit fait imprimer quelques unes séparément; c'est ainsi que Joconde avoit paru en 1664: mais enfin il en donna un premier recueil en 1665, d'abord avec une très petite préface et avec les initiales seules de son nom; puis enhardi par le succès, il fit réimprimer le même recueil, dans la même année, avec une préface plus longue, et avec son nom en toutes lettres. Il étoit déja âgé de près de 44 ans, et ce volume intitulé Contes et Nouvelles en vers, quoiqu'il n'eût pas plus de 92 pages petit in-12, fait époque dans la littérature françoise'. Pour bien apprécier l'influence de La Fontaine sur cette littérature, et la place que l'on doit lui assigner, il est, ce me semble, nécessaire de rappeler en peu de mots les révolutions qu'elle éprouva jusqu'à lui.

1 Voyez les œuvres de Saint-Évremond et celles de Chaulieu. Bouillon, OEuvres, in-12, Paris, 1663, p. 92.

La Fontaine, Contes, t. III, p. 11 de la préface de l'éditeur; Walck., 1" édit., p. 376, note 18.

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