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théogonie avec les autres, le contraste vous révélera ce que peuvent sur l'imagination les idées habituelles. Les croyances et les traditions y mêleront des éléments nouveaux. Tantôt un mythe physique se greffe sur un récit vulgaire, tantôt un accident naturel sur un fait national, quelquefois une légende héroïque sur une combinaison astronomique; le héros monte parmi les astres, et c'est une série d'exploits qui indique le cours d'une planète, ou bien c'est la morale qui dicte un précepte sous le voile de l'allégorie. Le soleil devient Hercule, et les douze cases du zodiaque autant de travaux; puis Hercule est pour les Grecs un aventurier; pour les Phéniciens, un fondateur de colonies; pour les Gaulois, un marchand: c'est ainsi qu'Atlas représente le génie de la science, Prométhée celui de la civilisation délivré par Hercule vainqueur des nomades. Les différents peuples se mêlent, et une race sacerdotale arrive portant le nom même du dieu (1) dont elle introduit le culte dans sa nouvelle patrie : les populations les plus grossières acceptent les rites et les dogmes des plus cultivées, comme elles accueillirent les Védas dans l'Inde ; dans la Chine, les livres canoniques remis en ordre dans la suite par Confucius. Souvent aussi les conquérants imposent leur culte aux vaincus, dont ils subjuguent ou abolissent les dieux; d'autres consentent à pactiser, multipliant ainsi les divinités et établissant entre elles des catégories. Quelle lutte n'eurent pas à soutenir les Hébreux pour donner à Jéhovah la prééminence sur les dieux des Philistins! Ormuz fut subjugué en Perse par Mithras, Brahma dans l'Inde par Siva et Vishnou, Osiris par Sérapis, Saturne par Jupiter; ce sont les Titans qui escaladent le ciel de leurs prédécesseurs. Alors chaque peuple modifie la tradition selon son caractère, gai ou austère, poli ou grossier. Les Grecs, en s'agenouillant devant des idoles informes, leur communiqueront la vie et la beauté; la grande déesse d'Ephèse, déposant ses voiles asiatiques et le fardeau de tant de symboles, s'élancera légère chasseresse et palpitante d'amour à travers les montagnes; Apollon n'aura plus les têtes multiples de Vishnou fait homme, mais d'une beauté accomplie dans toute sa personne, il par

(1) De là les nombreuses idoles qui, en Grèce, passaient pour l'œuvre de Jupiter (tóлETE): Apollon apporta lui-même son culte à Delphes, Cérès à Eleusis, etc. Voy. Scol. sur PINDARE, Olymp. XII, 10; et Scol. sur ARISTOPHANE, Oiseaux, 720.

écrivains.

courra la terre à grands pas en faisant résonner sur son épaule les

flèches d'or de son carquois.

Influence des La culture vient plus tard altérer ces inventions, comme il arriva en Grèce quand, au temps de Pindare, les sentiments religieux se trouvèrent dominés par l'examen philosophique. Puis ce fut Euripide et les sophistes qui se prévalurent des légendes antiques pour donner cours à leurs conceptions souvent immorales, plus souvent pointilleuses: un fait se présentait-il à eux, ils voulaient en trouver la raison (1). Quand le peuple avait attribué à un seul héros les sentiments et les actions de plusieurs, eux prenaient à tâche d'anatomiser les caractères, en leur attribuant des inclinations personnelles, de sorte que le type d'un siècle, d'une nation, se concentra dans un seul homme ils furent secondés en ceci par la poésie, qui effaçait les différences entre les cultes et les divinités partielles.

Explications de la

Ce fut ainsi que les dieux pullulèrent en mille façons, et que mythologie. s'obscurcit la clarté originaire. Cette multiplicité confondit les noms et les idées, les temps et les nations, les symboles anciens et les nouveaux, les personnages universels et les individus, les êtres allégoriques et ceux réels: le vulgaire adorait et ne pensait pas; ceux qui pensaient auraient voulu accorder la raison avec la foi; c'est pour cela que, de Phérécide et Héraclite jusqu'à l'empereur Julien, les esprits s'appliquèrent à trouver des interprétations plausibles aux mythes philosophiques. Les stoïciens expliquaient matériellement les symboles et les religions; Evhémère ne voyait dans les dieux que de grands hommes élevés au ciel; ceux qui défendaient le polythéisme, réduit aux abois par le christianisme, prétendaient trouver dans la mythologie les mystères d'une sagesse sublime; quelques modernes, poursuivant cette investigation, considérèrent les mythes comme des faits historiques altérés (2); d'autres n'y aperçurent que des symboles astronomi

(1) Eschyle avait indiqué le châtiment de Prométhée, Euripide en puisa les motifs dans sa propre imagination.

(2) BIANCHINI, la Storia universale provata co' monumenti; USSÉRIUS, avant eux DIODORE de Sicile, et, dans le siècle dernier, BANIER, la Mythologie et les fables expliquées par l'histoire. Quelques modernes ont fait de ce système une véritable plaisanterie en changeant Phaéton et Bellerophon en deux astronomes ayant échoué au beau milieu de leurs observations, Pâris en un rhéteur composant une harangue sur le mérite des trois déesses, etc.

ques (1); Bacon y découvrit des germes cachés de doctrine morale et sociale (2); Vico, les premières conceptions de la raison, les fruits printaniers de l'imagination, les commencements de l'ordre social, voilés sous des fictions sévères et des formes sensibles (3). D'autres y virent un ensemble de connaissances physiques représentées sous forme d'allégories; quelques-uns, un simple jeu de fantaisie. Tous ont donné à faux en se montrant exclusifs. La mythologie est, à nos yeux, l'une des formes les plus riches de la tradition de l'humanité, embrassant en deux grands rameaux les événements antiques et les antiques croyances. Elle nous offre comme un débris du monde primitif, resté pour continuer les religions et commencer l'histoire; mais nous l'avons vue sortir d'éléments si hétérogènes, les nuages qui l'enveloppent ont si souvent changé d'aspect, selon la position et les passions de ceux qui regardaient, que, dans notre conviction, pour aucun peuple elle ne saurait offrir un accord raisonnable; aussi n'est-ce que par fragments que nous avons tâché de nous en aider pour retracer l'histoire des temps obscurs.

Toute religion se compose de croyances et de morale: quelles que fussent les premières, les prêtres tendirent toujours à répandre la seconde au moyen du culte. Les idées s'en altérèrent néanmoins selon les opinions, le besoin, les passions, deux principes opposés, la volupté et la barbarie, s'associant toujours dans l'antiquité. L'Astarté des Phéniciens, la grande déesse des Syriens à Hiéropolis, l'Aniti des Arméniens avaient pour prêtresses des courtisanes et exigeaient le sacrifice de la pudeur : de même en Grèce, à Rome, à Chypre, à Corinthe, en Sicile, des rites infâmes se célébraient en l'honneur de Flore, de Mutinus, de Cybèle, de Bacchus : des images obscènes ornaient les temples de l'Égypte, ainsi que ceux de Pompéia et d'Herculanum. Des fables aux ignominieuses amours semblèrent inventées pour rassurer les consciences et pour pouvoir pécher sous l'autorité des dieux. Mais ces dieux, tout en sanctifiant la volupté, réclamaient des victimes humaines, dont furent souillés les autels de presque toutes les nations antiques. La Grèce elle-même ne fut pas

(1) DUPUYS, Origine de tous les cultes.

(2) De sapientia veterum.

(3) Passim. Mais voir surtout une note au chapitre xxx de la dernière partie du livre De constantia jurisprudentis.

Morale.

[ Prêtres.

exempte de cette barbarie, non-seulement au temps des Argonautes et quand Agamemnon et Aristodème immolaient leurs propres filles, mais bien plus tard, lorsque le sixième jour du mois targelion, les Athéniens sacrifiaient un homme et une femme pour la santé des autres (1), et que Thémistocle égorgeait deux jeunes garçons pour se rendre les dieux propices dans le combat de Salamine.

Il est vrai qu'on se fourvoierait souvent à juger des mœurs par les croyances. Les Romains sacrifiaient à la peur; Lucrèce avait de la dévotion pour Vénus; comme aussi le Kalmouk, bien qu'il adore une idole d'argile, ne se plie pas aux douces doctrines du lamisme. Toujours les enfants de la chair se séparèrent de ceux de l'esprit, et l'autorité de la loi morale ne saurait être anéantie par les fables religieuses. C'est à l'accomplissement de cette loi éternelle que visaient les actions plus qu'à l'imitation des dieux, et, bien qu'obscurcie, la confiance en un Dieu supérieur et dirigeant tout ne périt jamais. C'est pour cela que Zaleucus inscrivait en tête de sa législation qu'avant tout il importe de connaître la nature de Dieu. On jurait par les dieux; on en redoutait le châtiment: Apollon Pythien proclamait que la piété des mortels est aussi chère aux dieux que l'Olympe lui-même. Pindare chantait que la sagesse dérive de Dieu (2), que Dieu est le modèle des rois, qu'il créa et enseigna tout ce qu'il y a de beau au monde (3): Cicéron disait plus tard que tout ce qu'il y a de beau et de bon vient de Dieu, des hommes tout ce qui est mauvais (4). C'étaient là toutefois des sentences de philosophes, tandis que le vulgaire, qui n'était pas instruit à leurs écoles, avait sous les yeux trop de déplorables exemples, sans parler même de l'innombrable foule d'esclaves qui croupissait sans divinités et sans morale.

Les religions ne furent donc pas l'invention des prêtres ; l'imposture ne fit que les adopter, et propager des songes pour des réalités. Les premiers prêtres sont représentés par le patriarche de la tribu, qui offre le sacrifice, conserve la mémoire des révé

(1) Cette cérémonie s'appelait xa0apòv, purgation. V. J. TZETZE, Chil., V, 23; Chil., VIII, 239.—MEURSIUS, Lect., lib. IV, 22, et Græcia feriata, lib. IV, in Thargeliis.

(2) Olymp., X, 10.

(3) STOBÉE, tit. 48, 63.

(4) De natura deorum, II, 35, III, 39.

lations divines et des connaissances primitives, dicte au nom de Dieu les commandements moraux, c'est-à-dire, ceux de la justice, et les applique aux cas journaliers. En se répandant au milieu de gens grossiers, les prêtres les trouvent occupés de satisfaire aux besoins et aux divers emplois de la vie matérielle, de sorte que c'est à eux que reste le privilége du savoir qu'ils ont le temps de cultiver ils sont astronomes, physiciens, médecins, historiens. Voilà pourquoi les sciences s'offrent d'abord sous l'aspect religieux : les germes de la civilisation se propagent sous le voile des cosmogonies religieuses; car, depuis les Thesmophores jusqu'à nos missionnaires, la religion a toujours été considérée comme le principal moyen de dégrossir les peuples.

Mais peu d'hommes savent résister à la tentation du pouvoir. Mystères. Sentant combien la science et le culte les rendent supérieurs au vulgaire, les prêtres songent à ne lui communiquer que ce qu'il en faut pour leur conserver la suprématie, et ils enveloppent le reste d'un voile épais. Alors les mythes cosmogoniques, de simples qu'ils étaient, deviennent multiples et compliqués; les connaissances livrées à la foi implicite des contemporains, comme vérités absolues, sont déposées dans des symboles; la tradition primitive est étouffée de plus en plus, et d'obscures métaphores, des caractères mystérieux, des expressions énigmatiques confondent l'intelligence et égarent la conscience (1). De là deux doctrines,

(1) Les écrivains qui ont traité des mystères sont :

MEURSIUS, Eleusina, sive de Cereris eleusinæ sacro et festo.
SAINTE-CROIX, Des mystères de l'antiquité, Paris, 1765.

LENTZ a ajouté des notes précieuses à la traduction allemande de cet ouvrage.

P. N. ROLLE, Recherches sur le culte de Bacchus, symbole de la force reproductive de la nature, considérée sous ses rapports généraux dans les mystères d'Éleusis, et dans ses rapports particuliers dans les Dionysiaques et les Triétériques, Paris, 1824.

A. VAN DALEN, De oraculis veterum ethnicorum dissertationes sex, Amsterdam, 1700. L'ouvrage est des plus importants, mais il manque de vues larges et coordonnées, qui se font aussi désirer dans celui de

J. GRODDEK, De oraculorum veterum quæ in Herodoti libris continentur natura, commentatio, Goëttingen, 1786. Sur les oracles et sur les sibylles,

FABRICIUS, Bibl. græca, vol. I, 136 et suiv.

FRÉRET, Sur les recueils des prédictions écrites qui portaient le nom de Musée, de Bacis et de la Sibylle, t. XXIII des Mémoires de l'Académie des inscriptions.

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