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Nous avons publié jusqu'ici l'histoire ancienne et celle du moyen âge, en treize parties, formant autant de volumes, et nous sommes à la veille de mettre sous presse l'histoire moderne. L'ouvrage n'est donc pas même achevé, et pourtant on en fait cinq éditions simultanées en Italie.

Si nous parlons de cet accueil favorable et vraiment extraordinaire, ce n'est pas pour en tirer vanité; nous ne désirons que prévenir le reproche de témérité qu'on pourrait nous adresser en nous voyant reproduire notre livre dans le pays qui a donné une impulsion si grande aux recherches historiques, et fourni tant d'excellents modèles dans ce genre d'études.

Ne voulant pas subir une traduction faite au hasard, et peut-être dans un but purement industriel, nous avons préféré courir nous-même la chance d'une publication en français, en reprenant notre travail en sous-œuvre, pour qu'il soit autant que possible conforme au génie de la nation à laquelle nous tenons à honneur de le présenter.

Dans cette édition, nous laisserons de côté les éclaircissements et les pièces justificatives dont l'édition italienne est accompagnée, cette addition n'étant pas aussi nécessaire en France qu'en Italie, où il est plus difficile de se procurer les auteurs cités. Nous supprimerons de même ce qui s'adresse plus particulièrement à nos compatriotes; mais il s'en faut de beaucoup que nous voulions démentir ou déguiser l'origine italienne de notre travail.

La science marche si vite, tant d'opinions et de doctrines se succèdent si rapidement, que nous avons eu bien des choses à ajouter, indépendamment des améliorations qui nous ont été suggérées par une critique bienveillante ou même hostile.

Un patriotisme dédaigneux, qui tient surtout à s'épargner la honte de son incurie, croit avoir beau jeu contretout ce qui paraît dans un pays où le défaut d'unité nationale rend impossibles ces immenses collections de livres et

de documents, cette plénitude de discussion, d'expérience, de vie dont sont fières d'autres nations. Mais n'est-ce pas un motif pour que l'écrivain s'y concentre davantage, pour qu'il y soit moins distrait par les froissements extérieurs, et puisse gagner en profondeur ce qui lui manque en étendue? Ne serait-ce pas d'ailleurs une injustice que de répondre par le dédain aux efforts de ceux qui, placés dans des conditions difficiles, ont de plus grands obstacles à vaincre pour se tenir à la hauteur des connaissances actuelles? Ne savons-nous pas, pèlerins de la science, aller puiser aussi aux trésors connus?

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Étranger que nous sommes, non pas aux idées,-les idées n'ont pas de patrie, mais aux petites et aux grandes ambitions, aux luttes politiques, aux débats littéraires qui imposent, soit des concessions officieuses, soit une opposition systématique, ne pourrions-nous pas, par cela même, exposer d'une manière plus franche aux regards des compatriotes du grand Bossuet la marche progressive du genre humain?

Exprimer ses pensées sous une forme correcte, sinon élégante, est l'un des premiers devoirs de l'écrivain : pour reproduire les nôtres dans une autre langue que celle dans laquelle elles ont été conçues, nous avons dû avoir recours à des plumes expérimentées; mais, tout en rendant grâce à l'amitié qui nous prête son secours dévoué, nous ne sentons que trop le besoin de réclamer une indulgence hospitalière pour tout ce que le style pourra conserver de sa physionomie étrangère. Cette allure soutenue et déliée à la fois, cette exposition aussi simple et naïve qu'énergique et réfléchie, cette éloquence sans emphase, cette chaleur qui n'ôte rien à la concision, cette finesse d'esprit jointed la sévérité de jugement, toutes ces grandes qualités cont brillent les bons écrivains français, sont infiniment plus aisées à admirer qu'à imiter.

Ayant beaucoup appris à leur école, nous avor profité

librement de tout ce qui nous a paru convenir à notre sujet. Ainsi, nous croyons nous acquitter d'une dette de reconnaissance en rendant à la France ce que nous avons en grande partie emprunté d'elle: heureux si elle trouve que nous en avons parfois su faire un bon usage! heureux si, en proclamant avec franchise ce que nous avons médité avec conscience, notre voix ne se perd pas tout à fait au milieu de tant d'autres beaucoup plus puissantes! Pour oser l'espérer, il faut bien que nous comptions sur les sympathies d'un pays qui s'offre aux étrangers comme une seconde patrie, et que tous considèrent comme tel dès qu'ils ont pu le connaître.

La France a su réaliser dans les temps modernes cette grande idée de nationalité conçue par l'Italie dans les temps anciens. Puisse notre ouvrage contribuer à resserrer les liens qui unissent les deux pays! Puisse-t-il ranimer pour notre chère patrie, plus souvent jugée qu'étudiée, ce noble intérêt auquel lui donnent droit même ses malheurs !

Paris, 1er juillet 1843.

CÉSAR CANTU.

Plus l'humanité avance dans sa voie, plus elle ressent l'immense besoin du vrai, du beau, du bien, et aucune science n'y satisfait aussi complétement que l'histoire. Nouveaux venus dans ce monde, à la suite de ceux qui l'abandonnèrent l'ayant à peine connu; anneaux temporaires de la chaîne par laquelle se perpétue l'espèce au milieu de la destruction des individus, comment nous diriger si nous en étions réduits à notre seule expérience? De peu supérieurs à la brute, peut-être même plus malheureux qu'elle; poussés par l'instinct du plaisir ou par l'aiguillon du besoin, nous ressemblerions à des enfants qui, nés à minuit, croiraient, à l'aspect du soleil levant, qu'il vient à l'instant d'être créé.

Ce qui nous façonne à la vie, et devance pour nous l'expérience dont les précieuses leçons s'achètent si chèrement, c'est l'étude des hommes et celle des livres; l'une immédiate et réelle, l'autre plus étendue et variée, toutes deux insuffisantes, si elles ne marchent ensemble. L'histoire, qui recueille dans les livres les études faites sur l'homme, allie heureusement les deux enseignements, et constitue le meilleur passage de la théorie à l'application, de l'école à la société.

Mais si l'histoire se réduit à une vaste collection de faits, d'où l'homme prétende déduire une règle pour agir en des circonstances pareilles, l'enseignement qui en résulte est aussi incomplet qu'inutile, aucun fait ne se reproduisant avec les mêmes accidents. Elle acquiert une bien autre importance, lorsqu'on observe les faits comme une parole successive qui, d'une manière plus ou moins claire, révèle les décrets de la Providence; lorsqu'on les rattache, non à une idée d'utilité partielle, mais à une loi éternelle de charité et de justice. Il ne faut pas que, dans une sombre contemplation, elle dévoile et envenime encore les plaies sociales, mais qu'elle fasse tourner au profit des enfants la moisson des douleurs subies par les pères et l'exemple des grandes catas

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trophes. Alors elle nous élève au-dessus des intérêts éphémères, et, nous montrant tous membres d'une association universelle appelée à la conquête de la vertu, de la science, du bonheur, elle étend notre existence à tous les siècles, la patrie au monde entier; elle nous rend contemporains des grands hommes, et nous fait sentir l'obligation d'accroître pour la postérité l'héritage que nous avons reçu de nos ancêtres.

Quelle pure satisfaction réjouit l'intelligence, à contempler d'une telle hauteur la morale et l'humanité ! Les préjugés que nous dicte l'esprit de parti dans l'appréciation de nos contemporains font place à des opinions plus justes et plus absolues ; le sentiment moral redouble d'énergie, et nous perdons l'habitude de confondre le bien avec l'utile, le beau avec ce qui est conforme à nos passions et à l'opinion vulgaire. En nous accoutumant aux oracles d'une rigoureuse justice, à une sympathie délicate et généreuse, nous apprenons à régler chacun de nos actes selon les lumières de la raison, à nous laisser guider par une philanthropie qui confond notre félicité propre avec celle de tous.

Ne produisît-elle d'autre bien que de mettre un frein au lâche égoïsme, cette gangrène de la société moderne, et d'encourager à des actes généreux, l'histoire serait déjà d'une immense utilité. Chaque fois que des passions contrariées ou de profonds chagrins nous amènent à ne voir dans l'homme que l'individu, quel dédain ne doit pas nous causer cette race humaine, ou folle ou perverse, d'esprit orgueilleuse et molle de volonté, qui s'égare dans un labyrinthe dont elle ne connaît pas l'entrée, dont elle est certaine de ne pas voir l'issue; qui, poussée par la violence, circonvenue par la fraude, au milieu de chocs aveugles et d'amères déceptions, traine après soi douleurs et espérances, durant le peu de jours que le malheur la dispute à la mort! Échange d'hostilités déguisées, de bienfaits calculés, de caresses insidieuses, d'insultantes compassions; lutte étourdissante et sans relâche d'intérêts frivoles, au milieu des serviles convoitises des uns et de la lâche insouciance de la plupart; vieillards moroses qui repoussent tout progrès, et jeunes imprudents qui le compromettent pour vouloir trop le hâter : voilà le spectacle offert à l'homme ici-bas. Ne doitil pas croire le monde livré aux caprices du hasard, ou jouet misérable d'une puissance envieuse et cruelle, se complaisant à voir les plus magnanimes efforts succomber sous l'astuce ou sous la

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