Imatges de pàgina
PDF
EPUB

comte d'Artois la copia de sa main, et l'envoya au roi par un de ses gens.

Jusque-là tout était fort bien, rien n'avait été négligé, et n'était susceptible d'autre chose que d'approbation. Il avait été assez mal arrangé que la reine viendrait ce jour-là à la comédie, et que M. le comte d'Artois irait l'y joindre. Indépendamment de ce que c'était pour M. le comte d'Artois manquer au roi, que de se montrer en public après avoir outre-passé ses ordres, c'était pour lui et pour la reine mendier des applaudissemens qu'il faut toujours mériter sans jamais les rechercher. La réflexion m'en vint d'abord que je sus cet arrangement; mais, n'étant plus à même de la soumettre au jugement de la reine, je n'osai pas de mon chef empêcher M. le comte d'Artois de suivre ce qu'elle avait préparé. Le public lui fit un froid accueil; et M. le duc de Bourbon fut comblé d'applaudissemens, ainsi que la duchesse. M. le comte d'Artois fut douloureusement affecté de ce traitement; car il sent le prix de l'opinion publique, et finira par la conquérir quand il sera mieux

connu.

J'ai oublié de dire qu'à la première conversation que j'avais eue avec la reine, à Versailles, elle m'avait consulté pour savoir s'il ne fallait pas envoyer M. le comte d'Artois à la Bastille, au cas qu'il se battît; ce que j'avais totalement rejeté, comme inutile, en disant qu'il suffirait de l'exiler pendant huit ou dix jours à Choisy, ou dans quelque autre maison royale,

et qu'en même temps on exilerait M. le duc de Bourbon à Chantilly; mon opinion étant qu'il ne fallait mettre aucune différence dans le traitement des deux princes.

J'allai, vers la fin de la comédie, me mettre sur le passage de la reine; et m'étant approché d'elle, je lui dis à l'oreille: Au moins, Madame, point de Bastille. Non, me répondit-elle en poursuivant son chemin, votre avis sera suivi. La connaissant comme je la connais, il me fut facile de voir à son air qu'elle n'était pas contente, et que la façon dont elle et M. le comte d'Artois avaient été reçus du public, en était cause.

M. le prince de Condé ne mit pas assez de réserve dans sa conduite; au lieu de se renfermer, il ouvrit sa porte à tout Paris, et l'affluence fut si grande, que, quoique le palais Bourbon soit assez loin du PontRoyal, l'embarras et les reculades commençaient déjà au quai. Le roi et la reine en furent si choqués, qu'ils se promirent bien de le lui faire connaître quand le moment en arriverait; et M. le prince de Condé mit contre lui une occasion dont il aurait pu tirer un grand parti pour se rapprocher de la cour.

Il ne m'était point venu dans la tête d'aller au palais Bourbon; mais je trouvai dans ma soirée tant de gens qui en venaient, que je ne voulus pas être noté pour n'y avoir pas mis les pieds. J'y fus vers minuit, et je le trouvai encore rempli de monde. M. le prince de Condé, instruit que c'était moi qui

avais fait la lettre de M. le comte d'Artois au roi, me reçut à bras ouverts, me prit à part, et nous causâmes beaucoup sur ce qui s'était passé et sur ce qui allait arriver. M. le duc de Bourbon, quand il m'eut fait une révérence, crut s'être acquitté ; pour madame la duchesse de Bourbon, elle conserva avec moi l'air d'ironie qui ne l'avait pas quittée depuis le commencement de cette affaire; j'y opposai un air d'aisance qu'on prétend qui ne m'est point étranger, et que cette fois je ne cherchai pas à réprimer.

Le lendemain, M. le comte d'Artois reçut ordre d'aller en exil à Choisy, et M. le duc de Bourbon à Chantilly. Ils y restèrent huit jours.

Après l'heureuse issue d'un événement qui d'abord avait si mal tourné pour M. le comte d'Artois, et qui avait tant embarrassé et affligé le roi et la reine, après la part que j'avais eue à cette heureuse issue, je devais naturellement m'attendre à quelque témoignage de satisfaction. Non-seulement ni le roi, ni la reine, ni qui que ce fût, ne m'en ouvrit la bouche, mais même dans le monde l'honneur en rejaillit sur le chevalier de Crussol, soit qu'il l'eût contée plus à son avantage qu'elle ne l'était dans le fond, soit que tout ce qu'il en dit, et le silence que je gardai sur cet objet, ainsi que je le fais toujours sur ce qui me regarde, fît tourner les yeux de son côté; il en eut presque tout l'honneur, et je n'en tirai que celui d'être content de moi, ce qui me suffira toujours.

Comment M. de Castries et M. de Ségur sont parvenus au ministère.

Écrit en 1781.

M. DE SAINT-GERMAIN s'étant tellement discrédité dans le ministère de la guerre, qu'on croyait bien qu'il n'y pouvait demeurer long-temps, le public nomma M. de Castries pour le remplacer. Il était trop désigné par l'opinion pour que tous les prétendans et ceux qui ne l'aimaient pas, qui étaient en assez grand nombre, ne tâchassent pas de le dénigrer; les troupes surtout craignaient sa rigidité, son exactitude. Toutes ces différentes voix réunies s'élevèrent à la fois pour l'éloigner du ministère. On chercha à le dépeindre minutieux, entêté, au-dessous de toute besogne en grand dont on voudrait le charger. Ces propos firent impression sur luimême, et le dégoûtèrent au point que, loin de faire aucune démarche, il montra peu de disposition à accepter si on lui offrait. La nomination de M. de Montbarrey au ministère de la guerre fit oublier cet objet, qui avait occupé la société pendant quelque temps.

En causant avec la duchesse de Polignac de ce qui venait de se passer sur le compte de M. de Castries, qui ne me paraissait pas avoir plus de désir

d'être ministre de la guerre, que le public n'en montrait à l'y voir parvenir, je lui dis qu'il me semblait que sa véritable place était le ministère de la marine, pour lequel son application suivie lui avait donné autant de connaissances, que son caractère ferme me paraissait propre à rétablir dans ce corps l'ordre et la discipline qui y étaient totalement éteints. Je fus soutenu dans mon opinion par MM. de Vaudreuil et d'Adhémar; le premier avait bien des droits sur madame de Polignac, et le second jouissait de sa confiance.

M. de Vaudreuil, qui, en toute occasion, parlait comme un homme de haute naissance, ce que je -ne prétends pas lui disputer, n'avait point d'ancêtres connus, du moins dont j'aie entendu parler. Son père avait été gouverneur de Saint-Domingue, et s'y était enrichi. Son oncle, major des gardesfrançaises, était mort lieutenant- général et grandcroix de l'ordre de Saint-Louis. M. de Vaudreuil avait eu une figure charmante, que la petite-vérole a détruite. Jamais homme n'a porté la violence dans le caractère aussi loin que lui. Au jeu, à la chasse, dans la conversation même, la moindre contrariété le mettait hors de lui; et dans son emportement, il était provoquant au point qu'il est incroyable qu'il n'ait jamais eu d'affaires, tandis que journellement il devait s'en faire. Ses fureurs étaient encore moins le produit d'un sang aisé à s'enflammer, que celui d'un amour-propre sans mesure, qui non-seu

« AnteriorContinua »