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pendant quelques jours; mais, comme il arrive ordinairement, un autre objet fixa l'attention du public, et l'on oublia celui-là.

Madame de Guéménée, de son côté, faisait de la dépense. La représentation que sa charge exige l'y forçait, et bientôt son revenu ne put y suffire. Elle y suppléa, à l'exemple de son mari, par des contrats et des rentes viagères qui s'accumulèrent au point qu'enfin la catastrophe arriva pour tous les deux, soit par la trop grande confiance qu'ils eurent au nommé Marchand, leur homme d'affaires, soit par indolence. Lorsqu'il fallut en venir au bilan, le déficit se trouva, dit-on, monter à trente- trois millions, ce qui parut monstrueux.

On jugea facilement qu'après un pareil éclat, M. de Guéménée serait perdu; que madame de Guéménée ne pourrait garder sa charge de gouvernante des enfans de France, et, d'une commune voix, le public nomma pour la remplacer la duchesse de Polignac que plusieurs années avant j'avais liée avec la reine. La tendre amitié que cette princesse avait pour elle, les qualités personnelles de madame de Polignac, ramenaient naturellement à cette idée.

Je lui parlai des bruits qui couraient, en lui demandant quelle était son opinion sur cet objet. Je la trouvai tellement effarouchée de la gêne et de l'assiduité qu'exigeait une charge pareille, et tellement déterminée à refuser, si on la lui proposait,

qu'inutilement tentai-je de la faire revenir de sa façon de penser, en lui remontrant combien l'éclat de cette place serait avantageux pour les siens, et même désirable pour elle, qui ne tenait à la cour que par la faveur dont elle jouissait, faveur qui pouvait s'évanouir d'un moment à l'autre rien ne put l'ébranler.

En effet, madame de Polignac, née calme, paresseuse même, accoutumée à une vie paisible, libre au sein de sa famille et de ses amis, contrariée, fatiguée bien souvent de ce qu'exigeait d'elle le rôle de favorite, dont elle aurait vu la fin avec joie sans l'attachement réel qu'elle avait pour la reine; madame de Polignac ne pouvait considérer qu'avec effroi, qu'avec une répugnance invincible, une charge dont la chaîne est si pesante, et que rien ne peut alléger. Je ne la pressai pas davantage pour cette fois. Mais lui en ayant encore reparlé, sans qu'elle eût changé de sentiment, elle me parut choquée de ce qu'il n'était pas venu dans la tête de la reine, qui lui avait parlé plusieurs fois de madame de Guéménée, de lui proposer sa charge, et je trouvai qu'elle n'avait pas

tort.

Deux ou trois jours se passèrent dans cette situation. Un soir que j'étais chez madame de Polignac à Paris, madame de Châlons, sa cousine, avec laquelle j'avais été brouillé à ne nous pas parler, et avec qui je venais de me raccommoder, me prit à part et me dit : « Il est bien extraordinaire que tout le

> public cause de la retraite de madame de Gué» ménée, qu'il nomme ma cousine pour la rempla» cer, et qu'on ne lui parle de rien. Il faudrait pour» tant fondre la cloche. Vous qui dites ce que vous » voulez, vous devriez bien en parler à la reine avec » cette gaieté qui vous assure du succès. Mais, > lui répondis-je, êtes-vous sûre que madame de Polignac accepte? Je l'ai trouvée dans des disposi» tions bien différentes. Ah! reprit-elle, com» ment voulez-vous qu'elle refuse? La chaîne l'é» pouvante, j'en conviens; mais encore un coup ce » sont de ces offres qu'on ne refuse pas.- Soit, répliquai-je, je suis toujours prêt à tout pour mes amis, et plus pour madame de Polignac que pour >> tout autre. D'ici à vingt-quatre heures j'aurai parlé. »

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J'allai souper le lendemain à la Muette où était la cour; et saisissant un moment où la reine passait toute seule, d'une pièce dans une autre, je m'approchai d'elle, et je lui demandai ce qu'il fallait que je pensasse des bruits qui remplissaient Paris; qu'on y disait la retraite de madame de Guéménée, et que madame de Polignac avait sa place. La reine s'arrêta, et, me regardant comme quelqu'un à qui on présente une idée absolument neuve, elle resta quelques instans sans parler : « Comment! › madame de Polignac! me répondit-elle enfin; » je croyais que vous la connaissiez mieux; elle ne » voudrait pas de cette place. Ne m'a-t-elle pas

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>> refusé toutes celles que j'ai voulu lui donner auprès de moi? - Celle-ci est de confiance, repris-je, et bien différente des charges de cour. Indépendamment de ce que madame de Polignac » a toutes les qualités nécessaires pour avoir la pré»férence, je crois que V. M. dégraderait son sen»timent aux yeux du public, du public, si elle ne donnait pas

cette marque de confiance à son amie, quand » bien même elle serait sûre d'en être refusée. Il y › a cependant des façons de s'y prendre qui met>tent à l'abri de cette crainte, et ce n'est pas à la reine qu'il faut les indiquer. Si cependant elle » craint que madame de Polignac n'accepte pas, je puis la pressentir, et je l'offre à V. M. »

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La reine réfléchit encore quelques instans, et me dit: Non, tout cela n'est pas encore mûr. Je rendis mot pour mot cette conversation au duc de Polignac qui était à la Muette, sa femme étant restée à Paris auprès de la duchesse de Guiche, sa fille, alors en couches.

J'allai le lendemain voir madame de Polignac pour savoir l'effet qu'avait produit sur elle ce qui s'était passé entre la reine et moi. Je la trouvai dans une agitation affreuse. « Je vous hais tous à mort, me dit-elle; vous voulez me sacrifier. J'ai obtenu de » mes parens et de mes amis que d'ici à deux jours » on ne me parlerait de rien, et qu'on me laisserait » à moi-même. C'est bien assez; baron, ne me > traitez pas plus mal que les autres. »

Je ne la pressai point, jugeant bien de ce qui arriverait, et ne pouvant plus lui être d'aucune utilité. Je partis pour la campagne, où, quelques jours après, elle m'écrivit pour me mander que madame de Guéménée avait donné sa démission, que la reine lui avait proposé d'accepter la charge de gouvernante des enfans de France, et y avait mis tant de grâces, tant de marques d'amitié et de sensibilité, que, quoiqu'elle pensât toujours de même sur la chaîne qu'elle allait se donner, elle n'avait pu refuser.

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