Imatges de pàgina
PDF
EPUB

Comment madame de Guéménée perdit la place de gouvernante des enfans de France, et comment la duchesse de Polignac lui succéda.

Écrit en 1782.

La maison de Rohan, si brillante en France par son ancienneté, et si exagérée dans ses prétentions. était parvenue à ce haut degré de fortune et d'illustration où une suite de gens d'une si grande naissance, toujours à la cour et toujours occupés de leur élévation, avait pu la porter. Elle comptait, au moment dont je parle :

Le maréchal de Soubise, chef de la maison. J'ai peint son caractère en parlant de la bataille de Fillinghausen. Son goût effréné pour les femmes, auxquelles l'âge le mettait hors d'état de plaire, l'avait jeté dans un genre de vie scandaleux. Les filles de l'Opéra composaient sa cour, et d'autre part une madame de l'Hopital, maîtresse en titre, entretenue par le jeu. Mais cependant tout le monde avait pour lui une sorte de déférence qu'inspiraient sa naissance et son grade, ainsi que la place qu'il occupait dans le conseil.

Le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, grand-aumonier de France, homme qui joignait à beaucoup d'élégance extérieure beaucoup de grâces

dans l'esprit, et même des connaissances, mais sans frein dans ses passions et dans sa conduite, libre dans ses mœurs, faisant une dépense outrée, plein d'inconsidération et de légèreté.

Madame de Marsan, sœur du maréchal, qui avait été gouvernante des enfans de France. Veuve fort jeune d'un prince de la maison de Lorraine, elle devint éperdument amoureuse d'un M. de Bissi qui fut tué à la guerre au moment qu'elle allait l'épouser. Sa figure n'était ni bien ni mal: dans sa jeunesse, une grande gaieté la rendait assez aimable, et avait rassemblé autour d'elle une société de gens de son caractère : je la voyais beaucoup alors. La mort de M. de Bissi la fit tourner à la dévotion dont elle adopta les pratiques. Elle se jeta dans l'intrigue elle se fit chef de parti, se déclara ouvertement pour les jésuites qu'elle soutenait en toute occasion. Cet extérieur n'empêcha pas la médisance de l'attaquer. On chercha à trouver un prétexte très-faux aux bontés marquées qu'elle témoignait à Lemonier, médecin du roi ; ce qui fit dire assez plaisamment au maréchal de Richelieu, qu'à l'exemple des princes d'Allemagne qui, lorsqu'ils se mésallient, épousent de la main gauche, madame de Marsan, plus grande princesse que toutes celles d'Allemagne ensemble, pour satisfaire son goût sans offenser le ciel et sa maison, avait épousé Lemonier du pied gauche. Mais cette gaieté portait sur une calomnie.

Madame de Marsan resta à la cour jusqu'à ce que, obligée de renoncer à tout espoir de retour pour les jésuites, et moins bien dans l'esprit du roi et de la reine, elle prit enfin le parti de se retirer à Paris, et de remettre sa charge à madame la princesse de Guéménée.

M. le prince de Rochefort, homme d'une figure chétive et d'un esprit pesant, parlant mal, et d'une véracité suspecte.

Le chevalier de Rohan, d'une jolie figure, qui s'était mis dans la marine, et qui de là avait épousé mademoiselle de Breteuil, veuve du vicomte de Pons; mariage assez ridicule.

L'archevêque de Cambrai, dont on ne peut rien

dire.

M. le prince de Rohan, père de M. de Guéménée, d'un extérieur désavantageux; il avait été à la guerre sans y être fort remarqué, et s'était retiré dans une terre en Touraine.

M. le prince de Guéménée, survivancier de la charge de grand-chambellan que possédait M. de Bouillon, survivancier aussi de celle de capitaine des gendarmes de la garde qu'avait M. de Soubise. Il était d'une jolie figure, doux et agréable dans la société, maniant assez bien la plaisanterie, et l'entendant encore mieux.

Enfin, madame la princesse de Guéménée, fille du maréchal de Soubise, dont j'ai parlé ailleurs. Voilà ce qui composait la famille de Rohan à l'é

poque où je la prends. On voit qu'elle avait porté toutes ses vues sur M. de Guéménée, qui devait en devenir le chef à la mort du maréchal de Soubise. Son début dans le monde fut comme à l'ordinaire, c'est-à-dire qu'il vécut quelque temps fort bien avec sa femme; mais que bientôt, sans être plus mal ensemble, ils s'éloignèrent l'un de l'autre. M. de Guéménée s'attacha à madame Dillon, fille de madame R***, à laquelle elle ressemblait parfaitement.

Madame Dillon était grande et bien faite, quoiqu'un peu maigre. Elle avait un joli teint, un visage charmant, sur lequel était peinte la douceur de son âme, comme elle l'était dans le son de sa voix. Je ne l'ai pas assez connue pour définir son caractère, qui m'a paru, dans le peu que je l'ai vue, plus attrayant que piquant, et entièrement opposé à celui de sa mère. L'attachement de M. de Guéménée pour madame Dillon était extrême; il ne vivait que pour elle, et ne la quittait pas. Il a duré douze ans sans se démentir un instant, et la mort seule a mis un terme à ses soins. Madame Dillon, attaquée de la poitrine, a eu le bonheur de finir quelques mois avant la catastrophe de M. de Guéménée, qui l'aurait infailliblement mise au tombeau avec bien plus d'amertume. Nos gens à sentimens ont voulu établir que jamais M. de Guéménée n'en avait rien obtenu, et que sa passion était purement platonique. Pour moi, j'avoue que je suis un peu trop matériel pour croire à cette sublimité de sentiment.

M. de Guéménée, attaché comme je viens de le dire aux pas de madame Dillon, passait l'hiver à Paris, chez l'archevêque de Narbonne, où logeait madame Dillon, et l'été à Haute-Fontaine, terre de l'archevêque. Il y chassait le cerf avec un équipage monté à l'anglaise, ainsi que l'était toute sa maison, selon la mode du temps suivie par tous les jeunes gens. Il ne venait que rarement à la cour qui aurait dû être son vrai séjour, et où il jouait plus le rôle d'un bouffon que celui d'un grand seigneur.

L'hiver, il donnait à Paris, dans l'appartement que la charge de sa femme mettait à sa disposition aux Tuileries, et sur un théâtre qu'il y avait fait construire, des spectacles charmans exécutés par les acteurs les plus distingués des trois spectacles, précédés par un concert et suivis par un excellent souper, et une espèce de café où venait à peu près tout ce qu'on connaissait. On s'émerveillait de la galanterie et de l'intelligence de ces fêtes, surtout de la dépense qu'elles occasionaient. La chose aurait paru simple si on avait su qu'acteurs et ouvriers ne touchaient jamais un sou, mais seulement des pensions ou des contrats viagers qui soldaient tout. M. le duc de Lauzun, ami de M. de Guéménée, étant arrivé au moment où l'excès du dérangement nécessite de prendre un parti, M. de Lauzun se mit à la tête des affaires du prince, prit toutes les terres, et lui fit une pension viagère. Cela parut fort extraordinaire dans le monde; on en parla beaucoup.

« AnteriorContinua »