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Cependant mon procès allait s'entamer par-devant le tribunal du Châtelet, constitué juge des crimes de lèse-nation; et ce crime (de la façon de ces messieurs) m'était imputé (1).

(1) Les premières années de la révolution présentent trois causes capitales pour faits politiques : celles de M. le prince Lambesc (contumace), qui s'était jeté dans les Tuileries, le sabre à la main, à la tête d'un détachement de cavalerie; le procès de Favras, et celui du baron de Besenval. Les trois causes s'instruisirent devant le Châtelet, tribunal peu favorable aux opinions nouvelles qui allaient causer sa suppression. Les lois étaient les mêmes que sous l'ancien régime, mais la procédure avait bien changé. On peut consulter, à cet égard, les procès-verbaux du temps, les Considérations sur la révolution, par madame de Staël, chap. 4, et les Mémoires de Bailly, sous la date du 8 septembre 1789. Le lecteur y verra que, sur la demande de M. de La Fayette à la commune de Paris, et d'après la démarche que la commune fit en conséquence auprès de l'Assemblée nationale, cette Assemblée rendit un décret provisoire qui accordait aux accusés la communication des pièces, la faculté de voir leurs amis et leurs conseils, la confrontation des témoins, et enfin les principaux avantages de la procédure publique, telle qu'elle a été depuis consacrée par des lois. M. Desèze, avocat du baron de Besenval, rendit alors en ces mots hommage à l'Assemblée qui avait établi cette législation bienfaisante.

<< Il faut l'avouer, dit-il dans l'éloquent Mémoire qu'il pu» blia pour son client, tel a été l'ascendant de la vérité et de >> l'innocence, que le rapport (fait au comité des recherches » par M. Garan-de-Coulon) n'a pas eu l'influence qu'il de>> vait naturellement avoir,

M. Desèze, avocat célèbre, fut chargé de ma défense. On me pressait de m'adresser à M. Target; mais je doutai, je ne sais pourquoi, qu'il osât braver l'inimitié qui s'attachait à mon nom.

» Les préventions populaires, au contraire, se sont apai» sées.

» Le baron de Besenval n'est plus accusé par l'opinion. » Tous les citoyens aujourd'hui s'honorent de prendre sa >> défense.

» Les libelles même semblent gémir de n'avoir plus de mal » à lui faire.

» Mais à quoi faut-il attribuer ce retour presque subit de » l'opinion à la vérité?

>> Ne nous le dissimulons pas, à la publicité de la procć» dure.

» Le public a entendu la déposition de tous les témoins. >> Toutes les pièces lui ont été lues.

>> Tous les interrogatoires du baron de Besenval ont été » subis devant lui.

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» Il connaît maintenant ce procès comme la justice.

>> Il est bien impossible qu'il croie le baron de Besenval coupable, lorsqu'il est témoin lui-même qu'il est inno

>> cent.

» Ah! rendons bien grâces à l'Assemblée nationale de ce >> beau présent qu'elle a fait à la législation française !

>>

Que de reconnaissance lui est due pour ce seul bienfait!

» Que d'innocens elle a sauvés d'avance par ce magnifique

» décret!

» Si la procédure du baron de Besenval eût été secrète, >> n'en doutons pas, ce malheureux accusé serait encore sous >> le joug des inculpations les plus atroces, malgré son inno

M. de Bruges, procureur au Châtelet, m'avait été désigné comme l'homme le plus exercé dans la conduite d'une affaire criminelle.

C'était assurément la chose du monde la plus simple que le fait, dépouillé de toute l'exagération dont on l'entoura.

« J'avais reçu l'ordre de m'opposer à la sédition, » et j'avais senti l'impossibilité de l'exécuter. » Voilà la question réduite, comme on dit, à ses véritables termes. Un bon esprit, en développant succinctement ce texte à l'Assemblée, le jour qu'elle s'occupa de moi, l'eût rendue juste, et moi libre; mais les criailleries des Brostaret, des Moreau de Saint

» cence même démontrée, et les magistrats auraient besoin » de courage pour être justes envers lui.

» Mais heureusement ce courage n'est plus nécessaire. >> La loi nouvelle a rendu le ministère des magistrats bien >> facile.

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» Elle le leur a rendu même bien glorieux.

» L'opinion vient de toutes parts à leur aide.

>> Ils n'ont presque qu'à proclamer le jugement qu'elle a déjà proclamé elle-même. »

Le Mémoire publié par M. Desèze, et dont ce passage est extrait, se lie essentiellement aux souvenirs de la vie et de la justification du baron de Besenval. Nos lecteurs nous sauront gré de leur conserver ce morceau d'un orateur auquel les fonctions de son ministère ont acquis depuis une si noble célébrité. Une cause bien autrement solennelle, bien autrement touchante, devait réclamer bientôt son courage et son éloquence. (Note des nouv. edit.)

T. II.

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Méry, des Rewbell, et d'autres gens de cette étoffe, fermèrent la bouche à des hommes probes et timides; ce qui sera toujours dans ces grandes réunions, et causera bien des maux, quand les intérêts agités auront plus d'importance.

Le comité des recherches de la commune se mit en quête de témoignages contre moi. Son acharnement ne se démentit pas ; et si je n'ai pas été pendu, je lui dois la justice de dire que les quatre ou cinq avocats qui le composaient s'en occupèrent avec émulation : c'étaient (si ma mémoire n'a ma mémoire n'a pas rejeté ces noms) les sieurs Oudart, Agier, Brissot, Garande-Coulon, etc., etc. Ils produisirent cent cinquante témoins, dont il fallut recueillir les dépositions avant que le tribunal pût siéger.

Enfin les débats commencèrent. Je parus, escorté de la noble clientelle de mes amis, qui se placèrent à mes côtés, et qui ne manquèrent pas une seule des séances.

On entendit les témoins. Tout ce qu'ils dirent d'insensé fit pitié. Projets de siége, de massacre, boulets rouges, etc., etc. Toutes ces pauvretés reparurent; et Bourdon lui-même, que j'avais obligé de convenir que ces contes étaient misérables, fut assez vil pour les répéter à l'audience.

Toutes ces comparutions m'importunaient, m'excédaient. Il ne faut qu'un courage ordinaire pour braver d'honorables périls; mais celui qui nous fait supporter de plates adversités, d'abjects ennemis,

de fangeux dénonciateurs, des Bourdon, celui-là sans doute, est plus difficile et plus rare.

C'est en sortant d'une audition de témoins appelés à ma décharge, que j'eus la première attaque d'un mal qui me tuera (1).

Le premier mars 1790, M. Desèze plaida ma cause avec beaucoup d'éloquence, et le même jour le tribunal me déchargea d'accusation. Je rentrai dans ma maison, où mes amis étaient rassemblés ; et comme tout est pour le mieux, je ressentis en ce moment une émotion qu'aucune autre circonstance de ma vie ne m'a fait éprouver.

(1) Voyez, dans la Notice, comment cette prédiction s'est vérifiée. (Note des nouv. édit.)

FIN DU SECOND VOLUME.

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