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Établissement des grands bailliages et d'une Cour plénière. Fermentation occasionée par ces édits. Portrait de la famille royale et du ministère. Détail de ce qui se passa dans les provinces. La cour prend le parti de la fermeté. Punitions en conséquence, et défense aux parlemens de s'assembler. Démission du baron de Breteuil, remplacé par M. de Villedeuil. Le Gouvernement près de faire banqueroute. Renvoi de l'archevêque de Sens. Rappel de M. Necker. Cours de la justice rétabli. Exiles rappelés. Démission de M. de Lamoignon. M. de Barentin garde-des-sceaux.

Ecrit en 1788.

Au mois de mars 1788, M. de Lamoignon me demanda avis sur un mémoire qu'il me lut, et qu'il avait projet de donner au roi. Ce mémoire renfermait les motifs et le développement du dessein qu'il avait de réformer les abus de la justice, ainsi que de réduire les parlemens aux simples fonctions pour lesquelles ils avaient été créés, en établissant une cour plénière, pour tout enregistrement quelconque. Pensant, comme je le fais, que la monarchie française ne peut subsister qu'autant qu'elle aura un maître, mais un maître qui le soit ; que tout autre régime la livrerait à une destruction inévitable; et

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le mémoire de M. de Lamoignon renfermant l'exécution des idées que j'avais voulu lui présenter dans la lettre que je lui avais écrite, lorsqu'il avait été fait garde-des-sceaux, je ne pus qu'approuver la base de son projet; car, pour les détails, je suis trop peu versé dans la connaissance des droits des parlemens, des points d'histoire qui les établissent, et des priviléges du monarque, pour avoir un avis sur la volonté du roi, ni sur la manière de l'énoncer, encore moins sur les obstacles qu'elle pourrait rencontrer, et les partis à prendre pour les surmonter.

Je me bornai à une seule question : ce fut de demander à M. de Lamoignon si on était sûr d'avoir de l'argent. Il me répondit que l'archevêque de Sens, indépendamment de l'emprunt progressif qu'il avait fait enregistrer, avait affirmé, en sa présence, que le Trésor royal ne manquerait pas, et que le service était assuré jusqu'au mois de janvier 1789. En ce cas, répliquai-je, vous pouvez » aller en avant avec de l'argent et de la fermeté, ne redoutez rien..

Le roi et l'archevêque adoptèrent en entier les idées de M. de Lamoignon, d'où s'ensuivit le litde-justice qui fut tenu à Versailles au mois de mai 1788, dans lequel les édits de création des grands bailliages et d'une cour plénière furent enregistrés d'autorité.

La crise où se trouve la France depuis l'assemblée des notables, est un fait trop curieux et trop

intéressant pour que les historiens ne rapportent pas chronologiquement et sans omissions la foule d'événemens qui s'y sont succédés si rapidement. Quant à moi, qui n'écris que pour me rendre compte à moi-même, sans m'astreindre à la chaîne des faits, j'écarte tous ceux qui me sont indifférens, et j'ai plus d'égards aux motifs qu'aux choses mêmes.

Pour bien comprendre la fermentation qui régnait dans tous les ordres de l'État, il est nécessaire d'en approfondir les causes. Les parlemens, suivant toujours le principe de leur politique, de profiter de toutes les occasions pour entrer dans l'administration du royaume, n'avaient garde de laisser échapper celle qui se présentait. D'ailleurs, s'étant toujours soustraits aux impôts, l'idée sage et juste qu'avait donnée M. de Calonne, de faire contribuer tout le monde, dans une juste proportion, aux charges de l'État, les effrayait; de plus, ils craignaient le caractère ferme de M. de Lamoignon, connaissant le désir manifesté par lui de les restreindre à leur institution, c'est-à-dire à rendre la justice. Ces différens motifs leur inspiraient la résistance la plus vigoureuse, qu'ils poussaient jusqu'à la folie soumis sous un roi fort, frondeurs sous un faible, voilà leur marche dans tous les temps. Le parlement de Paris, d'un ordre différent de ce qu'on appelle les gens du monde, était déchu dans l'opinion publique par sa conduite. La sottise qu'il avait faite de s'avouer insuffisant pour les enregis

tremens, et de demander les états-généraux, lui faisait perdre sa consistance: le public n'avait plus pour lui cette propension fanatique dont on a vu tant d'exemples; cependant il y tenait encore par un reste d'habitude, et parce que le parlement de Paris se montrait opposé à l'autorité du roi, sentiment favori du moment. Les autres parlemens étaient bien différens. Dans plusieurs provinces, composés presque entièrement de noblesse, ils faisaient pour ainsi dire une grande famille, à laquelle toutes les autres étaient liées, et de sentiment et d'intérêts; aussi fut-ce dans ces provinces que l'on vit les plus grandes explosions de révolte.

Le clergé, effarouché de M. de Calonne pendant l'assemblée des notables, réduit à faire connaître la masse énorme de bien dont il jouit, à payer en proportion, près d'être imposé également d'après un cadastre général, ne pouvant se refuser à ce qui était exigé de tous les ordres du royaume, se retranchait à défendre ses formes, c'est-à-dire à conserver le droit de s'assembler et de s'imposer luimême, moyen qui favorise le haut-clergé, en faisant porter disproportionnément les charges sur le second ordre qui n'a ni force ni possibilité de faire entendre ses réclamations. Ce clergé, espérant de se mieux maintenir dans le trouble, que si le calme se rétablissait, loin de tenir une conduite noble, et qui lui convenait, et de chercher à jouer le rôle de médiateur, pour ramener les esprits et les choses à

ce qui était le plus avantageux pour l'État, ne s'étudiait, par cupidité, qu'à fomenter les germes de la rébellion; et, dans cet esprit, il était merveilleusement secondé par quelques évêques remuans, indociles et vains.

La noblesse, choquée de n'être plus dominante à la cour, où, sous l'air de l'égalité, la confusion avait pris la place de l'étiquette et de la considération, portait dans le cœur un levain contre elle, et ce levain se manifestait dans toutes les occasions. Ignorante sur les lois, les formes, les annales, composant un tout sans force et décousu, elle n'était pour le moment ni à craindre ni à rechercher; mais elle formait un bourdonnement incommode; en ce qu'il augmentait le trouble actuel, et semblait devoir être dangereux dans la suite.

L'anglomanie qui possédait les jeunes gens et les femmes, les avait fait passer, des jokeis, aux considérations sur l'administration de l'État. Imbus de l'opinion générale de l'anéantissement de l'autorité, les femmes dans leurs boudoirs, et les jeunes gens dans le public, dans les salles du parlement, et jusque dans l'antichambre du roi, tenaient les propos les plus séditieux, et proclamaient quelques faux principes qu'ils avaient entendu débiter avec malignité, et qu'ils répétaient avec enthousiasme.

Le tiers-état, qui, selon toute apparence, ne tardera pas à jouer un rôle, et qui s'y prépare, restait encore dans son silence et sa nullité.

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