Imatges de pàgina
PDF
EPUB

sa confiance, mais avec lesquels il se brouilla successivement.

M. de Saint-Germain débuta à Fontainebleau, où j'ai dit qu'était la cour. Tout le monde s'empressa de le voir, de le connaître, comme il arrive toujours aux nouveaux venus, et surtout aux gens extraordinaires. Il ne disait pas un mot, ne faisait pas un geste qui ne fût remarqué, rapporté, commenté, admiré. Ce premier enthousiasme refroidi, on attendit avec autant d'impatience que de crainte les changemens qu'il avait annoncé devoir faire dans toutes les parties du militaire.

Les bases de son système portaient sur de bons principes. Il voulait une subordination graduelle, exacte, un service ponctuel et suivi. Connaissant combien l'esprit des grands seigneurs en France est contraire à ces principes, il chercha à les éloigner du militaire, et ses premières opérations devaient être la réforme de tous les corps de faste et à privilége, de ces charges honoraires, contraires à la discipline, à l'administration: vices opposés à tout principe, ruineux pour le roi, mortifians pour les autres troupes sur qui tombe le fardeau des guerres, et qui se voient enlever les récompenses par ces corps privilégiés, sans aucun mérite particulier. En un mot, M. de Saint-Germain, qui ne connaissait que l'esprit de l'étranger et les garnisons françaises, s'imagina changer celui des Français, et faire plier sous sa volonté des gens qu'un roi absolu

et tout-puissant aurait bien de la peine à réduire.

Il ne tarda pas à connaître qu'il s'était lourdement trompé. Les mousquetaires gris et noirs, les grenadiers à cheval, les gendarmes et les chevaulégers furent les premiers corps qu'il mit à la réforme. M. de La Chaise, capitaine des mousquetaires gris, homme peu en faveur, ne lui résista pas. M. de Montboisier, capitaine des mousquetaires noirs, homme de qualité, passa condamnation moyennant le cordon bleu qu'on lui promit, et qu'il eut par la suite. M. de Lujeac, capitaine. des grenadiers à cheval, par une figure charmante, était parvenu à une fortune beaucoup au-dessus de ce qu'il devait espérer; il n'avait pu la soutenir. Ayant perdu tous ses amis et ses protecteurs, il fut abattu sans coup férir.

M. le maréchal de Soubise, capitaine des gendarmes, se trouva embarrassé entre la volonté d'un jeune roi, dont on ne connaissait pas trop encore le caractère, et la perte d'une belle charge héréditaire dans sa maison. Il fit dans cette occasion, comme il a fait en tant d'autres : sans profiter de son rang, de sa naissance et de sa position, il prit un parti qui lui fut dicté par son esprit de courtisan; il ne conserva point la compagnie des gendarmes telle qu'elle était, mais il obtint qu'on laisserait subsis-ter cinquante gendarmes, espérant apparemment, dans des temps plus heureux, faire renaître sa compagnie de ce débris qu'il s'applaudit beaucoup

d'avoir sauvé. Tout naturellement les chevau-légers suivirent le sort des gendarmes: M. le duc d'Aiguillon, leur capitaine, quoique exilé, étant neveu de M. de Maurepas, serait bien parvenu à ce chefd'œuvre d'adresse et à ce coup de crédit.

Cette première atteinte portée au projet de M. de Saint-Germain fut le signal d'une effervescence générale. Les gens à charges, les chefs des corps privilégiés, mirent toutes intrigues et tous moyens en usage pour ne souffrir aucune diminution, ni être privés d'aucune prérogative; ils furent tous merveilleusement secondés par M. de Maurepas, qui, selon sa coutume ordinaire, approuvant tout système de réforme, était le premier à en empêcher l'exécution. Telle était sa facilité vis-à-vis de quiconque lui faisait des représentations et s'adressait à lui. Il promettait avec autant de légèreté qu'il mettait peu d'intérêt à faire obtenir.

Dès cet instant, on put regarder le projet de M. de Saint-Germain comme manqué; car indépendamment de ce que toutes les parties de son système avaient un rapport si immédiat, qu'une seule distraite interrompait la chaîne qui en faisait la solidité, obligé de reculer dès les premiers pas, il fut discrédité dès qu'on vit qu'on pouvait lui résister et se soustraire à sa volonté. Un homme nerveux aurait tena tête à M. de Maurepas, et mis le marché à la main au roi, qui aurait cédé, selon toute apparence, et par-là rendu M. de Saint-Ger

main tout-puissant; et il se serait vu à même de faire de grandes choses, ou, si on l'avait pris au mot, il serait retourné dans sa retraite comblé de gloire. Mais M. de Saint-Germain n'était qu'un vieux moine défroqué déplacé à la cour.

Obligé de respecter les vices militaires français, il appliqua à l'armée la partie de son système qui la regardait; il réforma les inspecteurs, bons partout, et dont on ne peut se passer en France; il partagea toutes les troupes en divisions composées d'infanterie et de cavalerie, commandées par un lieutenant-général, ayant sous lui deux et trois maréchaux-de-camp; il voulut réformer les états-majors des places, qu'il prétendait suppléer par les chefs des corps qui s'y trouveraient en garnison, en donnant toute autorité d'administration aux chefs et aux commandans de province; mais il trouva la partie civile en son chemin, et il fut encore obligé de reculer.

M. de Choiseul avait donné une excellente coupe aux troupes, bonne principalement en ce qu'ayant établi un nombre permanent d'officiers et de basofficiers, les réformes ainsi que les augmentations ne devaient plus porter que sur les soldats. M. de Saint-Germain doubla les compagnies, et réduisit les bas-officiers à un taux même au-dessous de ce qu'il en fallait en temps de paix. Pour trouver l'argent nécessaire à tous ces changemens, il supprima les hautes paies, en augmentant à la vérité la solde;

mais il arriva ce qui arrive toujours, c'est que ceux qui acquirent en furent peu touchés, et que ceux qui perdirent prirent de l'humeur et quittèrent dès qu'ils le purent; perte qui porta sur ce qu'il y avait de plus précieux dans l'armée, je veux dire les vieux soldats, et surtout les vieux cavaliers.

Il créa des colonels en second, tant dans l'infanterie que dans la cavalerie. Cet emploi vicieux en lui, qui place dans chaque corps deux hommes du même grade, lesquels doivent naturellement être en opposition, aurait pu s'excuser par l'intention d'ouvrir un débouché à la jeune noblesse, à laquelle il en faut, et qui en manque souvent, surtout en temps de paix. M. de Saint-Germain, au lieu de remplir ces places par des gens de cette trempe, y mit beaucoup de gens inconnus, faits la plupart pour rester dans le subalterne, ou des officiers qui se regardaient depuis long-temps comme hors du service, qu'il rappela sans raison, et qui ont fort embarrassé depuis.

S'étant trouvé arrêté par mille objets contentieux dont il n'avait seulement pas l'idée, il voulut prendre un homme de loi pour l'éclairer dans cette partie et prévenir les bévues qu'il faisait journellement. Il jeta, ou on lui fit jeter les yeux sur M. Senac de Meilhan, intendant de Guienne, auquel il donna le titre d'intendant de la guerre.

M. Senac de Meilhan, créature des Noailles, dont le père avait été premier médecin du feu roi, était

« AnteriorContinua »