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des maréchaux de France? Le roi lui répondit toujours qu'il le lui dirait : ce qui lui fit juger qu'il y avait quelque chose qu'il n'était pas prudent de vouloir approfondir.

Madame de Polignac, quoiqu'ayant l'air de désirer autant que MM. de Ségur et de Castries, que cette affaire finît, et leur montrant beaucoup d'intérêt en parlant avec eux, cependant ne s'ouvrait jamais que jusqu'à certain point.

D'après tout ce que je voyais, il m'était aisé de juger que, s'il n'y avait eu que M. de Ségur, les choses auraient bientôt atteint leur terme; mais que les taquineries de M. de Castries, pour me servir de l'expression de madame de Polignac, gâtaient souvent les bons effets qu'auraient produits la sagesse et la modération de M. de Ségur. Indépendamment de la différence des caractères, M. de Castries était entouré d'une grande quantité de femmes. La prudence dirige rarement leurs conseils, qui se ressentent presque toujours de l'esprit de domination qui prédomine en elles.

Dans une conversation que M. de Ségur eut avec madame de Polignac, il crut entrevoir qu'on balançait à faire maréchal de France M. de Castries, pour lequel on n'avait jamais été porté dans cette affaire, et qui ne se rapprochait nullement de lui par le ton qu'il avait pris. M. de Ségur fut véritablement blessé de cette idée. Il s'en expliqua vivement vis-à-vis de madame de Polignac, et finit par

T. II.

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déclarer qu'il refuserait le bâton si on n'en donnait pas un en même temps à M. de Castries.

Quoique les services de M. de Ségur fussent trèsanciens et très-distingués, qu'outre un coup de fusil au travers du corps et d'autres blessures, il eût perdu un bras, M. de Castries avait plus de titres que lui. Il était son ancien; il avait presque toujours commandé des corps séparés, ou en chef; il avait gagné une bataille, et reçu de même plu

sieurs blessures.

Ces considérations étaient suffisantes pour faire impression à un homme qui pensait comme M. de Ségur. Mais ce qui le révoltait, c'est que premièrement, M. de Castries était son ami; c'est qu'en outre, la promotion émanant de son département, il s'en élevait l'idée d'avoir travaillé pour lui seul, et d'avoir négligé les intérêts d'un homme auquel il était attaché depuis long-temps, et qui avait autant mérité.

Cependant ces messieurs attendaient toujours que le roi leur dît de venir au comité. Enfin il leur en indiqua le jour à chacun en particulier. M. de Castries, comme l'ancien, passa le premier. J'ai su que tout s'était passé très-simplement, sans objections, et même sans aucunes réflexions sur l'emploi des fonds dont il rendait compte.

M. de Ségur porta de même ses états, qui assurément n'étaient pas dans le cas d'être critiqués: car il venait de remettre au contrôleur-général trois

millions de ses épargnes sur les fonds qui lui avaient été donnés pour l'année. Il avait mis son porte-feuille sur une chaise, et, son dernier état lu, il attendait les observations qui lui seraient faites: personne n'ouvrit la bouche. Comme il attendait toujours, le roi se leva, et prenant le porte-feuille, il le lui donna, ce qui lui fit aisément comprendre qu'il fallait s'en aller. Il n'avait pas refermé la porte, que le roi, qui n'avait pas proféré une seule parole, s'étendit sur ses éloges, et rendit à son économie, à son équité, à ses connaissances, la justice qui leur était due. On a su ce détail par tous les membres du comité, ce qui me ramène à mon dire ordinaire: En vérité, les rois sont d'étonnantes gens !

Il était facile de comprendre que le roi n'avait pas voulu des maréchaux de France avant que ces deux ministres n'eussent paru au comité. On pensait que, cette démarche faite, la promotion allait paraître; cependant, non-seulement elle ne se déclara point, mais même elle tarda tant, qu'enfin on n'en parla pas plus que s'il ne devait jamais en être question.

Enfin M. de Ségur prit le parti d'attaquer de nouveau le roi sur cet objet. Le roi lui répondit qu'il pouvait être tranquille, qu'il était maréchal de France. Et M. de Castries? reprit M. de Ségur avec vivacité. — Il l'est aussi, répliqua le roi: en tout je me suis déterminé aux dix dont nous sommes

convenus. C'étaient MM. de Mailly-d'Aucour, d'Aubeterre, de Beauvau, de Castries, duc de Croi, duc de Laval, de Vaux, de Ségur, de Stainville et de Lévis. Mais, ajouta le roi, n'en dites rien : j'ai des raisons pour qu'on ne le sache pas dans ce moment-ci. Je vous avertirai quand il sera temps de le déclarer.

Naturellement on aurait pu croire que ce secret n'aurait pas duré plus de huit ou dix jours au plus: mais il s'écoula près de deux mois sans que le roi, qui travaillait continuellement avec M. de Ségur, et le traitait parfaitement bien, lui prononçât seulement le mot de maréchal de France, et sans que ce ministre, impatienté autant qu'on peut l'être, mais voulant voir jusqu'où les choses iraient, lui fît la moindre question. Enfin, le 13 de juin, le roi lui dit qu'il pouvait publier la promotion.

Quoique le caractère de ce prince le porte à l'indécision, à différer, autant qu'il peut, à avoir une opinion et à terminer en conséquence, néan moins, dans cette occasion, je crois que la crainte qu'on ne dît qu'il n'avait fait ses ministres maré, chaux de France que pour leur céder, les conserver et les récompenser d'avoir obéi, fut la principale cause du long espace de temps qu'il mit entre cette marque de leur soumission et leur pro

motion.

M. de Vergennes, qui de fait n'avait pas eu le dessus dans toute cette affaire, voulut avec esprit

sauver les apparences; il ne fit aucune démarche vis-à-vis de M. de Castries, avec lequel il était fort mal; mais après le compliment qu'il vint faire à M. de Ségur, il ajouta qu'il le priait de lui rendre la justice de croire qu'il n'avait été pour rien dans la situation embarrassante où il s'était trouvé; il s'étendit fort en protestations.

M. de Ségur le reçut avec honnêteté; mais, avec sa franchise ordinaire, il lui répondit qu'il désirait trop n'avoir pas à se plaindre de ses procédés, pour ne pas accepter l'assurance qu'il lui en donnait, mais qu'il s'était mis dans le cas d'être jugé différemment, en forçant ses confrères à le reconnaître pour juge dans leur département. Il n'y avait pas grande réponse à un tel argument: aussi M. de Vergennes s'en tint-il à redoubler de politesse.

M. d'Ormesson, depuis le peu de temps qu'il était en place, avait mis les affaires de finance au point que, pour sauver la caisse d'escompte d'une banqueroute totale, le roi venait de donner un édit par lequel il défendait à cette caisse de rembourser aucun billet au-dessus de 300 livres, avant le mois de janvier ordonnant en même temps que tous ses billets auraient cours dans le commerce, et seraient reçus comme comptant par tous les marchands et dans toutes les caisses. On savait d'ailleurs qu'il n'y avait que 360,000 liv. en argent au Trésor royal, et pas un écu dans aucune caisse. Le mal venait principalement du manque de numéraire,

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