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« J'allai avec lui jusqu'à la montagne. Arrivés là, ils prirent la croix et la posèrent à terre, puis ils creusèrent de grands trous, tandis que d'autres valets du bourreau dépouillaient le Christ. Quand il fut ainsi nu, quelques-uns détournèrent les yeux pour ne pas être témoins d'un spectacle si misérable; d'autres riaient et en plaisantaient. Marie, ôtant son voile de sa tête, l'envoya à Jésus pour couvrir sa nudité.

« Il fut ensuite crucifié, et la croix fut placée à l'endroit même où Adam avait été enseveli, et où se trouvaient les trois arbres dont j'ai parlé. Après avoir dit quelques paroles, le Christ expira; alors le ciel s'obscurcit, et il survint une terrible tempête; les morts sortirent de leurs tombeaux, les rochers s'ébranlèrent, et la terre se fendit au pied de la croix. Longin s'en vint avec une lance, et perça le côté de Jésus, qui était mort. Le sang qui en sortit coula dans la déchirure du sol au pied de la croix, où il arrosa la tête d'Adam et d'Ève, ensevelis là tous deux et réduits en poussière. »

C'est certainement une des idées les plus ingénieuses et les plus attrayantes du moyen âge, que celle qui fait mourir le Christ sur un bois né de la semence de l'arbre funeste à tout le genre humain, et sorti de la poussière même de nos premiers parents; qui fait ensuite planter la croix sur leur tombe, et couler le sang divin sur leurs cendres comme pour les ranimer.

Ashavérus, après avoir repris haleine, tandis que chacun parmi ses auditeurs exprimait le sentiment qui l'agitait, continue en ces

termes :

« A peine le Christ fut-il mort, que je jetai mes regards sur Jérusalem, pour la voir encore une fois, me sentant comme poussé à la quitter. Je commençai ainsi mon voyage ne sachant pas où j'allais. Je passai de hautes montagnes; maintenant, en quelque endroit que j'aille, je ne puis m'arrêter. Dans ce moment même, messieurs, disait-il en faisant de profonds saluts, il me semble être sur des charbons ardents: bien que je sois assis, mes jambes se meuvent, et j'éprouve une grande impatience de marcher. »>

Il courut donc de l'orient à l'occident, du midi au nord. « Après avoir cheminé par le monde entier, je retournai en Judée, mais je n'y retrouvai plus ni parents ni amis, car il y avait cent ans que je marchais continuellement; aussi une vie si longue m'était-elle bien à charge. Je quittai donc de nouveau Jérusalem, où je n'étais plus connu de personne, avec l'intention d'essayer de tous les pé

rils pour perdre l'existence, me sentant fatigué de vivre aussi longtemps; mais, quoi que je fisse, la parole de Dieu devait s'accomplir. Je combattis dans maintes batailles, je reçus plus de deux mille coups, sans qu'un seul me blessât, car mon corps est dur comme le roc, et aucune arme ne saurait l'entamer. J'ai été sur mer, et j'ai fait souvent naufrage; mais je reste flottant sur l'eau comme une plume. Je n'éprouve jamais le besoin de manger et de boire ; je n'ai point de maladies, ni ne puis mourir. J'ai déjà parcouru le monde quatre fois, partout j'ai aperçu de grands changements, des contrées ravagées, des villes renversées, ce qu'il serait trop long de vous raconter. »

Son histoire finie, le Juif errant se leva pour s'en aller. Alors l'évêque le pria de rester encore quelque peu, et lui offrit de l'argent pour faire son voyage; mais il répondit : « Je n'en ai pas besoin; je puis rester des années sans boire ni manger, bien que je sois fait comme tout autre. Quant à des habits, à des souliers et à des chausses, je n'en manque pas; les miens ne s'usent jamais. »>

Et, faisant un profond salut à la compagnie, il se mit en route pour son cinquième voyage. »

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Telle est la légende populaire connue des savants comme du vulgaire. Celui-ci montre en cent endroits les traces du Juif errant, raconte ses malédictions, ses prophéties. Les autres voient le fond magnifique épopée dans cet être devant lequel tout passe qu'il passe lui-même, solitaire et impassible témoin de tant

d'une

sans

de vicissitudes et de tant de souffrances.

Les

tièremat nouveau. On avait composé antérieurement des biograoffraient encore à la littérature un champ fécond, et un genre en

vies de tant de martyrs, de tant d'admirables anachorètes

mais c'étaient celles de personnages appartenant à l'histandis que l'humble vertu trouva alors son panégyrique et

phies,

toire;

sa révélation, et les fastes de l'humanité consistèrent dans le ré

cit de

événements racontés pour servir d'exemple. Il ne chercher des distractions agréables ni des spéculations hiques, mais une narration empreinte de naïveté, dans si l'histoire véritable se trouve parfois altérée, l'histoire

petits

faut pas philosop laquelle

morale

révèle

par des traits pleins de charme et de vérité. Le

romain se confiant dans son éternité, au moment où il le bord de l'abîme, continuait de se livrer à ses amuse

se

monde était sur ments

et

à

ses affaires. Les poëtes continuaient à célébrer leurs

dieux, sans s'apercevoir qu'ils n'existaient plus; les philosophes en étaient à discuter sur le crépuscule, quand le jour brillait déjà de toute sa splendeur. Pendant ce temps, le peuple, auquel ils ne daignaient pas prêter attention, faisait de l'histoire à sa manière, tantôt répétant les prédications de l'apôtre, tantôt les tourments des martyrs, ou les abstinences du solitaire au désert, avec ces ornements de détail qui sont le caractère des récits populaires. De là les nombreuses légendes qui exercèrent la piété des siècles croyants et la critique des siècles penseurs; mais dans lesquelles personne ne pourra méconnaître une admirable simplicité, une croyance trompée quelquefois, jamais trompeuse. Ceux qui par la suite en composèrent par exercice d'école ne réussirent pas à les imiter.

Cette piété peu éclairée, qui mêlait le faux au vrai, le fit avec quelque malice, quand par l'extension des hérésies chaque secte voulut avoir son évangile en propre, et y introduire à l'appui de ses erreurs des faits et des paroles. L'Église dut alors en venir à séparer les écrits apocryphes de ceux émanés véritablement des apôtres.

Le Nouveau Testament fut traduit de bonne heure en différentes Exegètes. langues, car les deux idiomes littéraires ne suffisaient pas à un livre destiné à se répandre parmi les peuples; et déjà, dès le second siècle, il est fait mention des versions syriaque, cophte, éthiopienne, sans parler de la version italique. C'était sur elles que les commentateurs déployaient leur subtilité et leur zèle; par le motif surtout que, dans le principe, ils supposèrent deux sens à l'Écriture, l'un littéral, l'autre occulte; puis vint saint Irénée, qui enseigna que l'interprétation des livres saints devait toujours se conformer à la tradition.

Outre l'exégèse, la littérature ecclésiastique embrassait l'apologie, la controverse, l'exposition dogmatique, la morale, l'éloquence et l'histoire sacrée. Nous avons déjà vu ce qu'il y avait de vigueur chez les apologistes et les controversistes; cette énergie in. accoutumée dut donner à comprendre qu'il était né quelque chose de nouveau au milieu des générations abâtardies. La lumière supérieure émanée de l'Évangile unit, sous un seul point de vue et dans une seule sphère d'action, l'intelligence artistique et la subtilité philosophique à la connaissance pratique des faits humains, qui était l'apanage de Rome, et au sentiment prophétique si pro

fond des Hébreux ; il en résulta que l'esprit littéraire et l'éclat de l'éloquence vinrent en aide à la parole fondamentale, en appuyant son autorité, en faisant comprendre clairement sa concision.

On s'appliqua plus d'abord à réfuter l'erreur qu'à développer systématiquement la vérité; c'est pourquoi nous n'avons aucune exposition de la foi antérieure à celle de Grégoire le thaumaturge. La catéchèse de Cyrille, évêque de Jérusalem, surpassa celles qui l'avaient précédée.

En ce qui concerne la morale, les chrétiens songèrent aussi plutôt à la pratiquer et à la répandre qu'à en établir l'édifice doctrinal. Tertullien fut le premier à déterminer des règles pour mettre les mœurs en rapport avec le christianisme, en apportant toutefois dans son système une rigueur excessive; ce en quoi il fut imité par Origène et par d'autres Pères grecs adonnés au mysticisme oriental. Tous distinguèrent néanmoins les préceptes des conseils, les premiers obligatoires pour tous les hommes, les autres adressés à ceux qui aspirent à la perfection.

Non contents de s'adresser aux personnes instruites, les docteurs chrétiens catéchisaient le grand nombre dans les prédications que faisait chaque prophète dans les assemblées; c'était là une institution inconnue aux païens, et l'une des plus belles prérogatives du ministère ecclésiastique.

Quand la paix eut été accordée à l'Église, on songea à écrire son histoire, et les matériaux recueillis alors servirent à composer les récits que nous verrons paraître dans le siècle suivant.

CHAPITRE XXXIII.

BEAUX-ARTS.

L'histoire ne vient pas à l'appui des systèmes de ceux qui donnent aux beaux-arts leur plus grande splendeur aux époques de grande liberté politique. Rome républicaine les cultiva si peu heureusement, que son orgueil ne se révoltait nullement à confesser la supériorité des Grecs. Le luxe des empereurs et des particuliers multiplia pour les artistes les occasions de se distinguer sans qu'il en résultât aucune véritable illustration.

Le Panthéon d'Agrippa est resté le monument le plus remar

en

quable de l'architecture romaine. Déjà cependant, du vivant d'Auguste, elle s'altérait par des emprunts étrangers, et le temple élevé à cet empereur en Carie, avec ses colonnes romaines, ornées de feuillage à la base, dans une façade ionique, est un témoignage bizarre. Plus ensuite le goût alla se corrompant, plus les colonnes s'allongèrent, jusqu'au double de la mesure prescrite; des ornements extravagants s'introduisirent, on prodigua les couleurs éclatantes dont Ludius chargeait les murailles des maisons en représentant des paysages, des vendanges, des scènes champêtres, et en joignant des moulures architectoniques d'un goût capricieux. Il nous en reste des exemples dans les bains de Titus, et dans plusieurs peintures de Pompéi. Le goût des empereurs dut être préjudiciable aux arts. Tibère n'aimait que les obscénités; Caligula abattait la tête des dieux pour y substituer la sienne, et il fit enlever sur deux tableaux la figure de Jupiter pour y adapter celle d'Auguste. Néron couvrait de dorure les ouvrages de Lysippe, ainsi que ses palais; on conserve pourtant une tête de lui et une de Poppée, qui sont admirables de pensée et de travail.

Sous Tibère, les quatorze villes d'Asie, renversées par un tremblement de terre et réédifiées, purent fournir aux artistes des occasions de s'exercer. Lorsqu'il s'agit d'orner le Palais d'or de Néron, on y apporta cinq cents statues de bronze du seul temple de Delphes (1), au nombre desquelles étaient peut-être l'Apollon du Belvédère et le gladiateur de Borghèse. Céler et Sévère furent les architectes de cet édifice, pour la continuation duquel Othon, durant son règne bien court, décréta quatre-vingt-dix millions de sesterces puis Vespasien rendit au peuple les nombreux terrains envahis par ses dépendances. Cet empereur tira beaucoup de statues de la Grèce et beaucoup d'ornements de Jérusalem pour son temple de la Paix. Le Colysée, construit peut-être par les Juifs que Titus emmena en esclavage, forme une ellipse de deux cent trenteneuf mètres de tour à l'intérieur; le mur d'enceinte est appuyé sur quatre-vingts arcades s'élevant, par quatre rangs d'architecture superposés, jusqu'à une hauteur de cinquante et un mètres. Entièrement revêtu de marbre à l'extérieur et orné de statues, cent neuf mille spectateurs y trouvaient place sur quatre-vingts rangées de siéges aussi en marbre; soixante-quatre vomitoires donnaient accès à la multitude; les corridors et les escaliers étaient dispo

(1) PAUSANIAS, X.

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