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On lui dut cependant des constructions remarquables. Il fit faire le port qui est en face d'Ostie, avec un phare semblable à celui d'Alexandrie, et terminer l'aqueduc commencé par Caligula, qui s'élevait à travers mille obstacles jusqu'au niveau des collines, et répandait dans Rome des eaux abondantes. Cet ouvrage, l'un des plus utiles et des plus merveilleux qui aient été exécutés par les empereurs, coûta cinquante-cinq millions de sesterces (10,813,376 f.), et quatre cent soixante personnes furent employées à sa conservation. Il établit des colonies dans la Cappadoce, dans la Phénicie et sur l'Euphrate; reçut des ambassadeurs de la Taprobane. Il ouvrit en Afrique une voie plus large entre la province et la Mauritanie, et en fit construire une pour communiquer avec l'Angleterre. On commença alors à porter du continent dans cette île des vins, des huiles, de l'ivoire, des parfums, des marbres, des objets manufacturés; et l'on en tira des bois, des perles, des pierres fines, du blé, des fourrures, des boeufs, des métaux, surtout de l'étain. Lorsque trente mille ouvriers eurent travaillé onze ans à faire écouler le lac Fucin dans le Liris, Claude voulut inaugurer cette opération par un combat naval de dix-neuf mille condamnés. Ces malheureux en passant devant lui s'écrient, suivant l'usage: Ceux qui vont mourir te saluent; et l'empereur leur répond poliment : Portez-vous bien. Persuadés, en entendant ces mots, que le prince leur fait grâce, ils refusent de se battre; mais lui crie, gesticule, s'agite, menace, et fait si bien qu'il les décide à s'entre-tuer.

Cependant Messaline, s'abandonnant, sans se rassasier jamais, à la prostitution la plus effrontée (1), se livrait dans les mauvais lieux à d'ignobles excès. Il lui arrive même de faire ordonner à ses amants, par décret de l'empereur, d'avoir à lui complaire. Elle va chercher en grand cortège les embrassements d'un certain Silius ; et l'infâme caprice d'épouser un second mari souriant à son imagination débordée, elle célèbre avec ce jeune homme des noces solennelles : dot, témoins, auspices, sacrifices, rien n'y manque, et le lit nuptial est préparé à la vue du public. Claude lui-même a signé le contrat de mariage, dans la pensée que c'est un talisman destiné à détourner certains sortiléges des Chaldéens. Mais quand ses affran chis et des courtisanes l'instruisent de la vérité, il reste abattu, et

(1) Ostenditque tuum, generose Britannice, ventrem,
Et defessa viris, nondum satiata, recessit.

JUVEN.

demande s'il est encore empereur ou si le jeune Silius lui a succédé. Il se met ensuite en courroux, et se laisse persuader, afin de conjurer le péril, qu'on lui représente comme imminent, de céder pour un jour le commandement à Narcisse. Celui-ci le conduit à Rome, où les soldats demandent vengeance, non qu'ils se soucient de l'honneur de l'empereur, mais pour y trouver leur profit. Alors les supplices se multiplient, et Messaline elle-même est mise à mort.

Claude, lorsqu'il apprit qu'elle n'était plus, ne s'informa pas même comment elle avait cessé de vivre; et quelques jours après, au moment de se mettre à table, il demandait : Pourquoi Messaline ne vient-elle pas?

Il résolut alors d'épouser sa nièce Agrippine; et comme, aux yeux de la loi, une pareille union était incestueuse, non-seulement le peuple et le sénat déclarèrent qu'elle était permise à l'empereur, mais ils la lui imposèrent. Agrippine, sœur et maîtresse de Caligula, fille de Germanicus, et par ce motif chérie du peuple, joignait aux mœurs impudiques et à la cruauté de Messaline une volonté forte : aussi la vit-on bientôt se montrer en impératrice. Elle siégeait à côté de César dans les cérémonies publiques, recevait avec lui les rois et les ambassadeurs, rendait la justice. Les enchantements, les oracles, les sortiléges, la jalousie, furent pour elle de nouveaux motifs de supplices.

Son but principal était de faire substituer son propre fils Lucius Domitius Néron à Britannicus, fils de Claude; elle commença done par exiler les amis et les partisans de ce jeune prince, et lui donna des espions pour maîtres et pour compagnons; puis elle mit tout en œuvre pour le rabaisser, en faisant briller Néron à ses dépens. Elle profita enfin d'un moment de faiblesse pour amener Claude à nommer ce dernier son successeur. Craignant ensuite qu'il ne vînt à changer d'avis, elle lui servit des champignons empoisonnés, et le médecin fit le reste. Elle l'envoya ainsi parmi les dieux, au nombre octobre. desquels Rome l'adora.

Il avait réuni au royaume du juif Agrippa la Judée et la Samarie, et remis Mithridate sur le trône d'Ibérie. Il accorda à un autre Mithridate, descendant du roi de Pont, le Bosphore Cimmérien, et rendit à Antiochus la Comagène. La Mauritanie fut soumise sous son règne, et divisée en deux provinces, la Césarienne et la Tingitane; la Bretagne, ou plutôt une petite partie de ce pays, fut désarmée et réduite en province.

54.

CHAPITRE IV.

NÉRON.

Agrippine tint la mort de Claude cachée jusqu'à l'instant désigné comme propice par les Chaldéens. Alors Néron sortit du palais, et se présenta aux cohortes. Quelques-uns s'informèrent de Britannicus; mais, ce jeune prince étant retenu par sa marâtre dans les appartements de son père, les prétoriens saluèrent Néron empereur, le sénat lui confirma ce titre, les provinces se soumirent. Sa mère s'était flattée de pouvoir régner despotiquement sous le nom d'un jeune homme de dix-sept ans; c'était elle qui répondait aux ambassadeurs, écrivait aux rois et aux provinces. Elle assistait derrière un rideau aux délibérations du sénat. Narcisse, resté fidèle à Claude et à Britannicus, fut tué par ses ordres, ainsi que Junius Silanus, proconsul d'Asie, dont quelqu'un avait dit qu'il était plus digne de régner que Néron. Elle eût fait tomber d'autres têtes encore, si elle n'eût été arrêtée par Afranius Burrhus, préfet du prétoire, et par Annéus Sénèque, maîtres de Néron, le premier pour l'art militaire, le second pour l'éloquence et la morale. Personne ne réussit plus mal que Sénèque dans l'éducation d'un prince, puisque son élève n'apprit de lui que quelques phrases, et l'art de déguiser ses vices. Il fut le premier empereur qui employa pour ses discours une plume étrangère; et celui que Sénèque lui composa à la louange de Claude excita le rire quand il vanta l'habileté et la prudence du César défunt.

A chaque avénement l'appareil de légalité qui s'était conservé tenait le prince en crainte qu'il ne prît fantaisie au peuple, au sénat, aux tribuns d'exercer leurs droits et de lui ravir un pouvoir toujours nouveau, parce qu'il n'était pas héréditaire. Les empereurs dissimulaient donc jusqu'à ce qu'ils se fussent convaincus que tout se réduisait à une vaine apparence, ou assurés de l'appui d'un certain nombre de partisans, ou aperçus qu'ils pouvaient tout oser au milieu de tant d'égoïsme. Néron commença aussi son règne avec douceur, en déclarant qu'il voulait suivre les traces du divin Auguste. Il fit des largesses au peuple et aux sénateurs peu fortunés.

Il abolit ou allégea différents impôts; il laissa son ancienne juridiction au sénat, qui ordonna que les causes seraient plaidées gratuitement, et il dispensa les questeurs désignés de donner des jeux de gladiateurs. Touché des réclamations incessantes contre les fermiers des douanes, il se proposa de les abolir; et, bien qu'on l'arrêtât dans l'exécution de cette pensée généreuse, il apporta d'utiles réformes dans cette partie de l'administration publique; il répondait d'ailleurs avec promptitude aux demandes qu'on lui adressait. Il substitua dans les plaidoiries l'interrogatoire aux discours continus, fixa le salaire des avocats, empêcha la falsification des pièces et des testaments. Quand le sénat lui décréta des statues d'or et d'argent, il dit: Qu'ils attendent donc que je les aie méritées. Au moment de signer un arrêt de mort, il s'écria: Je voudrais ne pas savoir écrire; et les discours que lui rédigeait Sénèque respiraient la clémence. Mais celui-ci et Burrhus, désireux de con、 server le pouvoir et de profiter des libéralités de leur élève, lâchaient la bride à ses passions, contents qu'il conservât au sénat la liberté de discuter les questions importantes, et de réprimer les excès des magistrats et des soldats. Il commença donc à courir la nuit, travesti en esclave, dans les tavernes et les mauvais lieux, volant dans les boutiques et attaquant les passants. Son exemple ne tarda pas à trouver des imitateurs, si bien qu'à la nuit close Rome ressemblait à une ville prise d'assaut. Il provoquait de paroles les histrions et ceux qui combattaient dans les jeux; puis, au moment où ils se querellaient et où le peuple faisait foule autour d'eux, il lançait des pierres. Ses banquets offraient une prodigalité inouïe : un de ses hôtes dépensa quatre millions de sesterces (735, 239 f.) rien que pour les couronnes; un autre bien plus encore pour les parfums. Les matrones se plaçaient sur son passage; et, dans les tentes dressées pour lui à Baies, à Ostie, au pont Milvius, elles se disputaient l'honneur de se prostituer au jeune César.

Agrippine aimait tant Néron, que les astrologues lui ayant prédit qu'il régnerait, mais qu'il en coûterait cher à sa mère, elle répondit: Qu'il me tue, pourvu qu'il règne. En effet, elle tarda peu à perdre son ascendant sur son fils, grâce à Sénèque surtout, qu'elle avait mécontenté en disant que la philosophie n'était pas le fait des rois. En se voyant privée de son influence, cette femme ambitieuse, irritée de ce que son fils avait congédié Pallas, le maître de Claude, et son amant à elle, laisse éclater sa colère, et menace de favoriser

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les droits de Britannicus. Alors Néron fait empoisonner ce jeune homme, son rival. Agrippine elle-même est bientôt chassée du palais, et chargée d'accusations, dont on ne manque jamais contre qui tombe dans la disgrâce du prince. Certaine désormais de perdre non-seulement sa puissance, mais jusqu'à sa propre sûreté, elle a recours, pour recouvrer l'une et l'autre, à l'expédient le plus infâme. Elle se présente à son fils au milieu d'une orgie, sous l'aspect le plus séduisant, avec les manières les plus lascives; déjà l'inceste allait être commis, quand Sénèque introduisit Actée, affranchie de Néron, opposant une femme impudique à la plus monstrueuse impudicité.

Cette tentative manquée lui porta le dernier coup. Repoussée par son fils, elle se retira dévorée de rage, tandis que Néron rêvait aux moyens de se débarrasser d'elle. Après avoir tenté vainement par trois fois de l'empoisonner, il l'invita aux jeux de Baies, et la fit monter sur un vaisseau disposé pour s'ouvrir à un instant donné; mais elle s'échappa à la nage. Il l'accusa donc de trahison pour en finir, et l'envoya tuer par des sicaires, auxquels elle dit : Frappez ce ventre, qui a porté Néron. Le parricide voulut voir le cadavre nu de sa mère, dont il loua les charmes ou critiqua les imperfections; puis il se fit apporter à boire, en disant que désormais il se sentait réellement le maître de l'empire. Le remords vint pourtant; mais Burrhus et Sénèque s'employèrent à l'apaiser. Celui-ci écrivit au sénat une lettre de justification; celui-là envoya tribuns et centurions presser la main parricide, et féliciter l'empereur de le voir échappé, par la bonté des dieux, à un aussi grand péril. Le sénat décréta des actions de grâces publiques et des commémorations annuelles. Lorsqu'ensuite Néron retourna à Rome, dont il s'était tenu éloigné par crainte de l'indignation publique, chevaliers, tribuns, sénateurs allèrent en foule à sa rencontre, lui faisant accueil comme pour un triomphe. Néron avait certes le droit de prendre en mépris cette lâche multitude, et de la traiter sans ménagement.

Élevé, dès son enfance, à jouer des instruments, à chanter, à dessiner, à faire des vers, il n'était pas moins jaloux de la gloire d'exceller dans les arts que de celle de commander au monde. Des jeunes gens exercés dans la versification donnaient la dernière main à ses vers et à ses improvisations; puis des chanteurs ambulants allaient les répétant par les rues; et le passant qui refusait son at

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