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CHAPITRE XXXII.

LITTÉRATURE ECCLÉSIASTIQUE.

Le christianisme n'avait pas donné naissance seulement à une philosophie nouvelle, mais encore à une littérature toute différente de l'ancienne; elle eut pour source les quatre Évangiles, les Épîtres canoniques et l'Apocalypse, formant les vingt-sept livres du Nouveau Testament, qui, avec les quarante-cinq de l'Ancien, complètent le nombre mystique de soixante-douze. Une partie de ces livres se réfère plus spécialement à la révélation de l'éternelle parole de vie; d'autres ont pour objet d'établir la divine communion des fidèles, en nous montrant la formation de l'Église, la première organisation qui lui fut donnée par les apôtres, et ses futures destinées. Ce qui dans l'Ancien Testament était figure, vision et prophétie, se trouve dans le Nouveau expliqué et accompli, la sublimité du premier se change dans le second en tendresse affectueuse, et le lion de Juda se montre dans les Évangiles un agneau plein de douceur, qui bientôt dans les Épîtres s'élance sur les ailes de l'aigle (1). Le Nouveau Testament se distingue de toute autre composition Évangiles. par une simplicité d'expression vulgaire et naïve, sous laquelle se cache une sublimité de pensée inexprimable. Afin d'en mettre le sens profond à la portée de l'intelligence commune, l'allégorie se change en parabole; explication sensible du précepte divin, qui, bien éloignée de la recherche de l'allégorie poétique et du symbole mystérieux, expose les vérités pratiques avec des formes simples et sous l'aspect d'événements ordinaires, et qui devint, comme art, le modèle des nombreuses légendes, production exclusive de la littérature moderne.

Le premier évangile fut écrit par saint Matthieu, né dans la Palestine. Son récit est le plus populaire; il est abondant en faits, en préceptes moraux et en vérités locales: c'est celui d'un homme qui écrivait au su de tous, et qui connaissait les choses on pour les avoir vues, ou pour les avoir ouïes de la bouche de témoins très-récents. Luc, médecin, et Marc, disciple de Pierre (2), écrivirent en grec

(1) Schlegel, Hist. de la littérature, leçon VI.

(2) Venise prétendait posséder dans l'église de Saint-Marc le texte latin de saint Marc écrit de sa main, et ayant fait partie d'un recueil des quatre évangi

l'histoire divine, telle qu'ils l'avaient entendu raconter par saint Paul ou lue dans saint Matthieu; le premier est un narrateur régulier et analytique, l'autre est précis et sommaire. Jean, Juif de nation, avait pris part aux événements de la rédemption; philosophe, théologien, martyr et poëte, il était déjà vieux quand il rédigea son évangile, à la prière des évêques d'Asie et d'un grand nombre d'églises (1), dans l'intention surtout de combattre ceux qui niaient la divinité de Jésus-Christ, notamment Ébion et Cérinthe (2). Plus que tous il pénétra dans la pensée du divin Maître ; son style est pathétique et doux, de même que celui de Luc l'emporte sur lui en pureté et en dignité, versé qu'il était dans les lettres et dans la société des hommes instruits.

Saint Épiphane explique le caractère différent des quatre évangélistes, en disant que Dieu attribua à chacun d'eux quelque chose de particulier, de manière pourtant qu'ils pussent se trouver d'accord entre eux sur certains points, afin qu'il ne restât aucun doute sur la source divine à laquelle ils puisèrent également; chacun en même temps rapportant quelque chose que les autres avaient né

les, conservé dans Aquilée. Quand l'empereur Charles IV passa, en 1354, dans cette dernière ville, il obtint du patriarche les deux derniers cahiers de cette relique, comprenant du vingtième verset du chap. XII jusqu'à la fin; il en fit don à l'église métropolitaine de Prague, en ordonnant qu'ils fussent reliés en or avec des ornements en perles, dépense pour laquelle il assigna 2000 ducats; il voulut en outre que l'archevêque et le clergé vinssent au-devant du saint manuscrit, et qu'il fût porté chaque année au jour de Pâques en procession solennelle. Les cinq autres cahiers furent ensuite apportés à Venise, par l'ordre du doge Thomas Mocenigo, en 1420. Mais l'humidité endommagea tellement le manuscrit qu'il n'était plus lisible, de sorte que l'on disputa sur le point de savoir s'il était en latin, sur parchemin ou sur papyrus. Les doutes furent résolus par Lorenzo della Torre, dans le tome II de l'Evangeliarium quadru plex de Bianchini (Rome, 1749), pag. DXLVIII et suivantes. Ce qui démontre encore que ce fragment appartenait au manuscrit d'Aquilée, c'est qu'on lit, à l'endroit où finit l'évangile de saint Matthieu : Explicit evangelium secundum Mattheum, incipit secundum Marcum, et qu'il n'y a pas de suite. En 1778, Joseph Dobrowski fit imprimer à Prague, sous le titre de Fragmentum Pragense evangelii sancti Marci, vulgo autographi, les seize feuillets donnés par Charles IV; et il en résulta que ce n'était pas même l'ancienne version italique, mais celle qui avait été corrigée par saint Jérôme.

(1) IRÉNÉE, III, 1; EUSÈBE, III, 24.

(2) EPIPHAN., Hær., II, 12; XXX, 3. L'initium de son évangile est une réfutation des doctrines gnostiques, où les diverses opérations spirituelles sont expliquées, par les paroles qu'il répète de ἀρχὴ, λόγος, μονογένης, ζώη, φῶς, principium, verbum, unigenitus, vita, lux, etc.

gligée. Saint Matthieu s'applique à donner des détails sur la naissance et sur la généalogie du Sauveur, détails sur lesquels s'appuya Cérinthe pour croire que Jésus-Christ était simplement un homme. Alors l'Esprit-Saint commanda à saint Marc de composer un second évangile trente années plus tard. Il était l'un des soixantedouze disciples qui s'étaient dispersés sans avoir pu entendre le commandement du Christ, de manger de sa chair et de boire de son sang. Son ouvrage fut destiné entièrement à démontrer la divinité du Sauveur; mais comme il ne s'était pas expliqué sur ce point avec assez de clarté, les hérétiques persistèrent dans leur erreur. Alors l'Esprit-Saint contraignit presque saint Luc à achever ce que ses deux devanciers n'avaient pas entièrement accompli. Mais il ne parvint pas non plus à ramener les hommes plongés dans l'erreur; le Saint-Esprit inspira donc à saint Jean, qui était revenu de Patmos, d'écrire le quatrième évangile, dans lequel il s'arrêta peu sur la vie de Jésus-Christ, déjà racontée par ses prédécesseurs, s'appliquant davantage à réfuter les erreurs répandues sur la nature divine du Sauveur (1).

(1) L'attaque la plus audacieuse contre les évangiles a été dirigée dans ces dernières années par des protestants allemands, et surtout par le docteur Strauss dans la Vie du Christ (Tubingue, 1835). Ce que Wolf avait fait avec Homère, et Niebuhr avec l'histoire romaine, les exégètes allemands prétendirent le faire avec le récit évangélique, en le supposant un ramas d'idées, d'inventions, de préceptes, appartenant à des temps divers, et le produit d'inten tions différentes. Il résulte de leurs travaux que Jésus-Christ et les évangélistes n'ont jamais existé, et le tout se réduit à un mythe métaphysique. Ce n'est plus là l'attaque railleuse dirigée contre les évangiles par Voltaire, réchauffant les quolibets et les arguties mis en œuvre quinze siècles auparavant par Celse, Porphyre, Julien, et tendant à faire ressortir partout la fraude et la tromperie. C'est ici une interprétation allégorique et scientifique, telle qu'il convient à l'Allemagne méditative de la tenter. Ce travail critique fut d'abord fait sur les livres anciens. Dès 1790, Eichorn considéra comme emblématique le premier chapitre de la Genèse, et comme étant composé de fragments dans lesquels Jehovah était distinct d'Éloïm. En 1803, Baner publia la Mythologie de la Bible. Il entreprit ensuite le même travail de décomposition sur l'Évangile; den Sohn analysiren, comme disait Herder avec une tranquillité merveilleuse pour quiconque songe au vide immense que laisserait dans l'histoire, comme dans la conscience, la démonstration qui ferait du Christ un être idéal. Schléiermacher, mort en 1834, philosophe et philologue célèbre, dépouilla l'Ancien Testament des prophéties, le Nouveau des miracles, et s'ingénia à concilier ce qui restait avec la philosophie et avec ses théories particulières sur l'humanité. S'apercevant enfin du résultat, il s'effraya tout à coup en contemplant d'un côté le christianisme avec la barbarie et la superstition, de l'autre la science avec

Épitres.

Les Épitres sont de petits traités adressés aux Églises ou aux compagnons les plus zélés des apôtres, avec des éloges, des censures, des avis, des exhortations et des préceptes de conduite. Elles ne traitent pas un sujet unique, mais elles passent d'un objet à un autre, comme il est d'usage dans les lettres, et on y trouve des choses qui tiennent aux affections personnelles. Pierre ne s'y montre ni littérateur, ni homme de discussion, mais le chef de la hiérarchie, dirigeant l'Église par la puissance de l'unité. Paul, l'apôtre des nations, voit et pèse les idées des différents peuples. Jean eut en partage le troisième genre d'enseignement, celui d'un gardien des traditions, qui du point le plus élevé contemple le lien au moyen duquel se réunissent tous les phénomènes et toutes les idées dont se compose le mouvement de l'univers. Relégué par Domitien Apocalypse. dans l'île de Patmos, l'une des Sporades, il y eut des visions surnaturelles, que Dieu lui ordonna d'écrire et d'envoyer aux sept Églises principales d'Asie : celle d'Éphèse, pleine de persévérance, bien que sa ferveur primitive se fût attiédie; celle de Smyrne, pauvre et patiente dans l'adversité; celle de Pergame, souillée par le voisinage du temple d'Esculape; celle de Tiatyre, pleine de foi, de charité et de résignation; celle de Sardes, qui avait besoin de remédier par la pénitence aux péchés d'un grand nombre de ses fils; celles enfin de Philadelphie, restée ferme dans la véritable route, et de Laodicée, qui, tiède et pauvre d'esprit, se croyait parfaite parce qu'elle était exempte de certains vices matériels.

Dans ce grand drame, où il révèle mystérieusement les mystères qui se déroulent devant lui, il voit le triomphe de l'Église, ses persécutions imminentes et éloignées, ainsi que ses vicissitudes et l'union mystique de l'Agneau avec son épouse céleste; puis la destruction du monde, et les jouissances que Dieu réserve dans la Jérusalem éternelle à ceux qui l'auront aimé, jouissances qui seront plus parfaites alors qu'il aura renouvelé la terre et les cieux. L'obscurité de ce livre a donné lieu à de longs commentaires et à beaucoup d'extravagances.

l'impiété; et, penché sur l'abîme, qu'il avait creusé, il s'écria : « Heureux nos pères, qui, étrangers encore à l'exégèse, croyaient, hommes simples et loyaux, tout ce qui leur était enseigné! L'histoire y perdait, la religion en profitait. Ce n'est pas moi qui ai inventé la critique ! mais puisqu'elle a commencé l'ouvrage, il faut l'achever. Le génie de l'humanité veille sur elle, il ne lui enlèvera pas ce qu'elle a de plus précieux : que chacun opère donc conformément à son devoir. »

Les Actes des apótres sont un genre d'histoire nouveau, sublime dans sa simplicité, et tel qu'il convenait à des pêcheurs devenus des héros marchant à la conquête du monde, non pas en leur propre nom, mais en celui de Dieu. Rien n'est beau comme ces récits sans colère des luttesengagées contre l'obstination juive et l'indifférence païenne : « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit se << sentait ému et comme irrité en lui-même, en voyant que cette « ville était si attachée à l'idolâtrie. Il parlait donc dans la syna<< gogue avec les Juifs et avec ceux qui craignaient Dieu, et tous « les jours dans la place avec ceux qui s'y rencontraient. Il y eut « aussi quelques philosophes épicuriens et stoïciens qui conféraient « avec lui, et les uns disaient: Qu'est-ce que veut dire ce discou<< reur? Et les autres: Il semble qu'il prêche de nouveaux dieux; <«< ce qu'ils disaient parce qu'il leur annonçait Jésus et la résur« rection. Enfin ils le prirent et le menèrent à l'Aréopage, en lui di<< sant: Pourrions-nous savoir de vous quelle est cette nouvelle << doctrine que vous publiez? car vous nous dites de certaines choses, dont nous n'avons point encore entendu parler. Nous «< voudrions donc bien savoir ce que c'est. Or tous les Athéniens

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« et les étrangers qui demeuraient à Athènes ne passaient leur

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temps qu'à dire et entendre quelque chose de nouveau. Paul « étant donc au milieu de l'Aréopage leur dit : Athéniens, il me << semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès. Car ayant regardé en passant les statues de vos dieux, « j'ai trouvé même un autel sur lequel il est écrit: AU DIEU IN<< CONNU. C'est donc ce Dieu que vous adorez sans le connaître, << que je vous annonce.... Mais lorsqu'ils entendirent parler de la « résurrection des morts, les uns s'en moquèrent, et les autres di<< rent: Nous vous entendrons une autre fois sur ce point. Ainsi << Paul sortit de leur assemblée. Quelques-uns néanmoins se joigni❝ rent à lui, et embrassèrent la foi (1).

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Hermas, contemporain des apôtres, apprit beaucoup de vérités par la révélation, et les consigna dans son livre du Pasteur, divisé en visions, préceptes, similitudes; ce livre fut, durant un temps, considéré comme canonique. Il trouva à Rome, racontet-il, une femme que dès son enfance il avait aimée comme une sœur, et il lui sembla qu'il atteindrait au comble de la félicité s'il pouvait la posséder. Ses yeux s'étant fermés sur cette pensée, il (1) Ch. XVII, 16 à 23, 32 à 34.

Actes.

Hermas.

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